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Formation professionnelle : Vacarme bureaucratique !

Formation professionnelle : Vacarme bureaucratique !

Le torchon brûle entre l’OFPPT et le ministère de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences. Au centre de la discorde, la gestion des bourses attribuées aux stagiaires. Au-delà, se posent la cohérence et l’efficacité du pilotage des politiques publiques en matière de formation professionnelle.

 

Par F. Ouriaghli

Il est des tensions administratives qui, à force de non-dits et de communiqués feutrés, finissent par éclabousser l’efficacité de l’action publique. Celle qui oppose aujourd’hui Loubna Tricha, Directrice générale de l’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT), à son ministre de tutelle, Younes Sekkouri, en est l’illustration parfaite. Motif du différend : la gestion des bourses attribuées aux stagiaires. En effet, le 8 novembre, un communiqué au ton inhabituellement ferme de l’OFPPT a jeté un pavé dans la mare.

L’institution publique y exprime sa «grande stupéfaction» face aux déclarations du ministre, qui l’aurait accusée de retards dans la gestion des bourses et promettait un «profond réajustement administratif». Tricha réplique alors point par point, chiffres à l’appui : «(…) Entre 2018 et 2022, un écart financier significatif a été constaté entre les transferts prévus et les montants effectivement versés, ce qui a créé une forte pression financière sur l’OFPPT. L’Office a dû mobiliser ses ressources propres pour garantir la continuité du versement des bourses aux stagiaires».

En outre, entre 2017 et 2025, au total 968 millions de dirhams ont été versés aux stagiaires, dont 296 millions, soit environ 30%, prélevés sur les ressources propres de l’OFPPT. L’Office, dit-elle, a comblé les retards de financement d’un ministère souvent lent à transférer les crédits budgétaires et à valider les listes de bénéficiaires.

Dans ce cadre, poursuit-elle, «pour l’exercice 2025, bien que le Conseil d’administration ait validé le budget en avril, l’OFPPT n’a reçu aucun versement avant le 7 novembre, soit un retard de quatre mois, sur un montant global de 500 millions de dirhams destiné à exécuter le programme annuel de l’Office, estimé à 1,5 milliard de dirhams». Le ton est poli, mais le message limpide : si dysfonctionnements il y a, ils viennent d’en haut, pas d’en bas. En creux, c’est tout un modèle de gouvernance administrative qui est mise à mal, avec un ministère et un organisme sous sa tutelle qui se rejettent la balle.

Et la jeunesse dans tout ça ?

L’affaire aurait pu rester un simple désaccord technique si elle ne touchait pas à un secteur aussi stratégique que la formation professionnelle, au cœur du projet royal de modernisation du capital humain. Car derrière les tensions bureaucratiques, c’est le fonctionnement même du programme des Cités des Métiers et des Compétences (CMC) qui s’en trouve ralenti. Ces structures, voulues par le Roi Mohammed VI, incarnent l’ambition d’un Maroc formant des jeunes compétents, adaptés aux besoins de l’économie moderne.

Le communiqué de l’OFPPT révèle que le programme des CMC a connu «14 mois d’interruption, faute de réunion du comité de pilotage». Ce n’est qu’après l’intervention directe de la Primature et du ministère des Finances que le projet a repris, permettant l’ouverture de nouvelles Cités à Dakhla-Oued Eddahab, Marrakech-Safi et Guelmim-Oued Noun. Sans ces arbitrages au sommet, la dynamique aurait pu s’enliser. Comment ne pas voir dans cette situation un paradoxe ?

La feuille de route pour la formation professionnelle a été présentée en grande pompe en 2019, et devait constituer l’un des leviers majeurs de l’insertion des jeunes et de la compétitivité des entreprises. Alors que le Maroc y investit massivement, les querelles administratives risquent d’en neutraliser les effets et d’impacter les chances de milliers de jeunes d’intégrer le marché du travail.

Le Roi lui-même n’a cessé de souligner la centralité de ce chantier. «Je ne me lasserai jamais de mettre en avant le rôle de la formation professionnelle, du travail manuel dans l’insertion des jeunes», a-t-il déclaré dans son discours du 20 août 2019. Et d’ajouter que «la promotion de la formation professionnelle est désormais une nécessité impérieuse, non seulement pour créer de nouveaux emplois, mais aussi pour mettre le Maroc en capacité de relever les défis de la compétitivité économique…».

Ces paroles ont d’autant de portée que les dysfonctionnements actuels donnent le sentiment d’un gâchis collectif. Le Roi parlait de «nécessité impérieuse», alors qu’en face, la machine administrative, au lieu de servir cette ambition nationale, s’enlise dans ses propres pesanteurs.

Cette tension entre la direction de l’OFPPT et le ministère de tutelle illustre un mal bien connu de l’Administration marocaine : la difficulté à faire dialoguer les institutions. Entre les services centraux, les agences autonomes et les départements ministériels, les logiques de coordination se heurtent souvent à des égos, des rivalités, voire des calculs politiques. Younes Sekkouri, à la tête d’un portefeuille tentaculaire qui regroupe Inclusion économique, Petite entreprise, Emploi et Compétences, est dans une posture de pilotage transversal, avec de nombreux chantiers prioritaires.

En face, Loubna Tricha défend un établissement qui «exerce ses missions avec transparence et rigueur, dans le strict respect des procédures financières et administratives» et qui «refuse d’être entraîné dans des polémiques politiques ou des justifications inexactes». Son communiqué, à la fois institutionnel et offensif, marque une rare fermeté, pour ne pas dire agressivité à l’égard d’une tutelle ministérielle.

Un secteur sous tension

Le cas Tricha-Sekkouri n’est d’ailleurs pas isolé. En juin dernier, Imane Belmaati, Directrice générale de l'Agence nationale de promotion de l'emploi et des compétences (ANAPEC), a été limogée quatorze mois seulement après sa nomination. Une révocation actée par le chef de gouvernement, sur proposition de Sekkouri, au motif de manquements dans la mise en œuvre de la feuille de route stratégique de l’Agence.

De l’ANAPEC à l’OFPPT, le constat est donc le même : ces dossiers interrogent le modèle de gouvernance des politiques publiques. Et ont ceci de commun qu’ils ont des incidences sur le marché du travail. En effet, dans un pays où le taux de chômage s’établit à 13,1% au troisième trimestre 2025 (1.629.000 personnes au niveau national) et atteint 38,4% parmi les jeunes âgés de 15 à 24 ans et 19% chez les diplômés, ces deux établissements constituent des leviers majeurs de l’insertion professionnelle des jeunes.

Quand l’OFPPT prépare et qualifie en adaptant la nature des formations du capital travail aux besoins réels du tissu productif, l’ANAPEC oriente, met en relation et accompagne l’insertion. Ils sont ainsi au cœur de l’action publique visant à réduire le gap entre formation et emploi, et en conséquence le taux de chômage. C’est dire que lorsque l’un des maillons se grippe, c’est la chaîne entière de l’insertion professionnelle qui s’enraie. 

 

 

 

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