Sécheresse, vague de froid, spéculation… autant de facteurs qui expliquent les prix élevés des produits alimentaires en ce moment.
Les professionnels s’attendent à une accalmie d’ici le mois du Ramadan, à la faveur des mesures prises par le gouvernement.
En attendant, les voix dénonçant la vie chère deviennent de plus en plus bruyantes.
Par D. William
Les Marocains expriment de plus en plus leur désarroi face à la flambée des prix. Dimanche, des centaines de manifestants sont descendus dans la rue, notamment à Casablanca et Tanger pour signifier leur mécontentement face à la cherté de la vie. Ils dénonçaient notamment «la cherté de la vie», tout en scandant que «la classe pauvre est la principale victime».
La mobilisation risque de s’accentuer dans les jours à venir, puisque la Confédération démocratique du travail (CDT), qui déplore «l’effondrement du pouvoir d’achat des citoyens», envisage d’organiser des «marches de contestation» le dimanche 19 février, mais aussi ultérieurement une grève générale dans la fonction publique Tous ces cris d’orfraie ne sont ni plus ni moins que l’expression d’un ras-le-bol populaire face à l’érosion du pouvoir d’achat des Marocains à cause d’une inflation qui dure depuis plusieurs mois, et qui est loin d’être finie.
Au terme de l’année 2022, l’indice des prix à la consommation annuel moyen a ainsi progressé de 6,6%. Actuellement, la pression sur les prix produits alimentaires et énergétiques a certes baissé, mais les prix restent toujours à des niveaux élevés, surtout que l’inflation au Maroc a été contenue en moyenne à 1,6% durant la période 2015-2020.
L’Etat impuissant ?
Bank Al-Maghrib a procédé à deux hausses successives de son taux directeur pour lutter contre l’inflation, mais les effets ne se font pas encore retentir. D’ailleurs, le gouverneur de la Banque centrale, Abdellatif Jouahri, qui veut une meilleure transmission de la politique monétaire, l’a souligné la semaine dernière lors du Symposium consacré à l’investissement.
«Les conditions financières sont toujours accommodantes malgré la hausse du taux directeur», a-til reconnu. De son côté, le gouvernement semble incapable d’apporter une réponse adéquate permettant de contenir la hausse des prix. Pourtant, il s’est montré… généreux, puisque le soutien aux produits de base et aux secteurs touchés, en vue d'organiser les marchés et protéger le consommateur, a coûté 40 milliards de dirhams, d’après les chiffres préliminaires de 2022 donnés par la ministre de l’Economie et des Finances, Nadia Fattah. Rien que pour le soutien aux professionnels du transport, 9 tranches d’aide ont été consenties pour un montant global de 3,9 Mds de DH.
Parallèlement, des dispositifs spécifiques ont été mis en place, comme notamment la suppression de la taxe sur la valeur ajoutée et l'exonération des droits de douane sur les importations des bovins destinés à l’abattage. Le dernier rapport de la Banque mondiale, publié le mardi 14 février, précise que la série de mesures adoptées par le Royaume pour atténuer les répercussions de la hausse des prix des aliments et de l’énergie sur les ménages, notamment l’octroi de subventions générales sur certains produits de première nécessité et le maintien des prix réglementés préexistants, aura nécessité la mobilisation de dépenses publiques supplémentaires, correspondant à presque 2% du PIB.
Ces mesures d’ordre financier sont accompagnées par le renforcement de l'offre et des stocks de produits de base et la sécurisation de l’approvisionnement des marchés, surtout à l’approche du mois de Ramadan. Si, à ce niveau, les différentes parties concernées (Agriculture, Pêche maritime, Industrie et Commerce, Transition énergétique, ONICL, ONP…) assurent que le marché national devrait être approvisionné de manière suffisante et normale en différents produits de consommation, ce sont cependant les prix pratiqués en ce moment qui provoquent la montée de la colère sociale. Viandes, œufs, tomates, oignons… le renchérissement des prix touche tous les produits.
«La sécheresse a impacté l’agriculture nationale, surtout les filières qui ont un besoin important en eau, comme celle des fruits et légumes. Cela a eu des conséquences négatives sur la production. La hausse des charges à cause de la guerre en Ukraine et de l’inflation a aussi compliqué la situation. De même, la vague de froid qui sévit depuis quelque temps dans le Royaume a retardé la croissance des cultures et les récoltes», nous précise-t-on auprès de l’Association des producteurs et exportateurs de fruits et légumes (APEFEL).
Dans la même veine, Abdelali Ramou, président de l’Association nationale des vendeurs de viandes rouges au Maroc, précise que «la sécheresse a fortement impacté le cheptel, qu’il soit ovin, bovin ou caprin. Et avec la hausse des coûts de production, notamment l’aliment de bétail, et l’appauvrissement des parcours naturels, de nombreux éleveurs ont soit délaissé l’activité, soit réduit leurs troupeaux pour faire face aux charges. De plus, la pandémie a impacté le programme de reproduction à cause des difficultés à reconduire adéquatement les opérations d’insémination artificielle. Du coup, l’offre de viandes rouges a diminué, ce qui, par conséquent, a fait augmenter les prix».
Toutefois, la flambée des prix n’est pas uniquement liée à la sécheresse, la crise post-Covid, la guerre en Ukraine ou encore à la vague de froid, mais également à une dynamique spéculative entretenue par une très longue chaine d’intermédiaires dans les canaux de commercialisation, que le gouvernement ne peut empêcher de sévir. «Il y a un problème d’offre, et les intermédiaires profitent de l’occasion pour gonfler les prix», déplore l’APEFEL.
Un phénomène pointé du doigt par la BM, qui estime que «l’écart important entre les prix à la production et les prix de détail ne se justifie pas toujours par la valeur ajoutée créée dans la chaîne d’approvisionnement». C’est pourquoi les autorités ont décidé, durant les prochains jours et semaines, de renforcer les mesures de coordination et de contrôle et de régulation des marchés déjà engagées. L’objectif étant, entre autres, de veiller à la transparence et la régularité des pratiques commerciales, lutter activement contre toutes les manœuvres spéculatives susceptibles d’augmenter les prix de manière injustifiée, mais aussi de sanctionner les auteurs des infractions. Le gouvernement promet ainsi de prendre «toutes les mesures pour faire baisser les prix».
C’est dans ce cadre qu’il a été décidé de geler provisoirement les exportations d’oignons, de pommes de terre et de tomates. «Nous avons eu des discussions avec le gouvernement à ce sujet et on lui a décrit la situation. La priorité est désormais donnée au marché local afin d’augmenter l’offre. Une attention particulière est accordée aux produits à forte consommation, notamment les oignons, les pommes de terre et les tomates. Le gouvernement a pris une série de décisions pour stabiliser le marché, mais c’est au niveau des intermédiaires qu’il faut muscler les contrôles», confirme notre source à l’APEFEL. L’Exécutif assure que, à la faveur des différentes actions déployées, «les prix de la viande et des légumes devraient connaitre une baisse au cours des prochains jours ou semaines». Ce que nous confirme notre interlocuteur.
«Avec la hausse des températures et l’activation des récoltes, les prix des fruits et légumes devraient s’orienter à la baisse. Il faut s’attendre à une accalmie d’ici le mois de Ramadan», affirme-t-il. Même son de cloche chez Ramou, qui estime que «la décision du gouvernement d’autoriser l’importation de 200.000 têtes de bovins devrait booster l’offre de viandes rouges. Dès l’arrivage d’une première cargaison au port de Casablanca, nous avons constaté un début de détente sur les prix, lesquels devraient s’inscrire dans une tendance baissière. Ces importations permettront de stabiliser le marché, le temps d’assurer la reconstitution du cheptel national».
Loin des effets d’annonce, les citoyens veulent en tout cas du concret. Autrement dit, ne pas se ruiner en faisant leurs courses, surtout durant le mois de Ramadan où la consommation tend à augmenter. Bourse trouée et ventre vide : association parfaite pour une colère sociale encore plus bruyante. Ce que le gouvernement doit absolument éviter.