Driss Guerraoui a fait les frais des décisions discordantes du Conseil de la concurrence dans l’affaire des ententes éventuelles dans le secteur des hydrocarbures.
Ce dossier est l’objet d’une véritable foire d’empoigne depuis mai 2018.
Par D. William
Deux ans après avoir été nommé par le Roi ambassadeur du Maroc auprès de l’Union européenne, Ahmed Rahhou revient au bercail. Il est, depuis le lundi 22 mars, le nouveau président du Conseil de la concurrence, une institution appelée à donner son avis sur les demandes de consultation et à publier des études sur le climat général de la concurrence sur les plans sectoriel et national. Elle a, en outre, un pouvoir décisionnel en matière de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et de contrôle des opérations de concentration économique.
Justement, dans les tiroirs du Conseil de la concurrence, Ahmed Rahhou découvre un dossier très chaud, pour ne pas dire très inflammable : celui des hydrocarbures, qui tient en haleine le milieu des affaires depuis plusieurs années et qui, visiblement, a valu à son prédécesseur, Driss Guerraoui, son poste.
Ce dossier est l’objet d’une véritable foire d’empoigne depuis mai 2018, date à laquelle le rapport de la mission d'information parlementaire sur les prix du carburant et les conditions de concurrence, suite à la décision de la libéralisation des prix en 2015, a relevé de nombreuses dérives.
Un rapport qui a dénoncé une «activité suspecte dans le secteur», avec un carburant supposé être vendu dans les provinces du Sud avec des exonérations fiscales, mais qui était en réalité distribué dans d’autres régions du Royaume. Cette fraude organisée, reconnue par des professionnels interrogés par la mission, aurait ainsi permis aux distributeurs d’augmenter leurs marges.
Le rapport a aussi mis en évidence, entre autres, la vente clandestine en dehors des circuits légaux et à bas prix. C’est pourquoi les parlementaires avaient demandé le plafonnement des marges réalisées par les compagnies d'hydrocarbures.
Une demande d’avis a été, dans ce cadre, adressée par le gouvernement au Conseil de la concurrence, lequel avait estimé, le 14 février 2019, que «le plafonnement des marges n’est pas judicieux et reste une mesure discriminatoire» et que «le marché souffre plutôt de dysfonctionnements de nature structurelle auxquels les réponses conjoncturelles ne peuvent avoir que des effets limités». Une réponse en phase avec ce qu’attendait le Groupement des pétroliers du Maroc, pour qui un plafonnement serait «un retour en arrière pour un secteur libéralisé».
Intervention royale
Cette affaire a connu un nouveau rebondissement quand, le 23 juillet 2020, le Roi a reçu une note du président du Conseil de la concurrence, Driss Guerraoui, relative à la «décision du Conseil» sur les «éventuelles ententes des sociétés pétrolières et du Groupement des pétroliers du Maroc». Une note dans laquelle le Conseil a acté, par 12 voix pour et 1 voix contre, une sanction pécuniaire d’un montant de «9% du chiffre d’affaires annuel réalisé au Maroc pour les 3 distributeurs leaders et d’un montant inférieur pour les autres sociétés».
Sauf que, quelques jours après, soit le 28 juillet, le Souverain a reçu une seconde note de Guerraoui où, cette fois-ci, le montant des sanctions infligées aux distributeurs est fixé à hauteur de 8% du chiffre d’affaires annuel sans distinction entre les sociétés et sans aucune indication sur la répartition des voix. Ce même jour, le Roi a aussi reçu de plusieurs membres du Conseil une fiche dénonçant «la gestion de ce dossier», qui «a été caractérisée par des transgressions de procédure et des agissements de la part du président qui entachent la qualité et l’impartialité de la décision prise par le Conseil».
Et parmi les reproches faits par ces membres à Guerraoui, son «comportement (….) qui laisse penser qu’il agit sur instructions ou selon un agenda personnel». Devant un tel capharnaüm, le Roi avait donc décidé la mise en place d’une commission ad-hoc composée des 2 présidents des chambres du Parlement, du président de la Cour constitutionnelle, du président de la Cour des comptes, du wali de Bank Al-Maghrib et du président de l’Instance de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption, avec le secrétaire général du gouvernement comme coordinateur.
Objectif : mener les investigations nécessaires à la clarification de la situation et soumettre au Roi un rapport circonstancié sur le sujet. La commission s’est visiblement acquittée de sa mission. Lundi, lors de la nomination de Ahmed Rahhou à la tête du Conseil de la concurrence, un communiqué du cabinet royal a notamment indiqué que «conformément à la mission qui lui a été confiée par le Souverain, la commission s’est assurée du respect des lois et des procédures relatives au fonctionnement du Conseil de la concurrence et au déroulement de l’instance contentieuse, et a conclu que le processus de traitement de cette affaire a été émaillé de nombreuses irrégularités de procédure». «Elle a également relevé une nette détérioration du climat des délibérations», note la même source.
En cela, «le Roi a ordonné la transmission au chef du gouvernement des recommandations de la Commission ad-hoc, à l’effet de remédier aux imprécisions du cadre légal actuel, renforcer l’impartialité et les capacités de cette institution constitutionnelle et conforter sa vocation d’instance indépendante contribuant au raffermissement de la bonne gouvernance, de l’État de droit dans le monde économique et de la protection du consommateur».
Par ailleurs, rappelle-t-on «la Commission ad-hoc n’avait pas pour mission d’examiner le fond de l’affaire contentieuse dont le Conseil de la concurrence est saisi, ni, encore moins, de se substituer au Conseil dans son traitement». A l’évidence, il faudra s’attendre à de réels changements au Conseil de la concurrence afin qu’il puisse valablement assurer et assumer les missions qui lui sont dévolues. Ahmed Rahhou devra, à cet effet, convoquer son expérience de diplomate et son talent de manager pour y parvenir.
Ahmed Rahhou: «Il n’y a pas une économie solide si les règles de la concurrence sont pas respectées»
La passation des pouvoirs entre Ahmed Rahhou, nouveau patron du Conseil de la Concurrence, et son prédécesseur Driss Guerraoui s’est déroulée mercredi à Rabat. A cette occasion, Rahhou s’est dit fier de la confiance royale placée en sa personne. Selon lui, le Conseil de la concurrence est une brique pour bâtir une économie libérale solide, ouverte sur le monde et qui permet de renforcer la confiance des investisseurs. «Il n’y a pas une économie solide si les règles de la concurrence et de la composition des prix ne sont pas respectées», a relevé Rahhou. «Construire cette économie veut dire sécuriser les investisseurs et les acteurs et, par conséquent, les protéger contre les pratiques qui mettent à mal leurs investissements», ajoutet-il. «Notre rôle, a-t-il dit, est celui de la régulation par rapport aux lois relatives à la protection du consommateur, à la fixation des prix et à la concentration. C’est le rôle dont est investi le Conseil par la Constitution et par les lois qui lui sont rattachées, mais c’est aussi une brique essentielle de la confiance que les acteurs économiques vont avoir dans l’économie nationale», précise t-il. De son côté, Guerraoui a félicité son successeur de la confiance placée en lui par le Roi, tout en lui souhaitant plein succès dans ses nouvelles fonctions