La généralisation de l'Assurance maladie obligatoire (AMO) au Maroc a permis d'atteindre des progrès notables, avec près de 87% de la population désormais couverte. Cependant, des défis importants persistent, notamment l’accès limité aux soins pour une partie de la population.
Par M. Boukhari
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a récemment présenté les conclusions de son avis sur la généralisation de l'AMO, un chantier majeur visant à élargir la couverture médicale à tous les citoyens marocains. Le bilan des premières étapes de cette généralisation s’avère positif. En effet, 86,5% des habitants sont désormais inscrits au régime d'assurance maladie, contre moins de 60% en 2020. Cette progression rapide reflète, selon le CESE, l’efficacité des efforts déployés pour renforcer le cadre juridique et les infrastructures techniques du système.
Les organismes de gestion, eux aussi, ont fait preuve de réactivité en traitant les dossiers de santé avec rapidité et efficacité, permettant ainsi à un nombre croissant de citoyens d’accéder à la couverture sanitaire. Malgré ces avancées significatives, le processus de généralisation de l’AMO reste inachevé. Le CESE a mis en lumière plusieurs défis cruciaux qui nécessitent une attention particulière pour assurer la réussite complète du projet. Selon les dernières estimations, 8,5 millions de citoyens ne bénéficient toujours pas de cette couverture médicale.
Environ 5 millions de personnes ne sont pas encore inscrites au système, tandis que 3,5 millions d'assurés voient leurs droits fermés, les empêchant ainsi d’accéder aux soins nécessaires. Un autre point préoccupant évoqué par le président du CESE est le niveau élevé des dépenses de santé à la charge des assurés. Selon les chiffres de l’Agence nationale de l’assurance maladie (ANAM), les assurés supportent parfois jusqu'à 50% des frais de santé, un pourcentage bien au-dessus du taux recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la Banque mondiale, qui préconisent un plafonnement à 25%. Ce fardeau financier oblige de nombreux Marocains à renoncer à des soins de base, ce qui compromet l’efficacité du système.
Le dilemme de la confiance
«Pour que la généralisation de l’AMO soit un succès, il faut qu'elle soit réellement bénéfique pour le citoyen. Cela passe par une amélioration substantielle de l’offre de soins, tant en qualité qu’en quantité, ainsi que par une meilleure répartition géographique des services. Actuellement, trois régions du Maroc concentrent 75% des professionnels de santé, laissant les autres régions avec une couverture insuffisante», explique Dr. Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en politiques et systèmes de santé.
Et de poursuivre : «Un autre défi majeur réside dans la confiance des citoyens envers le système de santé. Le modèle d’assurance maladie contributive repose sur la fidélité des cotisants. Si les assurés ne voient pas de résultats tangibles, la confiance s’érode. Aujourd'hui, deux tiers des travailleurs non-salariés affiliés à la CNSS ne paient pas leurs cotisations, ce qui conduit à une situation où leurs droits sont fermés. Il est donc crucial de renforcer cette confiance pour que les citoyens continuent de cotiser et de participer au financement du système». En vue d’améliorer l'accès aux soins, Hamdi estime que la solution serait de généraliser le tiers payant, notamment pour les personnes dont les salaires sont modestes (6.000 à 8.000 dirhams par mois).
«Ces assurés, qu’ils soient du secteur public ou privé, ne peuvent souvent pas avancer les frais médicaux, ce qui les pousse à renoncer aux soins», explique-t-il. En effet, 40% des Marocains renoncent à se faire soigner pour des raisons financières. Parmi les personnes non couvertes, 60% renient également aux soins, et un tiers des assurés aussi. Cela signifie qu’au total, près de 2 Marocains sur 5 se privent de soins en raison des coûts.
A fond la prévention !
Pour assurer la viabilité de l’AMO à long terme, Hamdi juge qu’il est indispensable de maîtriser les dépenses, et cela commence par une forte priorité à la prévention. «Si nous attendons que les gens soient malades (cancers, dialyses, etc.) avant de les traiter, l’AMO sera systématiquement déficitaire. La prévention, les campagnes de vaccination et l’éducation à la santé sont des leviers essentiels pour réduire les coûts à long terme», fait-il savoir.
Selon lui, il est également crucial d’instaurer un parcours de soins coordonné, avec le médecin généraliste comme porte d’entrée au système de santé. «Le recours aux médicaments génériques doit être encouragé. Au Maroc, seulement 40% des médicaments prescrits sont des génériques, tandis qu’aux États-Unis, ce chiffre atteint 95%. L’adoption de protocoles thérapeutiques uniformes est également nécessaire pour améliorer la qualité des soins et maîtriser les coûts», détaille-t-il.
Par ailleurs, l’hôpital public, qui représente la colonne vertébrale du système de santé, doit être renforcé. «Il est impossible d’assurer la viabilité de l’AMO sans un système hospitalier public de qualité et accessible. L'hôpital public est essentiel pour garantir la qualité des soins tout en maîtrisant les coûts. En parallèle, il faut encourager le secteur privé à but non lucratif, qui peut jouer un rôle complémentaire dans l’offre de soins», dixit Hamdi. La question de la tarification est également fondamentale. La tarification nationale de référence, qui date de 2006, doit être revue régulièrement pour éviter que des déséquilibres financiers n’alourdissent la part des dépenses à la charge des familles.
«Aujourd'hui, les médicaments représentent un tiers des dépenses de santé, et leur coût est particulièrement élevé par rapport aux standards internationaux», souligne l’expert. Enfin, Hamdi demeure convaincu qu’il est impératif de revoir la gouvernance des caisses d’assurance maladie. D’après lui, Il faut mettre en place des équipes de gestion qui inspirent confiance et qui puissent réellement répondre aux défis actuels. «Les responsables des déséquilibres passés ne peuvent pas être les acteurs de la réforme de demain», conclut-il.