Les pluies récentes redonnent un semblant d’espoir aux agriculteurs, même si elles ne suffisent pas à combler le déficit hydrique du pays, ni à réduire sa dépendance aux importations de blé. Le Royaume accélère son virage vers les ressources non conventionnelles, notamment le dessalement de l’eau de mer.
Par D. William
Depuis six ans, le Maroc traverse une sécheresse d’une persistance inquiétante, asséchant les terres, fragilisant l’agriculture et exacerbant la dépendance aux importations céréalières.
Mi-février, le ministre de l’Agriculture, Ahmed El Bouari, soulignait à cet effet que la pluviométrie demeure inférieure de 53% à la moyenne des trente dernières années. Alors, forcément, les pluies de ces derniers jours sont accueillies avec enthousiasme dans les campagnes et redonnent un semblant d’espoir à une saison agricole jusque-là morose.
Du Nord au Sud, les terres ont enfin pu s’abreuver, redonnant vie aux pâturages et aux cultures printanières. Ces précipitations ont eu un effet immédiat : les barrages ont vu leur niveau légèrement remonter. Au 12 mars 2025, le taux de remplissage atteint 30,43%, soit 5,12 milliards de mètres cubes d’eau stockés. Certes, cette hausse par rapport aux 26,3% (4,2 milliards de m³) de l’année précédente est encourageante, mais elle reste loin du niveau optimal pour assurer une irrigation suffisante aux cultures.
C’est un peu comme un verre à moitié plein ou à moitié vide, selon l’angle de vue. Pour les optimistes, ces pluies sont un signal positif : certains exploitants y voient une opportunité inespérée de sauver une partie de leur production et espèrent un certain redressement agricole, notamment pour les cultures printanières. Pour les réalistes, cette amélioration demeure timide et ne suffira pas à rattraper des années de déficit hydrique.
Impact timide sur le blé
Si les agriculteurs se réjouissent du retour de la pluie, le problème structurel de l’approvisionnement en blé demeure entier. Ces précipitations auront en effet un impact limité sur les céréales d’automne. Ainsi, la production nationale, laminée par les années de sécheresse et des rendements en berne, ne parvient toujours pas à assurer l’autosuffisance alimentaire du pays.
C’est pourquoi, en 2024, le Maroc a importé pas moins de 9 millions de quintaux de blé, pour une facture de 17,8 milliards de dirhams. Les projections pour 2025 ne laissent guère présager de rupture avec cette dépendance extérieure. D’ailleurs, pour faciliter l’approvisionnement du marché local, il a été décidé de mettre en place, au profit des opérateurs, un système de restitution à l'importation du blé tendre meunier entre le 1er janvier 2025 et le 30 avril 2025.
La prime forfaitaire concerne exclusivement les quantités de blé tendre meunier importées par les organismes stockeurs, les coopératives agricoles et les minoteries industrielles, telles que définies par la loi n° 12-94. Cette aide vise à compenser la différence entre le prix de revient moyen et un seuil de 270 dirhams par quintal. Cette vulnérabilité n’est pas seulement une question agricole, mais un enjeu stratégique.
C’est pourquoi le gouvernement multiplie les mesures pour tenter d’atténuer l’impact de la sécheresse sur les agriculteurs, à travers, entre autres, le soutien aux importations de blé tendre, la distribution de semences et d’engrais ou encore le soutien à l’élevage. Ces initiatives, bien que nécessaires, relèvent davantage d’un pansement sur une plaie profonde que d’une véritable solution de long terme. Car sans réforme structurelle, l’agriculture marocaine restera à la merci des caprices du climat. Le principal enjeu est bien là : l’eau.
Face à ce défi structurel, le Maroc a amorcé un virage stratégique, avec un recours accru aux ressources non conventionnelles. Objectif : assurer la pérennité de l’accès à l’eau potable tout en réduisant la pression sur les nappes souterraines. Ainsi, longtemps axée sur la construction de barrages, la politique hydraulique s’oriente désormais vers le dessalement de l’eau de mer et le transfert inter-bassins pour sécuriser l’approvisionnement hydrique.
Actuellement, le Royaume compte 15 stations de dessalement opérationnelles, produisant 192 Mm3 /an, dont plus de 80 Mm3 principalement destinés à l'eau potable. D’ici 2030, l’ambition est de porter la part du dessalement dans l’approvisionnement en eau potable de 4% aujourd’hui à 40%, avec une capacité de production totale de 1,7 milliard de mètres cubes d’eau dessalée par an. L’une des pierres angulaires de cette stratégie est la station de dessalement de Casablanca, qui sera la plus grande d’Afrique et la deuxième au monde entièrement alimentée par des énergies renouvelables. Elle fournira à terme 822.000 m3 d’eau traitée par jour, bénéficiant à plus de 7,5 millions d’habitants et contribuant à l’irrigation des terres agricoles.
Cette vision s’accompagne d’une gouvernance renforcée de l’eau, avec un contrôle accru de son usage, la lutte contre le gaspillage et la mise en place d’une «police de l’eau» pour réguler l’exploitation des ressources hydriques. Pour autant, ces initiatives, bien que prometteuses, prendront du temps à produire leurs effets. Entre-temps, l’agriculture marocaine devra continuer à composer avec une météorologie de plus en plus imprévisible.