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Sauvez le Liban !

Sauvez le Liban !

Selon la Banque mondiale, la crise économique qui frappe le Liban est l’une des pires depuis 1850 ! 

 

Par Omar Fassal

Principal impact qui détériore le niveau de vie de la population : la baisse du taux de change. La Livre a perdu 95% de sa valeur depuis 2019, provoquant une inflation importée dévastatrice pour les ménages. Elle est d’autant plus douloureuse que le pays importe une grande partie de sa consommation. A titre d’exemple, 80% des denrées alimentaires sont importées. Le salaire mensuel minimum converti en monnaie étrangère s’est effondré : il est passé de 450 dollars à 20 dollars.

Selon la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale basée à Beyrouth, le taux de la population vivant sous le seuil de pauvreté a flambé, passant de 25% auparavant à 82% aujourd’hui. Nulle surprise alors, lorsqu’on voit que 70% des jeunes souhaitent quitter définitivement le pays. Anecdote qui en découle : le nombre de demandes de passeport a été multiplié par 10 ! Au point qu’il n’y a plus de passeports disponibles car l’Etat ne paie plus la société qui les produit…il est en défaut de paiement.

Car oui, «l’Etat et la Banque du Liban sont en faillite», tel est le couperet tombé de la bouche du vice-Premier ministre du pays en personne, Saadé Chami. Il estime les pertes à 72 milliards de dollars, ce qui représente deux ans et demi de PIB, une somme colossale. Et ce n’est là que le début du problème, car lorsqu’il y a des pertes, il faut s’accorder sur la répartition des pertes. Comment l’allouer entre l’Etat, la Banque du Liban, les banques commerciales, et surtout, les déposants ?

En l’espace de deux ans, le PIB réel s’est replié de -30%, et le PIB par habitant en dollars a reculé de -50%. L’inflation a atteint +84% par an en 2020. La dette publique avait atteint un pic de 171%, et le déficit du compte courant -28% du PIB au cœur de la crise en 2019, avant de baisser en 2020 à 135% et -14% respectivement. 

La croissance économique est insuffisante, non seulement pour rembourser la dette, mais également pour payer les intérêts. Cela induit un effet boule de neige où le poids de la dette s’accroit au point de devenir intenable. Le modèle économique libanais fut basé sur des entrées de capitaux importantes. De la part d’investisseurs - du Moyen-Orient ou autre - à la recherche d’un pays qui pratique le secret bancaire, et de la part de la diaspora. Le Liban est l’un des rares pays au monde où la diaspora est plus grande que les locaux : on compte 14 millions de diaspora pour 5 millions de locaux, ce qui en fait une des plus importantes au monde. D’autant plus qu’il s’agit d’une diaspora très qualifiée. Ces flux entrants en devises, attirés par des taux d’intérêts créditeurs très élevés de 10,4% début 2019 avant la crise, ont alimenté l’économie libanaise de façon structurelle.

Deux ans après le début de la crise, le FMI a enfin trouvé un compromis avec les autorités du pays, ce qui n’était pas gagné d’avance. Des premiers essais dès 2020 avaient échoué. Ce ne fut pas chose aisée, car les relations sont tendues entre le pays et les autorités monétaires internationales. Par exemple, sur son dernier communiqué de presse, la Banque mondiale adopte un ton très critique, qui rompt avec sa diplomatie habituelle. Tenez-vous bien, la Banque mondiale parle non pas de récession, mais de «dépression délibérée», de «discorde politique chronique et débilitante», et de «l’effondrement des services publics les plus élémentaires».

Le paquet d’assistance du FMI s’élève à trois milliards de dollars sur quatre ans - une somme qui semble en réalité minime vu les énormes besoins de l’économie libanaise pour se restructurer et pouvoir redécoller. Il s’agit pour l’instant d’un compromis qui ne sera validé par le Board du FMI et débloqué que si le pays entame plusieurs réformes inclues dans l’accord. Parmi elles : faire voter par le Parlement une restructuration du secteur bancaire, mettre fin au secret bancaire pour freiner la corruption, déployer des réformes structurelles de gouvernance et d’équilibres budgétaires…Là aussi la partie n’est pas encore gagnée, car les réformes structurelles sont lentes et difficiles à mener dans le pays. Sur le secret bancaire par exemple, le gouverneur de la Banque centrale a déclaré il y a quelques jours à peine, «qu’il ne fallait pas modifier le secret bancaire au Liban en œuvre depuis 1950». On le voit, le chemin est encore sinueux et il se pourrait que ce nouveau compromis ne voie jamais le jour.

Autre point qui dérange dans ce compromis de sauvetage : la répartition des pertes entre les différents acteurs. Celle-ci est confidentielle, mais au mois de janvier 2022, une version préliminaire avait fuité dans la presse et donné un avant-goût de ce qui attend les Libanais. Le brouillon de janvier prévoit les mesures suivantes. Sur 104 milliards de dollars de dépôts en devises extérieures, seuls 25 milliards seront rendus aux clients, le reste sera converti en monnaie locale, avec un taux de change en repli de -75% par rapport au cours d’avant crise. Le plan prévoit de mettre à contribution tout le monde pour encaisser les pertes, même les déposants. Les déposants qui ont moins de 150.000 dollars (en devises) récupèreront toute leur somme. Les déposants qui ont entre 150.000 et 500.000 dollars verront leurs avoirs dans cette tranche convertis en monnaie locale. Les grands déposants qui ont plus de 500.000 dollars, verront cette somme convertie en actions du secteur bancaire. Ainsi, sur les 72 milliards de pertes : 55% seront assumés par les déposants, 19% par les actionnaires des banques à travers une réduction du capital, 14% par l’Etat, et 12% par la Banque centrale.

En face, l’Association des banques du Liban s’oppose publiquement au plan du FMI. Elle plaide pour une autre alternative : amener l’Etat à assumer la majorité des pertes sans que les banques commerciales ou les déposants ne paient la facture. Elle propose que 40 milliards de dollars d’actifs de l’Etat soient placés dans un fonds spécial pour compenser les pertes des banques et préserver le système (ce qui inclut par là même les déposants). Mais des voix d’opposition jugent cette solution irréaliste. Pourquoi ? Car les biens que l’Etat peut privatiser pour alimenter le fonds ne seraient qu’entre 5 et 13 milliards de dollars auxquels se rajouteraient 17 milliards d’Or détenu par la Banque centrale. Et pour l’instant, la Banque centrale n’a ni l’envie, ni l’autorité de disposer de ce stock d’or (elle a besoin pour cela d’un aval du Parlement). Même dans le meilleur cas de figure, on atteindrait les 30 milliards de dollars, moins que les 40 milliards visés par l’Association des banques libanaises, et encore moins que les 72 milliards de pertes annoncées par le vice-Premier Ministre. La crise s’éternise et les Libanais souffrent... S’il vous plait, sauvez le Liban !

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