Le 25 février 2025 marque la fin d'une ère pour Maroc Telecom. Après 27 années à la tête de l’opérateur, Abdeslam Ahizoune, qui s’active dans le secteur des télécoms depuis près d’un demi-siècle, cède sa place à Mohamed Benchaâboun.
Par D. William
Né le 20 avril 1955 à Tiflet, Ahizoune est diplômé de l'Ecole nationale supérieure des télécommunications de Paris en 1977. Sa carrière débute au ministère des Postes et Télécommunications, où il gravit rapidement les échelons pour devenir directeur des Télécommunications de 1983 à 1992. Son expertise et sa vision le propulsent au poste de ministre des Postes et Télécommunications à deux reprises, de 1992 à 1995 et de 1997 à 1998.
C'est durant ces mandats qu'il joue un rôle clé dans la libéralisation et la modernisation du secteur des télécommunications au Maroc. En 1999, avec la scission de l'Office national des postes et télécommunications (ONPT), Maroc Telecom voit le jour, et Ahizoune en devient le président-Directeur général. Sous sa direction, l'entreprise connaît une transformation remarquable qui va s’accélérer avec sa privatisation partielle en 2001, l'entrée de Vivendi au capital marquant le début d'une phase de croissance et d'expansion.
Un leader panafricain
Sous la houlette d'Ahizoune, Maroc Telecom ne se contente pas de consolider son ancrage sur le marché national. L'opérateur adopte une stratégie ambitieuse d'expansion en Afrique. Dès 2001, il acquiert des participations majoritaires dans plusieurs opérateurs africains, notamment Mauritel en Mauritanie, Onatel au Burkina Faso, Gabon Télécom ou encore Sotelma au Mali. Cette diversification géographique permet à Maroc Telecom de s'imposer comme un acteur incontournable sur le continent. Une statistique témoigne de cette ascension.
En 2001, le chiffre d'affaires de Maroc Telecom s'élevait à 3,8 milliards de dirhams. Vingt trois ans plus tard, en 2024, il atteint 36,7 milliards de dirhams, soit pratiquement 10 fois plus. Cette croissance soutenue est le fruit d'une vision stratégique alliant innovation, diversification et investissement massif dans les infrastructures. Les filiales africaines, regroupées sous la marque Moov Africa, contribuent significativement à cette performance. Cette internationalisation, initiée sous la direction d'Ahizoune, a été un levier essentiel de résilience et de croissance pour le groupe.
Dans sa communication qui acte le départ de Ahizoune, le Conseil de Surveillance l’admet d’ailleurs, exprimant «sa gratitude pour ses contributions exceptionnelles à la croissance du Groupe au cours des 27 dernières années», non sans souligner que «son leadership décisif a joué un rôle clé dans l’essor panafricain du Groupe Maroc Telecom».
Cependant, et il faut en convenir, sa présidence n'a pas été exempte de turbulences. L'un des épisodes les plus marquants est le litige avec Wana Corporate, opérant sous la marque Inwi. Accusé de distorsion de concurrence et d'abus de position dominante, Maroc Telecom est condamné en 2024 à verser 6,4 milliards de dirhams à son concurrent. Cette sanction, confirmée en appel, porte un coup dur à l'opérateur, d'autant plus que le montant de l'amende dépasse le bénéfice net de 6,1 milliards de dirhams réalisé en 2023. Au total, l’opérateur a dû s'acquitter de plus de 12 milliards de dirhams en sanctions au cours des dernières années, selon son actionnaire de référence, e& Group (anciennement Etisalat). Qui considère ces pénalités comme «l’une les plus élevées du secteur des télécoms dans le monde, entravant ainsi les futurs investissements de Maroc Telecom».
Jusqu'en juillet 2024, e& Group avait ainsi maintenu, en des termes à peine voilés, son soutien à Ahizoune. «En tant qu’actionnaire majeur de MT, détenant 53% du capital, e& Group reste confiant quant à son respect continu de l'ensemble des lois et régulations en vigueur sur ses marchés. Le groupe estime fermement que la position juridique de Maroc Telecom est fondée (…)», pouvait-on lire dans un communiqué publié à l’époque. Cette position a-t-elle été réévaluée ?
Y a-t-il eu une prise de distance ? Nous n’avons qu’une certitude : ayant fait toute sa carrière dans les télécoms au Maroc, soit 48 ans, Ahizoune a accumulé une expérience et une expertise qui ont indéniablement contribué à développer et transformer ce secteur. Il a surtout façonné Maroc Telecom, lui donnant son statut de leader national et de géant panafricain.
Un nouveau souffle pour Maroc Telecom
Abdeslam Ahizoune passe le témoin à Mohamed Benchaâboun, désormais nouveau président du Directoire de Maroc Telecom. Qui hérite d’un navire qui a essuyé quelques tempêtes mais dont la structure reste solide.
L’arrivée de Benchaâboun est plus qu’un simple changement de gouvernance. Elle marque un tournant stratégique pour l’opérateur historique, qui doit composer avec un environnement de plus en plus concurrentiel et des exigences réglementaires renforcées. Reconnu pour sa carrière exemplaire et son expertise en matière de gestion économique et financière, son profil, à la croisée des sphères publique et privée, lui confère une légitimité indiscutable pour mener cette transition avec brio.
Ancien PDG de la Banque Centrale Populaire, ancien ministre des Finances et actuel DG du Fonds Mohammed VI pour l’investissement, son parcours témoigne de ses compétences managériales et de sa capacité à piloter des institutions de grande envergure. Apprécié des milieux d'affaires pour sa rigueur et son sens de l'écoute, Benchaâboun arrive à un moment charnière pour Maroc Telecom.
Le défi est de taille : renforcer la gouvernance du groupe et lui insuffler une nouvelle dynamique, tant au Maroc qu’à l’international. Son expérience, notamment dans la gestion de dossiers complexes et stratégiques, sera un atout précieux pour trouver… les bonnes connexions.
