Avec une "croissance importante" atteignant 7,4 millions de touristes au 1er semestre 2024, les perspectives sont très prometteuses pour le secteur.
Le Maroc reste une destination crédible qui bénéficie de la confiance des investisseurs et des touristes internationaux.
Entretien avec Said Tahiri, opérateur et expert en tourisme.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
La Quotidienne : Le tourisme national poursuit sa trajectoire ascendante avec 7,4 millions d'arrivées touristiques durant les six premiers mois de 2024. Comment expliquez-vous cette croissance exceptionnelle ? Quels sont les facteurs qui ont contribué à cette hausse significative de 14 % en comparaison avec l’année dernière ?
Said Tahiri : Nul ne peut contester que le tourisme au Maroc vit des jours heureux. Le secteur touristique marocain a récemment atteint des chiffres records, illustrant une gestion efficace, un développement robuste, faisant de notre destination la première à l’échelle africaine et l’une des premières sur le bassin méditerranéen et au niveau mondial.
Ainsi, à fin juin 2024, les arrivées aux postes frontières ont enregistré quelque 7 441 671 touristes, soit +14 % par rapport à la même période de l’année précédente, et +38 % par rapport à 2019, année de référence. Ces chiffres dépassent d’ailleurs de 900 000 touristes supplémentaires les prévisions initiales projetées dans le cadre de la feuille de route 2023-2026.
Les nuitées ont également augmenté de 8 %, celles liées au tourisme international ont augmenté de 13 % et les recettes en devises ont atteint 49 017 MDH, contre 47 914 MDH, qui était déjà un chiffre record une année auparavant.
Cette croissance s’inscrit aussi dans la continuité de la dynamique enregistrée. Déjà à fin 2023, le Maroc avait reçu plus de 14,5 millions de touristes, marquant près de 34 % de croissance par rapport à l’année précédente et générant, pour la première fois dans l’histoire touristique de notre pays, plus de 105 milliards de dirhams de recettes en devises.
Si l’année 2023 a été marquée par une croissance plus notable des Marocains du Monde, qui ont renoué avec des retours massifs pour leurs vacances dans leur pays d’origine, en 2024, les TES (touristes étrangers de séjour) de nos principaux marchés émetteurs classiques (Europe notamment : France, Espagne, Royaume-Uni, Allemagne, Belgique, Portugal) ont affiché une très belle croissance à deux chiffres pour la quasi-majorité.
Ces résultats ne sont pas le fruit du hasard. Il y a d’abord la gestion proactive et éclairée de la crise sanitaire qui a renforcé la crédibilité internationale du Maroc, assurant la sécurité et la confiance de ses visiteurs. Il y a aussi l’engagement et le professionnalisme de tous les acteurs du secteur et le renforcement de la coopération entre partenaires qui ont joué un rôle primordial dans cette trajectoire ascendante.
En effet, depuis la crise sans précédent que notre pays, comme le reste du monde, a connue avec la pandémie de la Covid-19, toute l’équipe Maroc (ministère, ONMT et professionnels représentés par la CNT) s’est retroussé les manches pour redonner ses lettres de noblesse au tourisme marocain.
L.Q : Quels sont justement les facteurs qui ont participé à cette hausse significative de 14 % en comparaison avec l’année dernière ?
S.T : Une feuille de route a été tracée avec des objectifs que certains ont jugés ambitieux, mais on se rend compte finalement qu’ils sont parfaitement réalisables. Cette initiative a permis de consolider nos acquis, d’anticiper les défis futurs et de renforcer la compétitivité du Maroc en tant que destination touristique majeure, capable de s’adapter de manière continue aux défis du marché mondial et de gérer de manière proactive les crises potentielles.
Nous avons dû faire face à plusieurs crises mondiales, y compris l’inflation, les tensions géopolitiques, ainsi qu’au séisme d’Al Haouz. Grâce à une gestion sage et mobilisatrice, nous avons réussi à atténuer les effets de ces crises et à faire du Maroc une destination crédible bénéficiant de la confiance des investisseurs et des touristes internationaux.
Les professionnels se sont engagés dans différents programmes structurants pour la mise à niveau du produit avec des investissements importants pour améliorer la qualité de l’expérience touristique. Je pense au programme d’urgence de deux milliards de dirhams lancé par le gouvernement en janvier 2022 pour soutenir les professionnels du tourisme, ce qui a permis non seulement de préserver les emplois mais aussi à plus de 800 entreprises de se préparer efficacement à la réouverture post-pandémique.
Ce soutien continue aujourd’hui avec des programmes ciblés (Go Siyaha, Cap Hospitality…).
Il y a aussi les campagnes de marketing et de promotion de la destination, plus ciblées et plus efficaces, pilotées avec beaucoup de maîtrise par les équipes de l’ONMT, avec bien entendu plus d’efforts pour améliorer l’accessibilité aérienne et renforcer la promotion digitale.
La campagne "Terre de lumière", lancée en avril 2022 dans une vingtaine de pays, a permis de mieux promouvoir notre destination tant sur le plan national qu’international. L’épopée de notre équipe nationale au Qatar a aussi permis de développer la visibilité du Maroc.
Je pourrais également citer d’autres facteurs ayant contribué à ce résultat : l’amélioration des infrastructures touristiques, dans les aéroports, les routes, les transports en commun, mais aussi dans les hôtels et resorts ; la stabilité politique et la sécurité dans notre pays, considéré aujourd’hui comme une "safe destination" ; le retour d’événements, festivals, congrès, qui ont joué un rôle important en attirant des visiteurs pour des occasions spécifiques ; certains accords bilatéraux favorisant le tourisme et des politiques de visa plus souples facilitant l'entrée dans le pays.
Tout cela représente un travail de fond de toutes les composantes du secteur, public et privé, travaillant ensemble pour la destination Maroc. Pourvu que ça dure.
Est-ce que cela est suffisant ? Clairement non. L’Europe continue à représenter 70 % de nos marchés, et Marrakech, Agadir représentent les deux tiers de notre activité touristique. Le potentiel du secteur touristique au Maroc est exceptionnel. Tout est à construire, et beaucoup de chantiers restent à mener.
La gouvernance, l’innovation, la durabilité et l’excellence des services touristiques sont des défis majeurs dans lesquels notre pays doit s’inscrire pour maintenir sa trajectoire de croissance positive et contribuer de manière significative à son développement économique et social global.
LQ : Le mois de juin a connu l'arrivée record de 1,5 million de touristes, en augmentation de 10 % par rapport à 2023. À cet effet, comment qualifieriez-vous la saison estivale ? Peut-on dire qu’elle sera prometteuse ?
S.T : Elle l’est, à condition de faire attention aux fondamentaux de notre secteur. La saison estivale a bien commencé, mais nous voyons déjà, ici et là, certains comportements qui ternissent l’image de notre destination.
Nous avons constaté des agissements immoraux de certains commerçants du tourisme (cupidité, escroquerie ou fraude) qui font mal à l’image de notre destination et ont contraint certains touristes locaux à préférer des destinations étrangères (Je rappelle que le tourisme interne représente près d'un tiers du tourisme national). Il faut donc que l’État assume ses responsabilités pour un meilleur contrôle des prix, quand cela est possible, afin que notre destination puisse continuer à rester compétitive.
Cela dit, le Maroc reste une destination très prisée dans les principaux marchés émetteurs. Les atouts touristiques de notre pays sont énormes, et il y a encore beaucoup de marges à exploiter, notamment dans les niches comme le tourisme d’affaires, le tourisme sportif ou encore le tourisme médical.
Les vrais professionnels du secteur ont démontré une grande maturité à travers les crises qu’ils ont traversées.
Néanmoins, il faut travailler davantage sur les fondamentaux, à savoir l’animation touristique, le renforcement des liaisons aériennes à des prix accessibles pour les touristes et les Marocains du Monde qui souhaitent visiter notre pays, l’amélioration de l’expérience client à travers l’aménagement de circuits touristiques mettant en valeur les atouts culturels, balnéaires, sportifs et de divertissement de notre pays, et bien entendu, le développement du capital humain garant de la qualité du produit proposé aux hôtes de notre pays.
LQ : Le renforcement du capital humain est l’un des piliers de la feuille de route du tourisme 2023-2026. Le Maroc vise l’excellence dans le service pour attirer plus de touristes. Quels sont les mécanismes que le Royaume peut mettre en place pour réussir ce challenge avec le but ultime d’accueillir 26 millions de touristes à l'horizon 2030 et 17,5 millions en 2026 ?
S.T : Jean Bodin disait qu’il n’y a de richesse que d’hommes... En effet, ce sont ces quelque 600 000 hommes et femmes qui travaillent directement dans le secteur, qui font apprécier notre culture, histoire, gastronomie, savoir-être et savoir-faire, et surtout qui font travailler indirectement plus de quatre fois plus de personnes, créant une intégration inclusive du tourisme à l’économie nationale.
Il faut donc prendre soin de ce capital inestimable, renforcer ses compétences et l’encourager à travailler dans les meilleures conditions. Des contrats-programmes avaient vu le jour Lors des dernières décennies, mais cela s’est avéré très insuffisant.
La Confédération nationale du tourisme, représentant les professionnels du secteur, et le ministère de tutelle lancent aujourd’hui des actions majeures pour le déploiement du Programme national de formation dans le tourisme, qui feront du capital humain une priorité et l’un des piliers stratégiques de la feuille de route du tourisme 2023-2026.
À rappeler que ces actions sont menées en partenariat avec l'OFPPT et le programme innovant KAFAA de validation des acquis de l'expérience (VAE), tous deux déployés avec la CNT.
Les programmes de renforcement du capital humain, Cap Excellence, la formation des Middle Managers aux soft-skills, leadership, savoir-être et savoir-faire sont de nature à renforcer les formations des métiers déployées et pourront appuyer la formation e-learning et les programmes de certification lancés pour plus de 2000 lauréats annuellement.
Ces initiatives permettent de faire face aux enjeux actuels en assurant des emplois de qualité dans le secteur et de les préparer aux enjeux à venir, notamment l’organisation de la coupe d’Afrique en 2025 et de la coupe du Monde 2030.
Je ne pourrais pas passer sous silence le programme KAFAA qui permet de valoriser les talents du secteur et de reconnaître leurs compétences à travers la valorisation des acquis professionnels.