La Tunisie traverse une période très mouvementée tant sur le plan politique qu’économique. Le président Kaïs Saïed a progressivement phagocyté l’espace politique depuis qu’il a pris le pouvoir en 2019. Du pouvoir, toujours plus de pouvoir pour un président omnipotent, qui gouverne le pays par décrets, réduisant le Parlement à une coquille vide spectatrice du jeu politique qui se joue devant elle. Ce n’est pas pour rien que l’opposition, qui décrie vivement le processus politique en cours, appelle régulièrement à la démission de Saïed.
Une opposition brimée, persécutée, muselée, sur fond d’arrestations arbitraires. Aujourd’hui, être opposant du président de la République, c’est tracer les sillons qui te conduisent vers un embastillement inévitable. Car dans l’entendement de l’homme au pouvoir, s’opposer à lui et critiquer ses choix et décisions politiques, est un acte criminel et de traitrise susceptible de nuire à la sécurité de l’Etat. Politiciens, juges, journalistes, membres de la société civile…, ils sont nombreux actuellement à avoir payé cher leur véhémence, à travers un séjour derrière les barreaux.
Ce 4 avril, Amnesty International appelait d’ailleurs à la libération des opposants politiques arrêtés. «Les autorités tunisiennes doivent abandonner une enquête pénale visant au moins 17 personnes, notamment des opposants politiques, sur la base d’accusations infondées de complot et libérer toutes les personnes appréhendées dans le cadre de l’enquête», dénonce l’organisation internationale, qui fait état d’une vague plus large d’arrestations visant des personnalités publiques depuis le 11 février.
Décrié sur le terrain politique, Saïed l’est aussi pour ses rapports aux migrants. Son discours de haine contre les Subsahariens fait toujours des vagues. Forcément, lorsqu’un chef d’Etat affirme que les «hordes de migrants illégaux» en provenance des pays africains subsahariens s'inscrivent dans «un plan criminel visant à modifier la composition du paysage démographique de la Tunisie» et sont à l'origine «de violences, de crimes et de pratiques inacceptables», cela crée de l’indignation. C’est pourquoi le Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination raciale a fermement réagi, mardi dernier, demandant aux autorités tunisiennes de cesser les «discours de haine raciste».
Le Comité se dit ainsi «profondément préoccupé par une recrudescence des discours de haine raciale ou xénophobe en Tunisie à l'encontre des migrants des pays subsahariens, sur les réseaux sociaux et certains autres médias, y compris les discours de haine raciste tenus par des personnalités privées et des partis politiques». Au fait, que veut vraiment Kaïs Saïed ? Gouverner ad vitam æternam, dans une Tunisie débarrassée des migrants subsahariens. Peut-être nourrit-il aussi le rêve de mourir au pouvoir. Comme ce dont rêvent certains chefs d’Etat africains.
Aujourd’hui, force est d’admettre que Kaïs Saïed est grisé par le pouvoir. Ce qui le pousse à asphyxier la vie politique et sociale, mais également l’économie du pays. Le taux d’inflation atteint 10,4% en février 2023, pour un taux de chômage à 15%. La note souveraine de la Tunisie a été abaissée à «risque élevé» par Moody’s, qui évoque un «risque de défaut de paiement de la dette».
L’instabilité politique du pays et le risque d’explosion, auquel s’ajoute le discours xénophobe de Saïed ont amplifié la méfiance des institutions financières internationales. Le 6 mars dernier, la Banque mondiale a ainsi décidé de reporter sine die l’examen du Cadre du partenariat pays avec la Tunisie (2023-2027). Pour l’heure, le partenariat bilatéral est donc rompu. Parallèlement, la Tunisie négocie depuis plusieurs mois un prêt de 1,9 milliard de dollars avec le FMI, enveloppe qui devrait apporter un bol d’air frais à une économie en déliquescence.
Voilà le visage qu’offre actuellement la Tunisie de Saïed. Un président qui semble avoir terni l’esprit de la «Révolution de jasmin» pour semer les miasmes d’un pouvoir autocratique.
Par D. William