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Universités à accès ouvert: Le décrochage prend de l’altitude

Universités à accès ouvert: Le décrochage prend de l’altitude

Le décrochage universitaire augmente au Maroc à une vitesse alarmante. Selon le ministère de tutelle, près de 50% des étudiants inscrits dans les différentes facultés du Royaume mettent un terme à leur parcours avant d’obtenir un diplôme.

Mauvaise orientation, faible niveau d’encadrement, hausse du taux de chômage chez les diplômés universitaires…, sont entre autres les raisons qui mènent certains étudiants à l’abandon de leurs études.

 

Par M. Ait Ouaanna

 

Après avoir décroché le baccalauréat et rejoint les rangs de l'université, plusieurs étudiants choisissent d’abandonner le navire en pleine mer. Bien que la perspective d'obtenir un diplôme universitaire soit alléchante, beaucoup de jeunes quittent, pour une raison ou une autre, leurs études à mi-chemin. Aujourd’hui, la situation est plus que jamais inquiétante. Les chiffres récemment dévoilés par le ministère de tutelle illustrent clairement que le décrochage universitaire se propage comme une traînée de poudre au Maroc.

Le 9 janvier dernier, le ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l'Innovation, Abdellatif Miraoui, a annoncé, dans le cadre d’une présentation faite devant le Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique, que 49,4%, soit près de la moitié des étudiants inscrits dans les différentes facultés du Royaume, quittent l’université sans avoir obtenu leur diplôme. Autre point alarmant : la majorité des étudiants universitaires ne parvient à décrocher leur licence qu’après 4 ou 5 années d'allersretours à la fac, alors que seuls 25% arrivent à l’obtenir en trois ans. En effet, le phénomène prend de l'ampleur à mesure que les années avancent. En 2018, l’ex-ministre de l’Enseignement supérieur, Saaïd Amzazi, avait révélé un taux total de déperdition de 43%, signalant que 25% des étudiants nouvellement inscrits dans les facultés marocaines ne dépassent pas le premier semestre. Notons par ailleurs que ces taux élevés de décrochage universitaire concernent essentiellement les établissements à accès ouvert. En revanche, les écoles, instituts et facultés à accès régulé sont souvent à l’abri de ce fléau.

«Le décrochage au niveau de la formation universitaire existe dans tous les systèmes éducatifs mais ce taux avoisinant les 50% est anormalement haut. Toutefois, il faut préciser que ce pourcentage concerne essentiellement les facultés à accès ouvert, c'est-à-dire celles auxquelles les étudiants peuvent accéder sans condition de moyenne et sans concours. Il s’agit des facultés des lettres et des sciences humaines, les facultés des sciences et les facultés des sciences juridiques, économiques et sociales qui absorbent l'essentiel des étudiants universitaires au Maroc», explique Abdellatif Komat, doyen de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales (FSJES) à l’Université Hassan II de Casablanca. Ce qui intrigue le plus, c'est ce qui se cache derrière. Pourquoi tant d'étudiants n’arrivent pas à aller jusqu’au bout de leur parcours universitaire ? Qui doit-on blâmer ? Des étudiants qui manquent de motivation et de persévérance, des parents désinvestis ou un système éducatif inadéquat ?

Selon Abdelfattah El Belamachi, professeur de droit public à l’Université Cadi Ayyad à Marrakech, et président du Centre marocain de la diplomatie parallèle et du dialogue des civilisations, le décrochage universitaire est «l'un des problèmes majeurs auxquels est confronté l'enseignement supérieur au Maroc, particulièrement au niveau des établissements à accès libre. Ce phénomène est le résultat de multiples circonstances : d’une part, celles liées au système éducatif, et d’autre part, celles relatives aux conditions sociales des étudiants et de leurs familles».

 

Des universités aux effectifs pléthoriques

Effectivement, les universités à accès ouvert sont pointées du doigt pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ces établissements sont aux prises à une surcharge de population. Au titre de l’année universitaire 2021- 2022, l’effectif global des étudiants a atteint 1.061.256, contre 989.899 en 2020-2021, soit une augmentation de 71.357 étudiants, sachant que les statistiques fournies par le ministère de tutelle au cours de la période précitée font état d’une capacité d’accueil globale, en matière de places physiques, au niveau des universités du Royaume, de 548.076, dont 360.563 places pour les établissements à accès ouvert et 187.513 pour les établissements à accès restreint. Cette surpopulation donne lieu à un ratio étudiant-enseignant en deçà des normes requises, ce qui, par conséquent, met en péril la qualité de la formation. «Les conditions d'enseignement dans les universités à accès ouvert sont assez contraignantes puisqu'on est dans la massification. Et pendant les cours magistraux, il y a peu d'interactivité et peu de proximité avec les enseignants qui doivent s’acquitter de la tâche ardue de diriger des amphis avec plusieurs centaines d'étudiants», confirme Abdellatif Komat. Selon les chiffres récemment dévoilés par le ministre Abdellatif Miraoui, les universités publiques comptent en moyenne 120 étudiants pour chaque professeur, ce qui ne respecte pas les exigences nécessaires. Ce faible niveau d’encadrement est par ailleurs renforcé par la pénurie d’enseignants dont souffre le secteur depuis plusieurs années. D’après les données disponibles sur le portail du ministère de tutelle, l’effectif global d’enseignants permanents dans les universités à accès ouvert s’est élevé à 15.830 en 2021-2022. Ce nombre est certes en progression par rapport à celui enregistré au titre de l’année universitaire 2020-2021, qui était de 15.325, mais demeure tout de même insuffisant pour répondre aux besoins d’un total de 1.061.256 étudiants.

 

Une formation qui ne garantit pas l'employabilité

Trop d’étudiants, mais pas assez d’enseignants pour les encadrer et les accompagner : cela n’est en effet qu’une goutte d’eau dans un océan de facteurs qui mènent vers le décrochage universitaire. Outre la surpopulation et le faible niveau d’encadrement, d’autres motifs poussent les étudiants à décrocher. Il s’agit entre autres de l’inadéquation de la formation avec les besoins du marché du travail.

«Le problème réside également au niveau de la nature des formations offertes, qui ne répondent peut-être pas à des besoins très pratiques, très pointues et c'est pour cela qu'il faut diversifier davantage, aller vers des formations en réponse aux besoins du marché», insiste le doyen de la FSJES Aïn Chock. Ce qui ajoute une dimension supplémentaire à la gravité de la situation est que cette déconnexion de la formation des besoins actuels du marché provoque la hausse du taux de chômage chez les diplômés universitaires. C’est d’ailleurs pour cette raison que Mehdi, 21 ans, a mis un terme à ses études en décidant de ne pas s’inscrire à sa deuxième année à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Meknès (FSJES) relevant de l'Université Moulay Ismail.

«Lorsque je me suis inscrit à l’université, j’étais plein d’espoir et je pensais sincèrement qu’une licence en économie m'ouvrirait la porte à un avenir brillant. Mais rapidement je me suis rendu compte qu’en réalité, les perspectives offertes par la faculté n'étaient pas très intéressantes. J’ai été très déçu en constatant que plusieurs personnes de mon entourage ne parviennent pas à décrocher un emploi malgré l’obtention d’un diplôme universitaire. C’est à cet instant précis que j’ai réalisé que cette situation ne me convient pas et que c’est une véritable perte de temps et d’argent. C’est pour cette raison que j’ai décidé d’abandonner mes études et de m’investir dans le business familial», nous confie Mehdi, avant de poursuivre : «Je sais que c'est une décision qui pourrait être mal interprétée, mais je pense que c'est le meilleur choix que je puisse faire et je suis convaincu que cela m'offrira plus d'opportunités».

Selon Abdellatif Miraoui, le taux de chômage parmi les diplômés des universités à accès ouvert dépasse les 18% et que ce pourcentage se situe à 8,5% chez les lauréats des établissements à accès limité. S’expliquant plus en détail, le ministre a précisé que cette situation est essentiellement due au manque de compétences linguistiques, qui représente un frein à l’intégration de ces diplômés sur le marché de l’emploi. Justement, le motif cité par ce responsable gouvernemental est également considéré comme une cause du décrochage universitaire. Ne parvenant pas à s’adapter à un enseignement majoritairement francophone, certains étudiants jettent l’éponge et abandonnent leurs études.

 

Quitter les études pour aller travailler

Par ailleurs, la tendance à la hausse du taux de décrochage universitaire est également liée au choix que font certains étudiants, qui préfèrent se lancer dans le monde du travail plutôt que de poursuivre leurs études. Ce phénomène est si répandu que, de nos jours, certaines entreprises ne fixent pas le diplôme comme critère de recrutement. «Aujourd’hui, certaines administrations recrutent des profils BAC+1 ou BAC+2, ce qui incite beaucoup de jeunes à quitter le monde universitaire, alors qu’ils viennent tout juste d’entamer leur parcours», se désole Abdellatif Komat.

 

L’orientation : Le parent pauvre de la sphère éducative

D’un autre côté, le décrochage universitaire est très fréquemment attribué à une mauvaise orientation. «Parfois, les conseils d’orientation donnés aux bacheliers conduisent à la propagation d’une idée selon laquelle quelques spécialités sont sans importance et ne permettent pas de s'insérer sur le marché du travail, ce qui explique la grande pression sur certaines spécialités. Certains parents obligent leurs enfants à suivre un chemin qu’ils n’ont pas choisi, ce qui mène en fin de compte à l’abandon. Par ailleurs, plusieurs étudiants se retrouvent forcés de faire des choix alternatifs en cas de non-admission dans une filière ou un établissement soumis à un concours, ce qui les conduit inexorablement au décrochage», fait savoir le professeur Abdelfattah El Belamachi.

Même son de cloche chez Abdellatif Komat, qui explique que le décrochage est principalement provoqué par «le manque de motivation de certains étudiants pour les formations auxquelles ils accèdent et qui ne constituent pas forcément leur première préférence. Au Maroc, la capacité d'accueil au niveau des établissements à accès régulé, à savoir les écoles de gestion, les écoles d'ingénieurs, les facultés de médecine et toute autre école spécialisée, est limitée, ce qui fait que tout le reste est obligé d'aller vers les universités à accès libre, qui ne sont souvent pas le choix privilégié». Mais alors qu’en raison d’une mauvaise orientation certains jeunes mettent un point final à leurs études, d'autres choisissent de se réorienter vers une autre formation, ce qui est considéré par les professionnels comme une sorte de décrochage partiel. «Dans certains cas, le décrochage est lié à un problème d'orientation, ce qui fait que l'étudiant quitte un établissement pour aller vers un autre ou pour aller vers la formation professionnelle. Dans ce cas-là, il ne s’agit pas d’un décrochage total, mais plutôt d'une réorientation», précise Abdellatif Komat.

Plusieurs autres raisons poussent les jeunes à ne pas aller au bout de leurs études. Il s’agit notamment de «l'éloignement des étudiants des universités, en particulier ceux qui habitent dans des zones rurales, le mariage précoce, surtout chez les étudiantes, ainsi que la situation sociale défavorable qui contraint certains parents à pousser leurs enfants à travailler au lieu de les inciter à poursuivre leurs études», détaille Abdelfattah El Belamachi. En définitive, le phénomène du décrochage universitaire gagne de plus en plus de terrain au Maroc, exigeant ainsi une intervention immédiate. «Il est important de mettre en place une approche intégrée qui va s’attaquer à la structure du système éducatif. Il est également indispensable de revoir toutes les spécialités proposées au sein de nos universités en développant notamment le contenu de chaque filière, de façon à l’adapter aux nouveaux besoins du marché du travail», estime Pr. Abdelfattah El Belamachi, qui souligne que les institutions concernées sont constamment engagées dans la lutte contre ce fléau.

Rappelons que le ministre Abdellatif Miraoui a récemment affirmé que, dans le cadre du Plan national d’accélération de la transformation de l’écosystème de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l’innovation (Pacte ESRI 2030), son département prévoit de développer l'offre de formation, de la diversifier et de l’adapter aux exigences du marché de l’emploi ainsi qu’aux besoins des filières territoriales en capital humain, ce qui va par conséquent contribuer à la baisse du taux du décrochage universitaire. 

 

 

Atténuer le décrochage universitaire : Ce que propose Abdellatif Komat, doyen de la FSJES à l’Université Hassan II de Casablanca
Orientation : En ce qui concerne les propositions de solutions, il faut d’abord renforcer l'orientation qui constitue un axe très important. Il est indispensable de permettre aux étudiants de choisir une formation par conviction.
Adapter la formation aux besoins : Deuxièmement, il faut diversifier l'offre de formation en allant vers des formations plus pointues et en adéquation avec les besoins du marché du travail.
Formations partenariales : Troisièmement, aller vers des formations partenariales, c'est-à-dire des formations en collaboration avec le milieu professionnel, comme par exemple les fédérations, les associations ou encore les ministères, de manière à ce qu’ils participent à l'ingénierie de formation et à la conception des programmes. Cela va faire en sorte que les formations soient adaptées à leurs besoins. Certaines universités ont déjà adopté cette stratégie et cela a porté ses fruits.
S’ouvrir sur le digital : Enfin, il faut penser à perfectionner les méthodes d'enseignement. Aujourd'hui, nous sommes face à un public d'étudiants très ouvert sur le digital et qui a besoin de plus de pratique. Il est donc important de miser sur l’innovation pédagogique et d’opter pour une méthode d’enseignement qui puisse intéresser les jeunes. Aujourd’hui, le ministère de tutelle est bien conscient de ces défis et la réforme en cours prend en considération toutes ces questions.

 

 

 

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