Le Parlement tient sa session de printemps à compter de ce vendredi 14 avril, conformément aux dispositions de l'article 65 de la Constitution. La précédente, en automne, est surtout consacrée à la délibération du projet de Loi de Finances pour l'année suivante. Des textes législatifs importants sont prévus. Mais n'est-ce pas le contexte politique actuel qui donne un relief particulier à la vie parlementaire qui reprend ?
Par Mustapha SEHIMI
Professeur de droit (UM5R)
Politologue
Une première interrogation regarde l'état de la majorité. Comment se porte-t-elle ? Force est de faire ce constat : il y a de l'eau dans le gaz... Sur le papier et dans le discours officiel des trois composantes de ce cabinet, pas d'inquiétude. Deux mois après son investiture, le RNI, le PAM et le PI avaient signé la «Charte de la majorité» se déclinant autour de principes de concertation et de solidarité ainsi que de procédures appropriées dans l'institution parlementaire et au niveau des régions et d'autres collectivités territoriales.
Inconfort du PI
Ce cadre a-t-il fonctionné dans des conditions satisfaisantes ? Voire. Les réunions ont été peu nombreuses, il faut bien le dire; les «états d'âme» dans les rangs ne manquent pas; le RNI relève au passage le peu de soutien de ses deux alliés alors que son président, Aziz Akhannouch, est fortement interpellé par des partis de l'opposition (PJD, MP, PPS) et plus encore sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, il est connu que la formation istiqlalienne de Nizar Baraka ne cache pas son inconfort. Cela tient en particulier à sa participation minorée dans le cabinet actuel avec seulement quatre départements pour 81 sièges alors que le PAM en a obtenu sept avec seulement six sièges de plus. Ce climat s'est quelque peu dégradé avec la dernière sortie du secrétaire général de l'UGTM, l'istiqalien Naâm Miyara, président de la Chambre des conseillers, à l'occasion de la célébration du 63ème anniversaire de la création de ce syndicat. Il a ainsi apostrophé et même tonné contre le gouvernement à propos de ces deux dossiers en instance : celui de la cherté de la vie, de la détérioration du pouvoir d'achat des citoyens et de la flambée des prix; et celui du dialogue social qui doit mettre en œuvre et appliquer les engagements pris dans l'accord du 30 avril 2022. Une tonalité critique que l'on retrouve du côté du PAM, même si elle demeure encore moins marquée. Sauf à préciser qu'en novembre dernier, le chef du groupe parlementaire de ce parti a été démis pour avoir critiqué sévèrement le gouvernement dans la discussion budgétaire et du programme Forsa. De quoi nourrir et relancer bien des rumeurs persistantes sur un éventuel remaniement du cabinet actuel...
Cela dit, des textes importants sont inscrits pour cette session. Le premier d'entre eux intéresse la présentation et la délibération de rapports d'évaluation des politiques publiques préparés depuis pratiquement un an - réforme de l’administration publique de 2018 à 2021, la politique de l'eau avec des recommandations sur cette problématique stratégique, l'approvisionnement des marchés autour des questions touchant l'inflation, la réglementation des prix, les relations avec les acteurs et les circuits économiques, le rôle du Conseil de la concurrence, la politique des importations et des exportations. Autre bloc : le chantier de la protection sociale et de la santé avec six projets de loi débattus au sein de la commission des affaires sociales depuis février dernier. Pour ce qui est de la diplomatie parlementaire, l'agenda a retenu en juin prochain une conférence internationale, à Marrakech, en partenariat avec l'Union interparlementaire autour du thème de l'avenir des trois religions. Il faut y ajouter d'autres rendez-vous liés à des congrès et à des visites dans plusieurs pays. Ce que l'on ne sait pas en revanche, c'est la question de la normalisation des relations avec le Parlement européen lesquelles accusent un gel par suite de résolutions hostiles en janvier puis en février dernier…
Et le Code pénal, et la Moudawana ?
Le travail parlementaire va-t-il être plus efficient ? L'absentéisme des élus demeure préoccupant. De plus, un meilleur équilibre entre les projets de loi du gouvernement et les propositions de loi d'origine parlementaire n'est pas réglé. C'est qu'en effet, perdure un grand déséquilibre en la matière, plus de 90% des lois retenues et votées émanant du gouvernement. L'article 82 de la Constitution donne sans doute la priorité dans l'ordre du jour de chaque Chambre au gouvernement; il précise aussi qu'une journée par mois au moins est réservée à l'examen des propositions de loi dont celles de l'opposition. Mais dans la pratique, l'exécutif veille à corseter les propositions de celle-ci – et même des groupes de sa majorité -ne permettant pas l'exercice équitable de la fonction législative.
Reste d'autres grands chantiers qui ne paraissent pas pour l'heure en tout cas être programmés dans les mois à venir. Le premier a trait à la réforme du code pénal et du code de procédure pénale. Le département de la Justice répète que ses projets sont prêts. La législation actuelle appelle une profonde refonte, le Code pénal datant de plus de soixante ans (26 novembre 1962. Le spectre à revoir est large : exercice des cultes, relations sexuelles en dehors du mariage, reconnaissance de paternité, avortement, liberté d'expression et diffamation, peine de mort, respect de la vie privée, harcèlement des femmes et violences conjugales, code la nationalité..., liberté de religion ou de conviction. Le second chantier regarde, lui, la mise à plat de la Moudawana demandée instamment dans le discours Royal de la Fête du Trône, l'année dernière. La société civile s'est de nouveau remobilisée à cet égard. Mais qu'en est-il du Gouvernement ? Une réforme éligible à un nouveau projet de société avec ses valeurs de modernité et d’équité. Une équation qui se pose également avec l’introuvable refonte du Code du travail devant réarticuler les relations sociales dans l’appareil productif.