L’opposition estime qu’il n’y a aucune raison de les reporter et reste convaincue qu’elles auront lieu fin septembre prochain.
La tentation sera grande pour le gouvernement de brandir les dividendes de la gestion de la Covid-19 à des fins électorales, mais il faudra aussi en assumer le passif.
Par D. William
Les élections législatives 2021 se tiendront-elles comme prévu cette année ? La question mérite d’être posée, surtout dans ce contexte de crise sanitaire. Il est vrai que le démarrage de la campagne de vaccination et l’immunité collective attendue plaident, a priori, pour la tenue de ces législatives. A priori seulement. Car, avec le temps, le coronavirus a appris aux gouvernants de ce monde à ne pas trop s’aventurer dans les prévisions. Jusqu’à présent, il a déjoué tous les pronostics.
Et si tant est que seul sera pris en compte le critère sanitaire pour tenir ces élections, il faudra ainsi composer avec la situation épidémiologique au niveau national dans les prochains mois. En effet, toutes les décisions prises par les pouvoirs publics jusque-là, qu’elles soient d’ordre économique ou qu’elles relèvent des restrictions des libertés individuelles, ont pour socle commun l’évolution de la situation sanitaire. Qu’en sera-t-il d’ici septembre prochain? Le Maroc aura-t-il réussi à suffisamment maîtriser l’épidémie ?
Répondre en ce moment à ces interrogations serait pour le moins hasardeux, au moins pour deux raisons. La première a trait au déroulé de la campagne de vaccination, car atteindre l’immunité collective tant souhaitée par les autorités suppose que le Royaume puisse vacciner toute la population cible, à savoir 25 millions de personnes.
Or, il faut jouer des coudes sur le marché international des vaccins pour recevoir les doses commandées, en raison d’une demande largement supérieure à l’offre. Et si le Maroc ne reçoit pas ses 65 millions de doses commandées, il ne pourra pas respecter son calendrier de vaccination, c’est-à-dire trois mois comme initialement annoncé, pour tout boucler début mai.
La seconde raison tient au coronavirus… et à ses nombreuses mutations qui ont contraint plusieurs pays, malgré des campagnes de vaccination de grande envergure, à se barricader de nouveau. C’est dire qu’il faudra que les vaccins actuels soient suffisamment efficaces pour permettre de neutraliser la pandémie et, enfin, passer à autre chose.
La crise sanitaire fausse la donne
Que l’on ne s’y trompe pas ! Même si les yeux sont rivés actuellement sur la campagne de vaccination, les politiques ont en tête l’échéance qui s’approche. La décence veut, dans ce contexte où le Maroc compte ses malades et ses morts du coronavirus, qu’ils fassent profil bas pour le moment. Mais ils s’y préparent. Sauf que cette crise sanitaire peut considérablement influencer les résultats des urnes si les élections sont effectivement maintenues cette année. Au profit de qui? C’est à voir. Rappelons-nous que si Donald Trump a perdu les élections présidentielles, c’est à cause de la gestion chaotique de la pandémie aux Etats-Unis.
Alors, au Maroc, la tentation sera grande pour ceux qui sont au pouvoir de s’approprier les dividendes de la gestion de cette crise sanitaire, notamment durant la période de confinement. Période où les mesures drastiques prises et la forte mobilisation des autorités et des citoyens ont permis de contenir l’épidémie.
Cette gestion sanitaire, saluée à l’époque même à l’international, s’est non seulement accompagnée d’un soutien économique conséquent aux différents secteurs touchés par la crise et à l’informel, mais aussi d’une forte réactivité d’une partie du tissu industriel, qui a su faire preuve d’agilité pour rapidement se convertir en producteurs de masques.
Le pouvoir en place ne se priverait pas, aussi, de s’auto-congratuler si la campagne de vaccination est menée à son terme dans les délais, avec la perspective d’une relance plus soutenue de l’économie. Tout cela ne semble pas inquiéter l’opposition, qui milite ardemment pour la tenue de ces élections et qui est convaincue qu’elles auront bien lieu cette année.
«Il n’y aura pas de report des élections législatives. La loi n’a prévu cette éventualité que dans deux cas de figure, à savoir une catastrophe naturelle majeure qui devrait empêcher les citoyens d’aller voter ou le prolongement du mandat des institutions à travers un référendum», explique Nabil Benabdallah, secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme (PPS).
«Certains évoquent le retard pris dans l’établissement des lois sur les élections, mais cela n’est que de la spéculation; les textes seront disponibles dans les semaines à venir. On évoque également la pandémie comme facteur pouvant retarder les élections, mais la situation sanitaire est maîtrisée et la campagne de vaccination a démarré et sera bouclée comme prévu. Le retour à la vie normale est prévu à partir du début du second semestre, alors que les élections législatives devront se dérouler fin septembre. Nous devrons d’ici là créer un climat de confiance pour intéresser les citoyens à la vie politique et les inciter à aller voter, car il y a un vrai risque d’absentéisme», ajoute-t-il. De son côté, Abdellatif Ouahbi, secrétaire général du Parti authenticité et modernité (PAM), ne dit pas autre chose.
«Il n'y a aucune raison qui peut justifier le report des élections, excepté les clauses nommément citées par la loi. Et ce, d'autant plus qu’un report n'aura aucun soutien populaire, car les citoyens n'ont plus confiance dans ce gouvernement et veulent le changement. Ils aspirent à un nouveau souffle, surtout que le pays est confronté à une crise profonde et a besoin de temps pour se redresser. Il y a un manque de visibilité très inquiétant qui perturbe les opérateurs, les investisseurs et tous les Marocains», assène-t-il.
Dans le même ordre d’idées, l’opposition peut avoir son mot à dire dans la gestion de cette crise, car tout n’a pas été parfait, au regard notamment de la forte dégradation de la situation épidémiologique au lendemain du déconfinement et du retard pris dans le démarrage de la campagne de vaccination.
D’ailleurs, lors de sa réunion périodique du 19 janvier dernier, le PPS avait déjà commencé à chercher des poux au gouvernement, l’appelant «à dévoiler les difficultés qui entravent le lancement de l’opération de vaccination et les justifications qui expliquent le retard enregistré par rapport à la date annoncée».
Une longueur d’avance pour le gouvernement en place ?
En l’absence de sondages officiels, difficile de savoir si la cote de popularité du gouvernement s’est renforcée ou non. Mais il faut convenir que cette crise n’a pas favorisé l’expression des courants d’opinion pluriels. L’opposition s’est montrée, durant les premiers mois de la pandémie, relativement discrète et solidaire de l’action gouvernementale, au nom des intérêts supérieurs de la Nation, alors que le pouvoir en place était omniprésent dans les médias.
Expliquant et réexpliquant ses décisions, marquant des points et devenant presque sympa-thique. Aujourd’hui, avec le recul que confère la durée de cette pandémie, les citoyens ont un regard plus lucide sur la situation. Car si les politiques en charge des affaires du Royaume utilisent la gestion de cette crise à des fins électorales, il faudra aussi qu’ils en assument toutes les conséquences : la perte des vies humaines, la faillite de milliers d’entreprises, la hausse du taux de chômage, la détresse psychologique de nombreux citoyens…
Sans oublier le fait que tous les ministres du gouvernement ne sont pas logés à la même enseigne. Certains ont fait le job et ne souffrent d’aucune critique; d’autres, par contre, sont très controversés. Et si campagne électorale il y a, ceux aux manettes seront d’ailleurs les premiers à se crêper le chignon en portant sur la place publique les ratés de leurs «camarades» de la coalition. Une coalition hétéroclite et fragile, affichant une unité de façade et qui n’a tu ses divergences qu’à la faveur de cette crise sanitaire.
La récupération politique de la Covid-19 a donc ses limites, dictées notamment par le fait qu’au moment de faire les comptes, les actions et l’étiquette politique des uns et des autres seront mises sur la balance par les électeurs. Lesquels, n’en doutons pas, sont parfaitement conscients que toutes les grandes décisions prises pour gérer cette pandémie sont le fait du Souverain.
Et cela va, entre autres, de la création du Fonds spécial Covid-19 à la mobilisation de 120 milliards de DH pour la relance économique, en passant par la généralisation de la couverture sociale au profit de tous les Marocains. En définitive, comme lors de toute élection, il faudra se préparer à une véritable foire d’empoigne.