J’ai eu une discussion mercredi dernier avec une connaissance établie à l’étranger. Je tenais à partager avec vous ses confidences, où se mêlent anecdotes parfois risibles avec le recul et vérités effrayantes. Morceaux choisis.
- Quand nous sommes arrivés ici, notre fils âgé de 1 an à l’époque a eu, un soir, des difficultés pour respirer. Nous l’avons emmené aux urgences vers 22 heures, mais il n’a été pris en charge que des heures plus tard. Il avait l’asthme du nourrisson. On lui a mis une chambre d’inhalation. Nous sommes repartis deux heures plus tard. Mais rebelote : une fois arrivés à la maison, nouvelle crise, retour à l’hôpital et même traitement. Le médecin nous dira après : «vous pouvez partir, mais ne revenez que lorsqu’il commence… à bleuir (sic !)».
- Il y a quelques mois, ma sciatique s’est déclenchée alors que j’étais au sous-sol de notre immeuble. La douleur était si atroce que je ne pouvais plus remonter, même avec l’aide de la famille et d'amis. On a dû appeler pour qu’on nous envoie une ambulance. Manque de pot, aucune n’était disponible. Quand elle est enfin arrivée deux heures plus tard, point de brancard. Les ambulanciers ont dû me porter à bout de bras. Mes cris de douleur ont réveillé toute ma rue. A l’hôpital, faute de lit disponible, j’ai été mis en attente dans un espace aménagé à côté du standardiste. Je n’ai été pris en charge qu’à 17 heures, soit presque 12 heures après mon arrivée.
Ma sciatique nécessite une opération. On m’avait alors donné le choix : soit rester à l’hôpital et attendre d’avoir un rendez-vous avec le chirurgien, soit rentrer à la maison et y poursuivre le traitement. J’ai choisi la seconde option… Et depuis plusieurs mois, j’attends que l’on m’appelle. J’essaie de tenir le coup grâce aux antidouleurs.
Je m’en gave même. Je prends de la morphine plusieurs fois par jour, en sachant que cela pourrait ruiner ma santé. Mais je n’ai pas le choix.
L’unique solution que j’ai pu trouver en ce moment, c’est une injection de cortisone, et pour cela j'ai dû me déplacer difficilement (en avion) dans une autre ville pour la faire. Cela m’a permis de soulager un peu les douleurs et de pouvoir enfin m’asseoir un peu.
- Dans ce système de santé, les femmes peuvent attendre 1 à 1 an et demi pour une chirurgie en gynécologie.
- Un ami avait un problème au genou en 2019. Il a pu avoir un rendez-vous… en 2021, soit presque deux ans d’attente. Entretemps, il avait fini sa formation et est reparti au Maroc se faire soigner.
- Ce système de santé a fait fuir des ressortissants étrangers, mais aussi des nationaux, surtout les ménages où l’un des membres de la famille est atteint d’une maladie chronique.
- Aujourd’hui, j’avoue que j’ai peur. Je traine une maladie qui me handicape énormément dans mon quotidien et sur le plan professionnel. Je ne sais pas quand est-ce que je vais être pris en charge et être opéré, ni dans quel état je serai à ce moment-là.
J'ai lu dans dans la presse de ce pays qu'en septembre 2008, un homme est mort après avoir passé plus de 30 heures aux urgences sans être pris en charge. Ma connaissance confie avoir par la suite compris pourquoi les personnes qu'elle rencontrait aux urgences avaient par devers eux des couvertures et autres bouquins pour tuer le temps. Si ce dernier ne les tue pas.
Où se trouve cette connaissance à votre avis ? Pas au fin fond d’un trou perdu dans l’Arctique ou l’Antarctique. Pas dans le désert de Dzoosotoyn Elisen (région autonome chinoise du Xinjiang). Pas dans les deux pays les plus pauvres au monde, que sont le Burundi et la Sierra Leone.
Non. Notre interlocuteur se trouve… au Canada, au pays à la feuille d’érable. De quoi tomber des nues !
Pour me faire une idée plus précise, j’ai quand même voulu avoir une autre source d’information, une version contradictoire. Alors, j’ai fait appel à mon pote Google.
Google m’apprend que le système de santé est «gratuit», à travers 13 régimes d'assurance-maladie provinciaux et territoriaux. Gratuit ? Pas tout à fait. Les Canadiens ne paient certes pas pour le service lorsqu’ils se rendent à l'hôpital, mais les soins de santé sont financés par les impôts, donc par eux.
L'assurance-maladie du Canada est un système de santé à payeur unique : le gouvernement paie tous les services de santé grâce à des fonds publics. Il existe donc des prestataires de soins de santé privés, que le gouvernement paie directement.
Ainsi, la couverture universelle pour les services de soins de santé médicalement nécessaires, offerts selon les besoins plutôt que la capacité de payer, procède d’une bonne intention : justice et équité en matière d’accès aux soins, les plus nantis étant logés à la même enseigne que les plus démunis.
Mais ce système a une terrible limite : la lenteur dans la prise en charge des malades, ce qui, conséquemment, peut conduire à des situations dramatiques.
Dans un article paru sur lemonde.fr de septembre 2022, le directeur du pôle santé à HEC Montréal, Denis Chênever, expliquait à juste titre que «nous avons beau être au sein des pays de l’OCDE parmi ceux qui investissent le plus dans le système de soins, nous restons parmi les plus mauvais élèves en termes d’accès aux soins».
Quid du Maroc ?
Pourquoi ai-je tenu à vous rapporter cette conversation ? Parce que plus de 100.000 ressortissants marocains sont établis au Canada. Ironie du sort, hormis les étudiants, la plupart d’entre eux ont choisi d’émigrer dans ce pays pour avoir une meilleure qualité de vie et un salaire plus élevé. Mais à quoi cela sert-il d’amasser un paquet de fric si l’on n’arrive pas à se faire soigner lorsqu’on est malade ?
Notre connaissance n'exclut pas de faire le chemin inverse : se taper plus de 7.600 km en avion pour revenir au Maroc et se faire opérer d’une sciatique. Ce n’est pas une fable !
Le système de santé marocain est pourtant toujours vertement critiqué. Il a ses failles et ses limites, c’est vrai. Il est aussi jugé inéquitable par certains, et l’on en convient. Mais aucun patient ayant les moyens de se rendre dans une structure privée ne va crever sur un brancard faute de soins.
Mieux encore, aujourd’hui, la généralisation de l’assurance maladie obligatoire (AMO), colonne vertébrale du chantier royal de la protection sociale, garantit une égalité et une équité dans l’accès aux soins à toute la population marocaine, avec le principe de prise en charge collective et solidaire des dépenses de santé.
Actuellement, dans une démarche complémentaire, le public et le privé offrent toute une palette de services qui contribuent à rehausser qualitativement les prestations de soins offertes à la collectivité. Et cela va aller en s’améliorant, à la faveur notamment de la grande réforme du système de santé en cours.
Car il faut un peuple en bonne santé pour assouvir les ambitions de modernité du Maroc. Merci Sa Majesté !
F. Ouriaghli