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Reconnaissance de l’Etat de Palestine : La grande bascule diplomatique

Reconnaissance de l’Etat de Palestine : La grande bascule diplomatique

En annonçant la reconnaissance officielle de l’Etat de Palestine, Emmanuel Macron a fait basculer la France dans le camp des grandes puissances qui considèrent la solution à deux Etats comme la seule issue possible au conflit israélo-palestinien. Une décision saluée par une majorité de la communauté internationale, mais qui divise en Europe, irrite Israël et embarrasse Washington.

 

Par D. William

Le moment était attendu et espéré par certains, mais redouté par d’autres. Le lundi 22 septembre à New York, Emmanuel Macron a franchi le Rubicon diplomatique en prononçant ces mots simples : «La France reconnaît aujourd’hui l’Etat de Palestine». Dans l’hémicycle, l’applaudimètre a confirmé que ce n’était pas juste une promesse, mais une réalité politique. Une grande puissance, membre permanent du Conseil de sécurité, bascule du côté des Etats qui jugent que la solution à deux Etats est la trajectoire à suivre pour une éventuelle paix durable au Moyen-Orient.

Ce mouvement n’est pas isolé. Il arrive porté par une vague qui a déferlé ces derniers mois. Royaume-Uni, Canada, Australie, Portugal, Belgique, Luxembourg, Malte, Monaco et Andorre sont autant de pays qui ont rejoint le camp de ceux qui reconnaissent l’Etat de Palestine. Selon les décomptes relayés par l’AFP, «au moins 151» des 193 membres de l’ONU reconnaissent désormais la Palestine. Nous ne sommes plus dans la marginalité symbolique, mais dans une quasinorme internationale.

Mais que signifie, dans la pratique, cette reconnaissance ? Paris, co-organisateur avec Riyad d’une conférence sur la «solution à deux Etats», a choisi d’utiliser son poids pour peser dans le conflit israélo-palestinien. «Nous sommes là, car le temps est venu. Le temps est venu de libérer les 48 otages détenus par le Hamas. Le temps est venu d’arrêter la guerre, les bombardements à Gaza, les massacres et les populations en fuite. Le temps est venu, car l’urgence est partout. Le temps de la paix est venu, car nous sommes à quelques instants de ne plus pouvoir la saisir», a dit avec emphase le président français.

On peut adhérer ou non à ses propos, mais le message est limpide : reconnaître la Palestine n’est pas «récompenser» le Hamas comme le prétendent certains. C’est, au contraire, tenter d’isoler la logique de guerre en recrédibilisant une issue politique et en remettant en selle l’Autorité palestinienne. Colère à Jérusalem, clivages en Europe Côté israélien, la réaction a été immédiate et menaçante. Benjamin Netanyahou a martelé son «non» définitif à tout Etat palestinien et fustigé une «récompense au terrorisme».

Il a même laissé planer l’idée d’une accélération de la colonisation en Cisjordanie, une ligne cohérente avec celle défendue par les ministres les plus durs de sa coalition. A Washington, le malaise est palpable. Les Etats-Unis estiment que cette reconnaissance de la France risque de compliquer les négociations sur les otages et d’offrir des dividendes politiques au Hamas. Pour Washington, le tempo n’est pas le bon et la reconnaissance doit être une «sortie de processus», pas une porte d’entrée.

Les puissances régionales en question

Le rôle des puissances régionales est déterminant dans l’évolution de la situation en Palestine. Le Maroc, poids diplomatique croissant en Afrique et dans le monde arabe, participe activement aux efforts multilatéraux autour de la solution à deux Etats. Sa diplomatie, qui met en avant le consensus et la médiation, peut contribuer à transformer l’onde de choc symbolique en acquis négociés.

De son côté, l’Arabie Saoudite a coprésidé la conférence avec la France, en parfaite cohérence avec son agenda : normaliser un jour avec Israël, oui, mais à condition d’avoir un horizon politique crédible pour les Palestiniens. L’Egypte et la Jordanie, pour leur part, poussent pour une stabilisation de la situation à Gaza. L’Europe, elle, avance en ordre dispersé. La France prend la tête d’un peloton occidental qui s’élargit, tandis que l’Espagne plaide pour l’adhésion pleine et entière de la Palestine à l’ONU. D’autres capitales restent prudentes, à l’instar de Berlin pour qui la reconnaissance doit intervenir «à la fin du processus».

Ce clivage intra-européen n’est pas nouveau. La nouveauté tient au fait que des poids lourds (Paris, Madrid, Londres, Ottawa, Canberra…) ne se contentent plus d’un soutien oratoire au «deux Etats», mais l’adossent à un acte juridique et politique. Enfin, le monde arabe et plusieurs autres pays voient dans cette bascule un changement d’approche. Depuis des décennies, ils reprochent à l’Occident d’exiger des Palestiniens une patience infinie face à des faits accomplis qui rétrécissent chaque année un peu plus la géographie et la démographie d’un futur Etat. La reconnaissance, pour eux, est donc un début de cohérence.

Qu’est-ce que ça va changer ?

Sur le champ de bataille, cette vague de reconnaissance ne va pas empêcher ou freiner les exactions et injustices dont sont victimes les Palestiniens. Toutefois, elle modifie quelques paramètres.

• Primo  : la reconnaissance par des Etats majeurs conforte l’argument selon lequel la Palestine peut invoquer et user du droit international devant la Cour internationale de justice, la Cour pénale internationale ou encore l’Assemblée générale de l’ONU.

• Secundo  : la reconnaissance redonne du crédit à une Autorité palestinienne marginalisée et en perte de légitimité. Le message sous-jacent des capitales occidentales est uniforme : pas de rôle pour le Hamas dans un gouvernement de l’Etat reconnu. Dans ce cadre, Mahmoud Abbas, empêché de se rendre à New York, a promis des réformes et réaffirmé que le Hamas devait se désarmer et se retirer. Il s’agit d’un véritable test, car sans changements internes, la reconnaissance risque de se muer en symboles.

• Tertio  : Dans les démocraties occidentales, l’opinion publique, émue par la tragédie de Gaza, réclame des actes. La reconnaissance est un premier pas posé dans ce sens. En Israël, à l’inverse, nombre de citoyens perçoivent l’initiative française comme une gifle adressée en pleine guerre et une faute morale et stratégique. Reste l’argument du «levier gaspillé», brandi par l’ambassadeur d’Israël à Paris.

Selon cette thèse, la France aurait pu monnayer sa reconnaissance pour obtenir des réformes palestiniennes, des garanties sécuritaires ou un accord sur les otages. Mais c’est oublier deux choses. D’abord, Paris a expressément posé des conditions à l’ouverture d’une Ambassade en Palestine, notamment la libération des otages et un cessez-le-feu. Cela entre dans le cadre d’un dispositif plus large, en l’occurrence un plan de paix, une force internationale de stabilisation à Gaza évoquée par plusieurs médias et un soutien à l’Autorité palestinienne.

Ensuite, la reconnaissance tente de corriger un hiatus devenu intenable : alors que l’on prône la solution à deux Etats, les Israéliens accélèrent la construction de colonies en Cisjordanie.

Quid, alors, de l’effet sur le conflit en cours ? Diplomatiquement, la Palestine marque des points, mais militairement, la tragédie peut se prolonger si rien ne vient casser les logiques de représailles et de siège israéliennes dans les territoires palestiniens. C’est dire que la route reste encore minée. Sans cessez-lefeu, sans libération des otages, sans mécanisme de gouvernance crédible pour Gaza, sans réformes palestiniennes et sans gel des colonies, toute velléité de paix est illusoire. 


 

Macron, Trump et Gaza
A New York, au sein de l’ONU, Emmanuel Macron a sorti une carte inattendue : défier Donald Trump de mettre fin à la guerre à Gaza s’il ambitionne réellement de décrocher le prix Nobel de la paix. L’image est forte. D’un côté, un président français qui vient de reconnaître un Etat palestinien, au prix de vives critiques israéliennes. De l’autre, un président américain qui brandit sa proximité avec Israël comme une évidence stratégique, tout en laissant planer l’idée qu’il pourrait, lui seul, faire cesser le conflit. Macron sait qu’aucun accord durable n’est possible sans la Maison Blanche et veut démontrer que reconnaître un Etat palestinien n’est pas «récompenser» le Hamas, mais au contraire isoler durablement le mouvement islamiste. Trump, lui, campe sur une ligne inflexible : céder aujourd’hui serait un affront aux victimes du 7 octobre 2023. Mais Macron insiste, soulignant que la solution militaire a éliminé des dirigeants du Hamas mais n’a pas démantelé l’organisation. «Cela ne fonctionne pas», martèle-t-il, en plaidant pour un processus politique global. Trump, plus évasif, promet une issue «très rapidement», tout en rappelant ses succès autoproclamés : «sept conflits réglés». Derrière ces postures, il y a quand même une vérité : chacun a besoin de l’autre. Paris sait que sans l’appui américain, le plan franco-saoudien à deux Etats restera lettre morte. Washington, de son côté, mesure que l’inflexibilité israélienne l’isole diplomatiquement. Pendant ce temps, à Gaza, la tragédie continue, alors que le Hamas rejette les accusations américaines d’entrave au cessez-le-feu, renvoyant la responsabilité à Benjamin Netanyahu.

 

 

 

 

 

 

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