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A la recherche du bonheur perdu

A la recherche du bonheur perdu

 

«Viendra le temps où les nations sur la marelle de l'univers seront aussi étroitement dépendantes les unes des autres que les organes d'un même corps, solidaires en son économie. Le cerveau, plein à craquer de machines, pourra-t-il encore garantir l'existence du mince ruisselet de rêve et d'évasion ? L'homme, d'un pas de somnambule, marche vers les mines meurtrières, conduit par le chant des inventeurs...». René Char
 

 
La perspective du bonheur semble possible, mais inatteignable aujourd’hui, dans un monde régi par l’angoisse et la peur ? Dans ce sens que dans ce monde actuel, nous sommes appelés à faire plus que ce que les humains ont pu faire, durant les différentes périodes de leur grandeur et de leur décadence, pour espérer atteindre au bonheur, dans sa version la plus dépouillée et la plus incertaine. Il y a comme une fatalité du malheur qui s’est imposée à nous et au vivant au fil des âges. Comme si nous ne pouvions plus jouir de ce bonheur dont regorge la vie, mais qui nous reste interdit. Comme si nous n’avons pas su le défendre et qu’il soit devenu défendu. 

Autrement dit, durant notre petit parcours à l’échelle du vivant, nous nous sommes arrangés pour égarer notre faculté d’être heureux. Et nous ne l’avons pas perdue en faveur d’un sentiment tragique de l’existence, qui nous plonge dans cet élan vers le malheur pour mieux sentir et notre présence et notre droit au bonheur. Non, il n’y a rien de tragique dans cette indigence face au bonheur. Mais il y a le drame basique de l’humain qui s’est perdu en cours de route. De l’homme qui ne sait plus être heureux. De l’homme qui a troqué cette capacité de jouir du miracle de la vie, pour tout ce qui l’avilit, pour tout ce qui le flétrit, pour tout ce qui l’appauvrit et le rend petit. Dans sa petitesse, il n’a plus d’élan pour atteindre à quoi que ce soit d’élevé. Il rampe désormais. Il a la pensée de la limace et l’élan du ver de terre.

Aujourd’hui, nous avons perdu notre capacité d’agir. Nous ne sommes plus les acteurs de nos destinées. Nous sommes des spectateurs qui n’ont pas encore atteint le stade du comparse. Dans notre résignation il y a une grande soumission à l’hésitation morbide et l’attente néfaste. «Une résignation, non pas mystique ni détachée, mais une résignation en éveil, consciente et guidée par l'amour, est le seul de nos sentiments qui ne puisse jamais devenir un faux-semblant.», écrit Joseph Conrad. 

Mais nous nous en sommes plus capables, parce que même le sentiment d’aimer est devenu un misérable faux-semblant. Comme une fatalité de ne pas pouvoir sentir. Comme si tout glissait sur une carapace faite de toutes pièces, qui a pris la fonction d’une espèce de forteresse contre la sensation, contre l’émotion, contre le sentiment d’aimer et d’aspirer à ces instants de bonheur qui émaillent une vie, comme des signes d’éternité. Et il ne faut pas croire que ce sont là ces moments de passivité héroïque auxquels parfois même les plus vaillants d’entre nous finissent par se résigner. Non, c’est une paralysie face au bonheur.

C’est une condamnation à exister coupés de ce fil qui nous lie à l’essence du vivant, c’est-à-dire le miracle de respirer et de faire corps avec la nature et le monde. Nous en sommes incapables. Cela ne fait plus partie de notre nature. Car «La vie, pour être vaste et pleine, devait, à chaque moment du présent, contenir le souci du passé et de l'avenir. Notre tâche quotidienne doit être accomplie pour la gloire des morts et pour le bien de ceux qui qui viendront après nous.», rappelle l’auteur de Lord Jim. 

La réalité est que nous n’agissons ni pour la gloire du passé ni pour les promesses de l’avenir, encore moins pour la dignité du présent. Nous subissions le monde qui nous enserre. Nous sommes pris par les tenailles de notre vacuité face à la rouille du temps qui se passe de nous. L’Homme devient cette chose inutile qui, bientôt, ne pourra plus remplir sa fonction de simple consommateur.  

Joseph Conrad, auteur de l’action salvatrice, a écrit que : «L'action console. Elle est l'ennemie de la pensée et l'amie des illusions flatteuses. Ce n'est que dans l'action que nous pouvons avoir le sentiment d'être maître de notre destin.» 

Mais comment faire quand nos actions ne sont plus que des réactions à des mécanismes inventés par nous, et qui nous dépassent ne nous laissant aucune marge de liberté ? La réponse est claire. Il suffit de regarder le monde que nous avons inventé. Il est hostile à tous les niveaux. Il est déshumanisé. Il est une pâle copie de ce que ses ancêtres ont été, un jour. Il a perdu sa vigueur. Il a perdu sa détermination. Il a perdu jusqu’à sa faculté de discernement. Il est devenu niais et bête à la fois. Il pense à consommer, de tout ce que l’industrie à grande échelle lui fourgue. Et il se rue sur ces articles et ces produits en pensant déjà aux prochaines possessions qu’il peut encore avoir.

Dans ce schéma, l’Homme s’installe dans la facilité la plus avilissante et il s’y complaît. Il est fatigué. Il est en bout de course. Il attend le couperet, béatement. Alors que ce même homme a été capable, durant de nombreuses périodes d’allier à la fois le courage au goût du grand risque. Il a pu être conquérant. Il a été récalcitrant. Il a montré qu’il pouvait être intraitable, fier et vigoureux. Il avait même ce goût pour le sarcasme de la gaîté marié avec l'indulgence du mépris. Il avait en lui ce caractère vigoureux qui ne peut se reposer que dans l'extrême, comme l’avait écrit Chamfort. 

Pourtant, plus les périodes s’amoncellent, plus l’Homme opte pour la facilité avec tout ce que ce choix comporte comme danger pour la suite de l’histoire. Avec cette unique certitude : la mort certaine. Avec ce pied-de-nez à toute l’histoire des humains, comme le malade imaginaire de Chamfort, l’Homme moderne refuse les sacrements et dit à un ami, tout aussi fichu que lui : «Je vais faire semblant de ne pas mourir».

 

 

Par Abdelhak Najib 
Écrivain-journaliste 

 

 

 

 

 

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