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Cyberattaques contre le Maroc : Le triomphe du voyeurisme numérique

Cyberattaques contre le Maroc : Le triomphe du voyeurisme numérique

On dit souvent que le diable se cache dans les détails. A voir le remue-ménage provoqué par la publication des salaires de quelques milliers de Marocains, on comprend vite que le diable, parfois, ne se cache même plus. Il s’exhibe. Il provoque. Et il réussit son coup : détourner l’attention de ce qui compte vraiment.

Depuis plusieurs semaines, le Maroc est la cible d’attaques informatiques d’une rare intensité. La Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), le ministère de l’Emploi, la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP) et même le site de notre confrère Maroc Hebdo ont été pris d’assaut. A première vue, rien de bien spectaculaire : quelques pages hors service, des fuites de fichiers PDF, des commentaires étranges sur des sites institutionnels… Sauf que derrière ces apparences, c’est bien plus qu’un incident technique : c’est une guerre.

Pas une guerre avec des tranchées et des blindés, mais une guerre silencieuse. Une guerre numérique où les frontières sont floues et les ennemis masqués. 

Le Maroc n’est pas le seul pays à en être victime, mais ce qui est inquiétant, c’est le contexte. Et surtout, la réaction, ou plutôt l’absence de réaction d’une partie de l’opinion publique.
Car pendant que les experts en cybersécurité, les ingénieurs système et les enquêteurs s’échinent à circonscrire les attaques et à identifier les auteurs, les foules numériques, elles, s’égarent dans une autre bataille : celle des fiches de paie. Qui touche combien ? Untel gagne-t-il vraiment autant ? Pourquoi ce directeur perçoit-il une prime mensuelle supérieure à mon salaire annuel ? Pourquoi telle personne touche-t-elle autant ? 
Autant d’interrogations qui, aujourd’hui, sont révélatrices de tensions latentes qui existent dans plusieurs établissements dont les salaires des employés ont été balancés sur la toile.
Et qui sont le doux parfum d’une certaine jalousie sociale, amplifié par les réseaux sociaux, ces formidables caisses de résonance des passions humaines. 

Débats de comptoir
Mais au risque de casser l’ambiance, il faut le dire : on se trompe de cible. Le vrai scandale, ce n’est pas que certains citoyens gagnent bien leur vie, mais plutôt que les institutions de notre pays soient vulnérables à des attaques orchestrées depuis l’étranger, par des groupes visiblement bien organisés, bien financés et politiquement motivés.

Et dans ce contexte, le Maroc est une cible non pas anodine, mais stratégique. Il n’est plus attaqué sur des terrains connus (diplomatie, Sahara marocain, alliances régionales…), mais au travers des câbles et des serveurs. Et cette nouvelle dimension mérite mieux que des débats de comptoir sur le traitement salarial de telle ou telle personne.
Car, derrière le sensationnalisme et le voyeurisme, il y a des enjeux autrement plus graves. La fuite de données personnelles à grande échelle peut entraîner des cas de harcèlement ciblé et des tensions sociales majeures. On ne parle plus ici de curiosité mal placée, mais de mise en danger réelle de citoyens marocains. 
Et ça, peu de commentateurs semblent s’en émouvoir. Le voyeurisme numérique a visiblement des priorités autres.

C’est dire que ce qui s’est passé avec la CNSS, le ministère de l’Emploi et les autres institutions visées doit nous pousser à ouvrir les yeux. Le Maroc est devenu un terrain d’affrontement cybernétique. 
Non pas parce qu’il est faible, bien au contraire, mais parce qu’il reste un acteur stratégique dans la dynamique politique et économique mondiale actuelle. Son processus de modernisation sous la conduite éclairée du Roi Mohammed VI, sa stabilité, ses choix géopolitiques, son influence montante en Afrique et son alliance avec de grandes puissances occidentales sont autant de raisons qui font de lui une cible. L’ennemi à abattre.
Comme l’a rappelé le ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement, porte-parole du gouvernement, «ces attaques cybernétiques sont, sans nul doute, une tentative de nuire aux percées diplomatiques successives du Royaume relatives à la cause nationale (ndlr, le Sahara marocain)». 
La coïncidence de certaines offensives numériques avec des moments diplomatiques forts du Royaume ne laisse guère de doute sur les intentions des auteurs. 
«La confiance grandissante dont jouit le Maroc auprès de la communauté internationale, sous le leadership éclairé de Sa Majesté le Roi, dérange désormais les ennemis de notre pays au point de tenter de le nuire par ces agissements hostiles», a-t-il ajouté.

Dans ce contexte, il est impératif d’élever notre niveau de défense. De la même manière que l’on protège nos frontières terrestres, il faut désormais défendre les périmètres numériques. Cela passe par des investissements massifs dans la cybersécurité, la formation de cadres spécialisés, des audits de vulnérabilité réguliers et une coordination renforcée entre les institutions publiques et le secteur privé.
Mais cela passe aussi, et peut-être surtout, par un changement de culture. Il faut apprendre à reconnaître une cyberattaque pour ce qu’elle est : une attaque contre la souveraineté de l’Etat. 
Ce n’est pas un banal fait divers. Ce n’est pas une simple panne informatique. C’est une tentative de nuire à l’image, à la réputation et à la solidité des institutions marocaines. Il est donc urgent de réagir avec sérieux. Pas avec des mèmes, des moqueries et des captures d’écran.

Heureusement, des signaux positifs existent. La CNDP multiplie les rappels à l’ordre. Les autorités judiciaires sont saisies. Et les voix de certains experts appellent à une vraie politique de cybersécurité nationale. Mais il faut aller plus loin. 
Car, aujourd’hui, ce sont des fichiers de paie. Demain, ce seront peut-être des dossiers médicaux. Des données judiciaires. Des plans stratégiques. Il ne faut pas attendre que l’irréparable se produise pour comprendre que le cyberespace est devenu un champ de bataille quotidien.


F. Ouriaghli

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