D’après les estimations de l’Organisation mondiale de la santé, le nombre de personnes atteintes par la grippe avoisine le milliard chaque année.
Afin d’atténuer les symptômes grippaux, plusieurs citoyens marocains ont adopté la fâcheuse habitude de se procurer des corticoïdes sans avis médical.
Par M. Boukhari
Particulièrement virulente cette année, la grippe saisonnière a eu raison de plusieurs citoyens marocains. Se manifestant par moments sous des formes proches de celles du Covid-19, elle a fini par semer la zizanie dans l’esprit de certains, les poussant à se procurer, bon gré mal gré, toutes sortes de médicaments pour se sortir d'affaire. Les corticoïdes semblent particulièrement avoir le vent en poupe.
Perçus, au grand dam des professionnels de santé, comme le nouvel élixir pour traiter la grippe, les corticoïdes peuvent avoir des effets irréversibles sur la santé. Ce constat est d’autant plus vrai lorsque l’on sait que ces derniers sont pris sans avis médical. Cette pratique, qui s’est largement propagée par les temps qui courent, est l’une des vestiges du temps où la pandémie du Covid-19 était à son apogée. En effet, les corticostéroïdes étaient utilisés dans le traitement des personnes atteintes afin de combattre l'hyper inflammation. Proches des hormones naturelles mais plus spécifiques, les corticoïdes sont des médicaments utilisés pour la lutte contre les phénomènes inflammatoires. Ils agissent sur la réduction des réactions de défense de l’organisme et sont indiqués dans le traitement de bon nombre de maladies, telles que la bronchite aiguë, l’asthme, les pathologies rénales, la sinusite, le cancer, etc. Lorsqu’ils sont pris sur le long terme, ces médicaments peuvent avoir des effets indésirables. Raison pour laquelle les médecins recommandent leur utilisation pendant une courte durée.
«Dans la médecine ambulatoire, il ne faut pas prescrire des corticoïdes pour traiter la grippe saisonnière chez les enfants ni même chez les adultes. La grippe peut mettre des personnes en bonne santé au lit pendant 7 à 10 jours. Mais généralement, lorsqu’il s’agit d’individus jeunes et ne souffrant d’aucune maladie grave, le risque de complication reste minime», affirme Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en politiques et systèmes de santé. Les médecins s’accordent ainsi à dire que la majorité des personnes souffrant de cette maladie infectieuse guérit sans même recourir à un traitement médical. De surcroît, le risque de survenue de complications ou de décès dans les cas les plus graves concerne essentiellement les personnes vulnérables, à savoir les personnes âgées et celles souffrant de maladies chroniques, les femmes enceintes et les enfants âgés de 6 mois à 5 ans.
Les corticoïdes : un «tue» l’immunité
Hamdi considère que les corticoïdes n’ont pas leur place dans le traitement ambulatoire, et ce ni dans le cadre d’une prescription médicale, d’une recommandation faite par les pharmaciens ou encore moins d’une automédication. En outre, des études ont montré que prendre des corticoïdes sans avis médical risque d’affaiblir l’immunité et, par conséquent, le patient. Ils risquent même de donner un coup de fouet à l'infection, ce qui résulte en des complications bien plus graves que la grippe elle-même.
«Ce n’est pas parce qu’une grippe est virulente et sévère qu’il faut faire une escalade thérapeutique qui risque de compliquer l’état du malade. D’abord parce que dans la littérature médicale, le traitement par des corticoïdes des infections liées à la grippe est limité aux cas graves, notamment pour les personnes souffrant de sepsis ou de pneumonie aiguë. Mais aussi parce que bien qu’ils aient un effet immuno-modulateur, autrement dit, agissent, régulent et apaisent l’immunité, les corticoïdes ne doivent pas être pris de manière aléatoire. En effet, malgré tous les bienfaits que peuvent avoir ces médicaments, leurs effets secondaires, notamment sur le diabète, l’équilibre de la glycémie, la tension et la faiblesse immunitaire ne sont pas des moindres», explique-t-il.
Même son de cloche chez Ali Baiz, oto-rhino-laryngologiste (ORL), qui estime que la grippe commune répond souvent à un traitement sans corticoïdes. «Il faut savoir que l’être humain a des corticoïdes endogènes, à l’intérieur de son organisme, produits par la corticosurrénale et qui sont sécrétés par des glandes endocrines tous les jours. Nul besoin alors de prendre des corticoïdes au début de la grippe parce qu’ils risquent de diminuer l’immunité et les virus se multiplieront ainsi davantage. Il faut éviter même les corticoïdes en pulvérisation nasale par voie locale parce qu’ils vont diminuer l’immunité locale dans le nez», souligne-t-il. Selon ce spécialiste, en cas de prise des corticoïdes lors d’un état grippal, se développe un risque de multiplication du virus et/ou de certaines bactéries pathogènes, donc éventuelle survenue, entre autres, de méningite, de bronchite sévère, de sinusite; en plus de la menace d’aggravation de l’hypertension artérielle et le diabète.
Vaccins pour tous
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le ministère de la Santé enjoignent les citoyens de se faire vacciner contre la grippe, considérant qu’il s’agit là du moyen de prévention le plus simple et efficace pour se protéger soi-même et protéger les siens. Dans le même ordre d’idées, le docteur Ali Baiz soutient que la grippe nécessite tout simplement «le repos, le lavage nasal au sérum salé, le réchauffement, des repas chauds, la vitamine C, la vitamine D, le zinc et les sirops dits mucolytiques ou antitussifs. Parfois, on prescrit même les macrolides (molécules à propriétés antibiotiques bactériostatiques), parce que la grippe est une infection virale». Conscient du fait que les personnes ne doivent plus s’aventurer dans une prise aléatoire des corticoïdes, il précise que c’est au médecin de juger de la gravité de l’infection grippale selon le terrain du malade, c’està-dire les personnes âgées, diabétiques, cardiaques, ceux souffrant d’insuffisance hépatique, rénale ou immunodéprimés.
«Selon la sévérité de l’infection évaluée par l’examen clinique, biologique, radiologique, c’est à lui seul de prescrire les corticoïdes en fonction de ces paramètres. Car se procurer les corticoïdes de la pharmacie et les consommer d’une façon abusive risque d’être fatal pour la santé du malade», révèle-t-il. D’après l’OMS, la grippe demeure l’un des plus grands défis mondiaux pour la santé publique. Le nombre de cas, chaque année, est estimé à 1 milliard dont 3 à 5 millions de graves entraînant 290.000 à 650.000 décès respiratoires. A cet effet, cette institution a lancé en 2019 la Stratégie mondiale de lutte contre la grippe 2019-2030, à travers laquelle elle présente une voie à suivre pour protéger tous les ans les populations et se préparer aux pandémies en renforçant les programmes de routine. En plus d’encourager les pays à élaborer des outils améliorés pour prévenir, détecter, combattre et traiter la grippe.