Grandeur et décadence de la Super Ligue: en 48 heures, ce projet de compétition privée porté par douze grands clubs dissidents a mis à feu et à sang le football européen... avant de vaciller face au tollé général et aux défections successives des clubs mutins.
Récit de deux jours qui ont bien failli changer la face du football européen, avant de tourner à la mauvaise farce.
La rumeur revenait périodiquement, ce qui avait poussé l'Union européenne de football (UEFA) et la Fédération internationale (Fifa) à publier en janvier un inhabituel communiqué commun: les deux instances menaçaient de sanction d'éventuels sécessionnistes souhaitant développer une compétition européenne privée et concurrente de la Ligue des champions, épreuve phare de l'UEFA depuis 1955.
Mais dimanche, la menace se précise alors que l'instance européenne s'apprête à adopter le lendemain une réforme de la C1, pourtant plus favorable aux grands clubs.
A 17h19, pressentant l'officialisation imminente du projet de Super Ligue, l'UEFA dégaine un communiqué préventif menaçant d'exclure de toute compétition nationale et internationale les clubs qui participeraient à une ligue privée, ainsi que leurs joueurs.
Fait rare en matière sportive, un domaine où l'Elysée reste habituellement en retrait, la présidence française dénonce également un projet "menaçant le principe de solidarité et le mérite sportif".
Un communiqué de trois pages, avec un en-tête "The Super League", tombe dans les boîtes mail des journalistes et fait l'effet d'une bombe: douze clubs parmi les plus riches (Real Madrid, Barcelone, Manchester United, Liverpool...) annoncent créer leur compétition quasi fermée, avec 15 membres de droits et cinq invités chaque saison.
Cette fois, la Super Ligue semble concrète, loin d'être ce serpent de mer ravivé périodiquement par les grands clubs pour obtenir davantage de concessions.
Les clubs dissidents sont prêts à aller au combat: dans une lettre obtenue par l'AFP, la Super Ligue prévient l'UEFA et la Fifa qu'elle a saisi les tribunaux pour "assurer l'instauration et le fonctionnement sans accroc de la compétition".
Le président de l'UEFA Aleksander Ceferin se présente en conférence de presse, costume sombre et visage fermé, à l'issue d'un comité exécutif de l'instance.
L'avocat slovène ne mâche pas ses mots: la Super Ligue est "une proposition honteuse" de quelques "serpents" seulement "guidés par l'avidité", "un crachat au visage de tous les amoureux du football".
Sur un plan plus personnel, la trahison est immensément douloureuse pour lui: il est le parrain d'un des enfants d'Andrea Agnelli, le patron de la Juventus, l'un des clubs dissidents ! Ce dernier, après lui avoir assuré en début de week-end qu'il ne fallait pas croire les rumeurs de sécession, a retourné sa veste, devenant subitement injoignable par son ancien ami.
Ceferin promet alors une riposte et annonce au passage l'adoption de la réforme de la Ligue des champions, comme si de rien n'était.
Face aux revenus mirifiques promis par les promoteurs de la Super Ligue, les marchés financiers se frottent les mains.
L'action de la Juventus Turin clôt en forte hausse lundi en fin d'après-midi (+17%) tandis que celle de Manchester United progresse nettement à New York.
Florentino Pérez, tout-puissant patron du Real Madrid et nouveau président de la Super Ligue, donne sa première interview en Espagne: il juge "impossible" que les clubs dissidents soient exclus et défend son projet.
"La nouvelle Ligue des champions est censée débuter en 2024"; à cette échéance, avec la pandémie, "tous les clubs seront morts !" plaide Pérez.
Gianni Infantino, président de la Fifa souvent en désaccord avec Ceferin, apporte un soutien remarqué à l'UEFA: devant le congrès de l'instance européenne, le dirigeant fustige les rebelles qui "devront subir les conséquences" de leur rupture.
Dans la foulée, les 55 fédérations membres adoptent à l'unanimité une résolution condamnant la Super Ligue, même si Ceferin assure les mutins qu'il est "encore temps de changer d'avis".
La bataille judiciaire se précise: dans une décision en référé, un tribunal de commerce de Madrid interdit à l'UEFA et à la Fifa toute mesure contre le lancement de la Super Ligue, dans l'attente d'une décision sur le fond du dossier.
Incroyable retournement de situation: plusieurs médias britanniques, dont la BBC, commencent à évoquer les hésitations de certains clubs dissidents, voire leur volonté de se retirer.
Au même moment, des centaines de supporters en colère de différents clubs anglais se réunissent aux abords de Stamford Bridge, le stade de Chelsea, l'un des rebelles.
Sous la pression, Manchester City est le premier à céder, annonçant "se retirer du groupe chargé de développer le projet de Super Ligue européenne".
Un retournement de situation dont le président de l'UEFA Aleksander Ceferin se dit aussitôt "ravi".
Tour à tour, les cinq autres clubs anglais emboîtent le pas à City, vidant peu à peu la Super Ligue de sa substance.
"Nous avons fait une erreur, et nous présentons nos excuses", résume Arsenal sur Twitter. Le patron de Liverpool John Henry demandera aussi pardon dès le lendemain.
Face à ces revers cinglants, les promoteurs de la Super Ligue vacillent et déclarent vouloir "remodeler le projet", écrivent-ils dans un communiqué diffusé en pleine nuit.
Agnelli, l'une des figures de la sécession, se rend à l'évidence: le président de la Juventus estime que le projet ne peut exister sans les six clubs anglais, apprend-on auprès de son entourage, alors que le titre boursier de la Juve dévisse à la Bourse de Milan.
Peu après, l'Atlético Madrid et l'Inter Milan officialisent à leur tour leur retrait du projet, nouveau clou dans le cercueil de la Super Ligue.
Avec AFP.