Notre ami, notre collègue, notre frère, notre aîné, notre mentor, notre complice, notre modèle, à plus d’un égard, Abdallah El Amrani, vient de nous quitter dimanche 26 mars 2023.
Par Abdelhak Najib
Grand nom de la presse et des médias, journaliste de la première heure, écrivain, analyste politique de grand acabit, homme de culture et de dialogue, amoureux de la vie, des arts et des mots, Abdallah El Amrani a marqué le journalisme marocain par un demi-siècle de travail, un parcours unique, celui d’un homme d’honneur, un homme indépendant, un esprit libre et surtout un penseur qui a toujours milité pour la vérité à laquelle il a donné le nom de l’hebdomadaire qu’il a fondé et pour lequel j’écris depuis plusieurs années partageant avec Abdallah amitié et fraternité pour la passion du journalisme.
J’ai eu le privilège de côtoyer cet homme, de le connaître, de partager tant de belles choses avec lui, depuis trois décennies durant lesquelles j’ai beaucoup appris au contact d’un homme aussi cultivé, aussi profond et intransigeant avec le savoir et la connaissance.
J’ai aussi eu le bonheur de publier son excellent roman, intitulé : L’homme qui tua la lune. Un succès d’estime et un succès en librairie qui montre à quel point Abdallah El Amrani était au fait de l’art d’écrire. J’ai également été honoré de voir mon ami et frère signer les préfaces de deux de mes essais politiques : Maroc/Algérie: le dessous des cartes, et France, la fin des illusions.
Notre relation a toujours été émaillée d’échanges sur les arts et la culture, le cinéma, la poésie, la peinture, l’histoire, la politique mondiale et l’avenir de l’humanité, avec toujours ce goût pour la parole juste, pour le jeu de mots subtil, pour l’anecdote et le calembour, avec toujours ce rire sincère que je garde dans le coeur en pensant à ce grand visage du journalisme et de la culture marocains qui nous lègue aujourd’hui son parcours unique et son cheminement d’homme cherchant la vérité au-delà de toute autre quête.
Dans le parcours riche et diversifié de Abdallah El Amrani, il faut retenir qu’il a été l’un des premiers à intégrer la presse muni d’un diplôme de journaliste en bonne et due forme, celui de l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI) de Tunis. Une institution intégrée à l’Université de Tunis, après sa création dans les années 70 avec le concours de la République Fédérale d’Allemagne.
C’est là qu’il a eu comme professeur du mouvement national maghrébin l’ex-président Habib Bourguiba.
Abdallah El Amrani passe quelques années à Tunis pour finir ses études supérieures bénéficiant d’une bourse allemande. Une époque qui marquera toute la vie du journaliste qui a souvent évoqué son séjour tunisien comme une période cruciale dans sa carrière.
De retour au Maroc, Abdallah El Amrani va élire domicile à Casablanca, lui le natif de Ouazzane. Il commence d’abord par travailler à Maghreb Information, une publication proche de l’UMT (Union Marocaine du Travail) et de l’UNFP (Union Nationale des Forces Populaires). C’est là que le public va découvrir la chronique célèbre de Abdallah El Amrani sous le titre: «L’autre visage». Durant cette période, le journaliste avait lié des relations avec les dirigeants du parti politique, notamment Abdallah Ibrahim, ancien président du Conseil des ministres sous le Roi Mohammed V, ainsi qu’avec ceux de la Centrale syndicale, dont le secrétaire général Mahjoub Bensaddek.
Abdallah El Amrani finira par la suite par devenir le traducteur des éditos d’Abdallah Ibrahim que celui-ci publiait en arabe dans l’hebdomadaire du parti. Après l’interdiction du quotidien Maghreb Information en mars 1975, Abdallah El Amrani est sollicité pour renforcer l’équipe de la MAP, qui a été nationalisée en 1974. Fort d’un bon parcours en tant que journaliste et reporter, il est très vite nommé directeur régional du bureau de la MAP de Casablanca. C’est à cette période très importante de l’histoire marocaine récente que Abdallah El Amrani va devenir l’un des journalistes les plus en vue de la fameuse revue mensuelle Lamalif créée par Zakia Daoud. Durant la Marche Verte, Abdallah El Amrani sera l’un des principaux rédacteurs de Lamalif Hebdo avec Abdallah Laroui et Zakia Daoud. Et c’est à ce moment aussi qu’il va créer un hebdomadaire arabophone sous le titre Al-Massîr. Une publication qui a connu de beaux jours et un grand succès à la fin des années 1970, avec plus de 20.000 exemplaires vendus par semaine, et des signatures de collaborateurs renommés, tels l’écrivain Ahmed Al-Madini, le journaliste écrivain Hassan Alaoui et le poète Hassan Mufti.
Abdallah El Amrani a également été précurseur dans le domaine de la communication et de la presse indépendante en créant l’entreprise privée Nejma dans les années 80. C’est avec Nejma qu’il a publié l’hebdomadaire arabophone Al-Dar Al Baïda et le mensuel francophone L’Economiste du Maghreb, avec toujours de très bonnes signatures, telles Habib Al-Malki et Driss Guerraoui. C’est d’ailleurs au cours de cette décennie, entre 1975 et 1985, que Abdallah El Amrani était également en charge de la communication de la Foire internationale de Casablanca (FIC). Il éditait un quotidien bilingue à chaque édition de la manifestation. C’est là qu’il a lancé au coeur de l’exposition «le Club de la presse» qui a reçu, parmi les invités illustres de la FIC, l’ancienne Premier ministre française Edith Cresson.
En 1983, le président du Club Raja, Abdallah Firdaous, vient voir Abdallah El Amrani de la part de l’ancien Premier ministre Maâti Bouabid pour lui annoncer qu’Ahmed Guedira, Conseiller du Roi de Hassan II, lui avait recommandé de monter un journal avec le journaliste Abdallah El Amrani. Cette rencontre va déboucher sur la naissance de Rissalat al-Oumma, qui annonçait déjà la création d’un nouveau parti politique, l’Union Constitutionnelle. Abdallah El Amrani passera quelque temps dans cette rédaction avant de tourner la page de ce journal, pour se consacrer à son entreprise Nejma.
A partir de novembre 1985, Abdallah El Amrani part s’installer durant neuf ans à Tétouan. C’est là qu’il va organiser le premier Festival international de Tétouan, une manifestation culturelle de belle facture réunissant le cinéma, la littérature, la musique, la peinture… C’est lors de ce festival que l’homme de culture met sur pied en 1986 la première exposition de peinture féminine, sous le titre: «Tétouan au féminin» réunissant une vingtaine de femmes artistes-peintres formées à l’Ecole des Beaux-arts de Tétouan (devenue aujourd’hui Ecole Nationale des Beaux-arts de Tétouan). Après cette parenthèse, Abdallah El Amrani rentre à Casablanca pour fonder La Vérité. La suite appartient à l’histoire.