Dans le quartier Al Moustakbal, à Fès, la nuit du 9 au 10 décembre a été déchirée par un fracas de béton et de cris. Deux bâtiments de quatre étages, abritant huit familles, se sont transformés en un tas de gravats. Au bout de ce chaos : 22 morts, 16 blessés, des destins brisés et un pays, une fois encore, sous le choc
Les autorités ont bouclé le périmètre et évacué les maisons voisines. Les secouristes et la Protection civile ont travaillé sans relâche et organisé l’acheminement des blessés vers le CHU de Fès. Tout ce qui peut être fait après le drame a été fait. Mais c’est justement là que réside le malaise : pourquoi, malgré tous les précédents, en est-on encore au «après» ?
Car ce qui s’est passé à Fès n’est pas un accident isolé. La ville porte déjà les stigmates d’autres effondrements. En mai dernier, un immeuble d’habitation déjà identifié comme menaçant ruine s’est écroulé : neuf morts. En février 2024, une maison s’est effondrée dans l’ancienne médina : cinq morts. Et l’on pourrait remonter plus loin, jusqu’aux drames de Marrakech ou de Casablanca en 2016, où des maisons vétustes et des immeubles fragiles ont emporté des vies.
Quand un immeuble tombe, il emporte cette assurance que la maison protège, que ses occupants sont à l’abri et que l’Etat a veillé au respect des normes élémentaires de sécurité. Et en lieu et place, on a les mêmes images de désolation : poussière, sirènes, couvertures recouvrant des corps et des familles hébétées qui fixent un vide là où se tenait leur maison.
Les premiers éléments qui remontent d’Al Moustakbal sont sans ambiguïté. Les normes de construction et de sécurité n’auraient pas été respectées pour ces bâtisses sorties de terre en 2006 dans le cadre des opérations d’auto-construction au profit des habitants du douar «Ain Smen» au titre du programme «Fès, ville sans bidonvilles».
A ce titre, les autorités ont lancé des enquêtes judiciaires, administratives et techniques. Un bureau d’études spécialisé a été mandaté pour analyser les causes de l’effondrement, identifier les défaillances et passer au crible les procédures.
C’est nécessaire. Mais ce travail d’expertise ne dira rien de neuf sur le fond, car le Maroc connaît depuis longtemps l’ampleur du problème. Des milliers de bâtiments ont été recensés comme vulnérables à travers le pays. Des listes de maisons menaçant ruine existent. Des ordres d’évacuation ont été signés. Des programmes de réhabilitation ont été annoncés. Et malgré cela, des familles continuent de mourir dans leur propre salon.
Faire appliquer la loi, coûte que coûte
Le cœur du problème est qu’il ne suffit pas de réunir des commissions, poser des diagnostics et consigner des ordres. Il faut accepter de prendre des décisions difficiles et impopulaires, parfois brutales dans leur apparence, mais indispensables pour éviter des catastrophes.
Faire évacuer un immeuble, c’est évidemment déraciner des familles, les plonger dans l’incertitude, se heurter à leur refus, à leur incompréhension et parfois à leur colère. Démolir une construction illégale, c’est s’exposer à des pressions, à des intercessions et à la tentation de fermer les yeux «pour cette fois». Tout cela a un coût politique et social. Mais le coût humain de l’inaction est infiniment plus lourd.
La vérité, c’est que le Maroc ne manque ni de lois, ni de circulaires, et encore moins de programmes. Ce qui lui manque encore, dans certains territoires, c’est la détermination d’aller au bout, à savoir mettre des scellés, expulser, démolir et sanctionner, y compris quand cela provoque des remous.
Les drames de Fès montrent ce que produit l’addition de petites lâchetés, de tolérances successives et d’arrangements locaux : une tragédie nationale.
Bien sûr, il faut entendre la détresse sociale. Beaucoup de familles ont investi toutes leurs économies dans un appartement construit au prix du moindre Dirham, dans des schémas d’auto-construction qui pallient l’absence de solutions de logement abordables.
Mais compatir au manque de moyens, voire à la pauvreté ne doit pas signifier tolérer le danger. Au contraire : ce sont les plus modestes qui payent le plus lourd tribut lorsque la réglementation est appliquée avec laxisme.
Et s’il y a une chose que l’on doit retenir définitivement de cette tragédie de Fès, c’est qu’il vaut mieux un responsable impopulaire qu’un responsable silencieux devant des familles en deuil. Il vaut mieux des habitants en colère parce qu’on les a sortis d’un immeuble dangereux que des cortèges qui pleurent ceux qu’il n’a pas été possible de sauver.
Car, en définitive, il n’y a rien de plus insoutenable que de se dire que «des morts auraient pu être évitées si seulement on avait eu le courage, plus tôt, d’appliquer la loi».
F. Ouriaghli