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Assurance maladie obligatoire : «La généralisation de l’AMO est une porte d’entrée vers la justice sociale»

Assurance maladie obligatoire : «La généralisation de l’AMO est une porte d’entrée vers la justice sociale»

- La généralisation de l’AMO, colonne vertébrale du chantier de la protection sociale, s’est déroulée dans des conditions optimales, signant ainsi son succès. En revanche, plusieurs efforts restent à fournir afin de poser les jalons d’une réforme structurelle.

- Entretien avec Dr. Tayeb Hamdi, médecin, chercheur en systèmes et politiques de santé et vice-président de la Fédération nationale de la santé.

Finances News Hebdo : La mise en œuvre du chantier royal relatif à la généralisation de la protection sociale a franchi d’importantes étapes. Concrètement, où en sommes-nous aujourd’hui par rapport aux objectifs initiaux ? 

Dr. Tayeb Hamdi : L’Etat marocain considère aujourd’hui la justice sociale non seulement comme un droit constitutionnel des citoyens, mais aussi un levier de développement pour le Maroc. Il ne faut donc pas attendre que le Maroc progresse sur le plan économique pour redistribuer les richesses; il faut faire participer les citoyens à la construction de ce développement.

La généralisation de la protection sociale est l’un des piliers de la justice sociale. La santé est non seulement un levier de développement, elle assure également la sécurité stratégique du pays. De plus, il s’agit de l’un des secteurs sur lequel le Maroc travaille pour assurer un essor économique, mais aussi diplomatique. Ce secteur participe au leadership du Maroc sur le plan régional et continental.

Ce chantier royal s’articule autour de 4 phases, à savoir celle de la généralisation de l’assurance maladie obligatoire (AMO), dont le délai a été fixé à 2 ans. Cette opération a nécessité le changement du cadre juridique. A cet effet, plusieurs textes juridiques et législatifs ont connu des modifications et une série de discussions a eu lieu avec des partenaires sociaux. Il a fallu également un travail administratif afin d’identifier et d’inscrire tous les Marocains, dont des Ramedistes qui vont bénéficier de l’aide de l’Etat. Pour le reste de la population, chacun doit cotiser selon ses revenus. A partir du 1er décembre 2022, les Ramedistes ont basculé vers l’AMO, et c’est une bonne chose. Je pourrai donc dire que cette première étape de généralisation de l’AMO, que j’appelle étape quantitative, est assurée ou presque. Il va falloir par la suite passer à autre chose, et là je rappelle le discours royal de 2018 qui avait identifié 3 faiblesses au niveau du système marocain de couverture médicale. 

Sur le plan quantitatif, il s’agit tout d’abord d’un régime dont la couverture est faible; ce problème a été résolu avec la généralisation. Deuxièmement, le Roi a relevé une faiblesse de l’efficience de l’AMO. C’est-à-dire que plusieurs personnes sont inscrites à l’AMO, mais n’en bénéficient pas à cause d’un problème de gouvernance. Le troisième constat est celui de l’éparpillement des caisses. En effet, il existe plusieurs caisses, à savoir la CNSS, la CNOPS, les caisses de services publics, semi- publics, et autres, qui, à mon sens, doivent être unifiées. En gros, cette première étape, à caractère quantitatif, législatif et administratif est dans les délais. En revanche, il va falloir travailler sur l’efficience de l’AMO.

F. N. H. : Le 3ème Objectif de développement durable consiste à permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous. Pensez-vous que ce nouveau chantier permettra de s’approcher un tant soit peu de cet idéal ?

Dr T. H. : Être en bonne santé permet en quelque sorte de participer au développement du pays. Par exemple, en dépensant un Dollar dans les mala- dies non transmissibles, le retour d’investissement est de 7 dollars. En dépensant un Dollar dans la vaccination, la rentabilité se situe entre 16 et 44 dollars. Plusieurs études internationales l’ont prouvé : investir dans la santé, c’est investir dans l’économie du pays. La santé n’est pas juste un secteur social. Être en bonne santé permet aux gens de jouir des autres droits humains. Un enfant qui est tout le temps malade, n’ira pas à l’école et par conséquent ne pourra pas accéder de manière équitable au marché du travail. Etre en bonne santé permet donc d’être productif, d’être instruit, plus rentable, de faire des économies et d’encourager l’investissement. C’est la raison pour laquelle j’ai défini ce chantier royal comme une révolution sociale. La généralisation de l’AMO est effectivement une porte d’entrée vers la justice sociale. Au Maroc, les ménages marocains payent environ 60% des dépenses de santé, dont 45% sont des dépenses directes et le reste des cotisations à l’AMO. Or, 60% c’est énorme puisque dans certains pays, ce taux varie entre 1% et 8%. 60% des dépenses de santé à la charge des ménages constituent un handicap face au recours aux soins. Certains renoncent à leur traitement uniquement parce qu’ils n’ont pas les moyens, mettant ainsi en péril leur santé.

F. N. H. : Le Maroc connaît une fuite non négligeable des cerveaux dans le domaine de la santé. Or, cet état de fait va à l’encontre des ambitions du projet de la généralisation de la couverture sociale, notamment pour ce qui est de couvrir la demande en soins appelée à augmenter grâce audit projet. Quelles peuvent être les solutions envisageables selon vous ?

Dr T. H. : Le Maroc dispose actuellement de 28.000 médecins, et nous avons besoin de 65.000 professionnels de santé, dont 32.000 autres médecins. Le besoin en médecins est criant et la seule solution est de former plus. Le problème, c’est que même en for- mant plus, plusieurs étudiants en médecine font le choix d’exercer à l’étranger. Chiffre à l’appui, ils sont aujourd’hui entre 10.000 et 14.000 médecins marocains à s’être installés ailleurs. Par ailleurs, parmi les 28.000 médecins travaillant au Maroc, une partie exerce dans le secteur public et une autre, nettement plus impor- tante, opte pour le privé. Certes, il faut former plus de médecins, mais il faut surtout savoir les retenir.

Primo, pour ce qui est de la formation, parmi les solutions classiques figure la révision du nombre d’années d’étude, chose faite en passant de 7 à 6 ans, mais tout en adaptant le cursus universitaire aux besoins et objectifs de la politique de santé au Maroc. Secundo, la formation de plus médecins et de professionnels de santé nécessite plus de CHU et facultés de médecine. Dans ce cas-là, il est donc primordial de faire participer les médecins-enseignants exerçant dans le privé à l’encadrement des étudiants. Il faut également veiller à ce que la formation des médecins ne se passe pas uniquement aux amphi- théâtres, mais plus au chevet des malades, dans les hôpitaux et dans l’ambulatoire. Le rôle du privé est très important; il faut penser à accréditer des cliniques afin de leur permettre de recevoir des étudiants. Il en est de même pour les cabinets médicaux de spécialistes ou de généralistes afin que ces étudiants puissent faire leurs stages en médecine de ville, c’est- à-dire la médecine ambulatoire, d’autant que c’est au niveau de ces établissements que se fait la majorité des demandes de soins, non pas au niveau des CHU.

Les médecins marocains fuient leur pays pour plusieurs raisons. D’abord, les conditions salariales ne sont pas à la hauteur de leurs attentes, que ce soit dans le public ou dans le privé. D’ailleurs, certains médecins du privé partent à l’étranger même après avoir engagé des investissements, et ce au vu des nombreuses difficultés rencontrées, notamment sur le plan fiscal. Il faut donc repenser tout ça et améliorer les conditions matérielles ainsi que l’environnement de travail. 

Autre raison, la formation jugée de plus en plus faible. Celle-ci devrait donner aux médecins plus de perspectives de carrière. L’exode des médecins n’en est qu’à son début; ce phénomène risque de s’accentuer à l’avenir puisque nous sommes dans l’ère de la mondialisation, et les pays du nord semblent pré- senter plus d’opportunités. Il faut faire le maximum pour maîtriser le flux des médecins à l’étranger en créant un environnement favorable. Le Maroc devrait changer certaines lois pour faciliter le retour de certains et permettre à d’autres de venir travailler au Maroc de manière partielle. Il faut aussi profiter de ces compétences à l’étranger pour aider le système de santé marocain, notamment en les associant à la réflexion.

F. N. H. : L’augmentation du nombre de bénéficiaires de l’AMO va générer une forte demande des soins de santé. Depuis le lancement de ce chantier royal, qu’est-ce qui a été fait pour adapter l’offre à la demande, à savoir les infrastructures hospitalières, les ressources humaines, les médicaments et les équipements ?

Dr T. H. : L’objectif de la généralisation de l’AMO, c’est de faciliter l’accès financier aux soins, de façon à ce que tous les patients marocains puissent bénéficier d’une consultation chez le médecin. Cela permettra par la même occasion d’améliorer la productivité de certains médecins qui n’accueillent que 2 ou 3 patients par jour. Aussi, il faudra que les soins externes, notamment les consultations dans les cabinets, les médicaments, les analyses et la radiologie soient accessibles aux tiers-payants. La généralisation de l’AMO va donner lieu à une explo- sion de la demande des soins, raison pour laquelle SM le Roi avait appelé à une refonte profonde du système de santé. 

Sur le plan quantitatif, des contrats sont actuellement en cours afin de doubler le nombre de médecins à former d’ici 2026 et de tripler le nombre de professionnels de santé. Outre cela, un budget supplémentaire de 4,6 milliards de dirhams a été attribué au ministère de la Santé, soit 19% de plus par rapport aux années précédentes. En revanche, il ne suffit pas de se pencher uniquement sur le volet quantitatif, une bonne gouvernance s’impose également. Justement, le Maroc travaille aujourd’hui sur cette question à travers la régionalisation, la digitalisation et la création de certaines agences, telle que la haute autorité de santé.

F. N. H. : Bien que les médicaments génériques permettent aux Etats de faire des économies, ils ne représentent aujourd’hui que 40% du marché pharmaceutique marocain. A votre avis, la généralisation de la couverture médicale va-t- elle encourager la prescription et l’utilisation du médicament générique ?

Dr T. H. : C’est tout à fait l’inverse. C’est la prescription des génériques qui va booster la généralisation de l’AMO. Plus les médicaments génériques seront prescrits, et moins les dépenses des ménages et des caisses d’assurance maladie seront importantes. Grâce à ces prescriptions, les caisses vont pouvoir faire des économies qui vont leur permettre d’assurer leur équilibre financier. La prescription des génériques permet, à côté du parcours de soins coordonnés et des protocoles thérapeutiques, d’assurer la maîtrise médicalisée des dépenses.

Au Maroc, 40% des médicaments commercialisés sont des génériques et 60% des princeps qui sont d’ail- leurs très chers, alors qu’aux Etats- Unis, où les dépenses de santé sont les plus élevées dans le monde, 80% des médicaments prescrits sont des génériques. Il est donc nécessaire d’inciter les médecins à prescrire plus de génériques et d’agir au niveau des pharmacies, en les appelant à octroyer au patient des génériques au cas où ce dernier se présenterait sans ordonnance. Il faut également encourager l’industrie nationale à produire plus de médicaments génériques qui sont très importants pour l’assurance maladie et pour la pérennité des caisses.

F. N. H. : Le parcours de soins coordonnés permet une meilleure prise en charge des dépenses de santé. Qu’est-ce qui fait de ce dispositif une clé de succès de la généralisation de la couverture médicale ?

Dr T. H. : D’abord, les études ont montré qu’en respectant le parcours de soins coordonnés, la qualité des soins des patients s’améliore, notamment en leur permettant de mieux cibler le médecin apte à traiter leur maladie, ce qui représente à la fois une économie de temps et d’argent pour les patients et pour les caisses. Ledit parcours constitue également une aubaine pour les médecins qui ne vont traiter que les maladies relevant de leur spécialité. Il en résulte ainsi une opti- misation de nos ressources humaines qui sont déjà en sous-effectif.

F. N. H. : La mise en place du registre social unifié (RSU) aura lieu en 2023 au lieu de 2025. Quels sont les objectifs de cette plateforme et dans quelle mesure va-t-elle contribuer à la réussite de ce chantier d’envergure ?

Dr T. H. : Le registre social unifié va permettre un meilleur ciblage des personnes qui ont réellement besoin des aides octroyées par l’Etat. Par exemple, pour ce qui est de l’AMO, un ramediste qui va bénéficier de la carte de la CNSS aura-t-il les moyens de se faire soigner dans le privé ? Pas du tout. Pour ces personnes-là au moins, il faut donc avoir le tiers-payant. Si nous ne pouvons pas généraliser le tiers-payant pour l’ensemble des assurés marocains, il faut au moins commencer par donner à ceux qui perçoivent un salaire mensuel inférieur à 4.000 DH des cartes de cou- leurs différentes.

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