La création de l’Agence marocaine antidopage (AMAD) a pour finalité de garantir la réussite de la politique sportive nationale et de lutter contre le dopage.
Il s’agit d’une structure indépendante tant au niveau de ses activités opérationnelles que de ses décisions.
Entretien avec Docteur Fatima Abouali, présidente de l’Agence.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Vous avez été nommée présidente de l’AMAD le 17 septembre 2020, lors du Conseil de gouvernement. Depuis que de chemin parcouru. Quels sont les premiers chantiers que vous avez entamés ?
Docteur Fatima Abouali : Effectivement, que de chemin parcouru pour mettre en place la structure, conformément à la réglementation nationale, mais également aux orientations et exigences internationales, notamment celles de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et de l’Agence mondiale antidopage. Depuis la création de l’AMAD en janvier 2021, il nous a été indispensable et vital d’élaborer des outils de gestion et de gouvernance de l’agence. Grâce à l’aide et au soutien des membres du Conseil d’administration, les mécanismes de travail ont été mis en place, pour ne citer que le règlement intérieur du Conseil d’administration, le statut de l’agence, le statut du personnel, le règlement des formes de passation des marchés de l’AMAD, la décision de l’organisation financière et comptable, la décision de l’organisation administrative, la charte d’autorisation d’usage à des fins thérapeutiques, la charte du conseil de discipline, les règles antidopage et le règlement disciplinaire. En parallèle à ces différentes opérations, il a été développé un programme basé sur l’éducation et la sensibilisation, le contrôle du dopage, la coopération et la communication ainsi que la recherche. Toutes ces actions sont l’AMAD 2021, disponible sur notre site www.amad.ma. De même, l’agence a réussi à faire adhérer à son programme des compétentes pour mener à bien ses missions. Elle a formé des agents de contrôle du dopage, des agents préleveurs et des agents d’éducation, sans omettre le recrutement d’un personnel qualifié. Par ailleurs, l’AMAD a initié la coopération avec les organisations nationales et internationales dans le domaine de la lutte contre le dopage.
F.N.H. : Le Maroc n’est pas épargné par le dopage. Dans quel contexte intervient la création de cette agence ?
Dr F. A. : Depuis plusieurs décennies, notre Royaume a déployé des efforts remarquables en termes de promotion du sport et pratique sportive, aussi bien au niveau du sport amateur que du sport de haut niveau. Ceci a été concrétisé par le développement de la législation encadrant la pratique sportive via la loi 30-09, la modernisation de la gouvernance du secteur, la réforme du système de formation, la professionnalisation des métiers du sport et la création ou la mise à niveau d’infrastructures sportives. La loi 97-12 relative à la lutte contre le dopage dans le sport est venue pour couronner tous ces efforts afin de promouvoir un sport propre, garantissant la santé des athlètes et l’éthique sportive. C’est dans ce contexte qu’intervient la création de l’AMAD, pour garantir la réussite de la politique sportive nationale et lutter contre toutes les pratiques pouvant porter atteinte au respect et à la déontologie du sport, ses valeurs et ses objectifs.
F.N.H. : L’AMAD est une structure indépendante. En quoi ce statut pourra servir concrètement sa mission sur le terrain ?
Dr F. A. : L’AMAD est indépendante tant au niveau de ses activités opérationnelles que de ses décisions, et ce vis-à-vis de l’écosystème sportif. Ceci lui confère le droit de planification, de gestion et de décision en ce qui concerne la lutte antidopage à l’échelle nationale comme exigé par la réglementation internationale. L’Agence mondiale antidopage (AMA) exige ce type d’indépendance pour toutes les Organisations nationales antidopage (ONAD) afin de garantir un mode de fonctionnement uniforme selon les standards et procédures internationaux, sachant que les ONAD (y compris la nôtre) sont évaluées par l’AMA pour leurs activités opérationnelles en vue de la conformité au Code mondial antidopage (CMA). Il est important de signaler que toute nonconformité à ce Code entraîne des sanctions pour le sport national et le pays.
F.N.H. : Comment jugezvous la situation actuelle du dopage au Maroc et avezvous des chiffres récents ?
Dr F. A. : La situation du dopage et des conduites dopantes au Maroc reste encore à étudier. Il n’y a pas de statistiques fiables pour pouvoir établir l’état des lieux. Mais en se basant sur les référentiels internationaux relatifs à l’évaluation des risques de dopage par discipline sportive, l’AMAD établit un programme national intelligent et efficace pour évaluer le degré de ce fléau dans notre pays. Pour illustrer ce qui vient d’être annoncé, l’AMAD a effectué au cours de l’année 2021, 666 contrôles avec une moyenne mensuelle de 55,5 au niveau de 25 fédérations sportives nationales. Il ressort des résultats d’analyses du laboratoire que 8 cas de sportifs sont positifs à des substances interdites, soit un taux de positivité de 1,2%. Ce taux reste élevé par rapport à la moyenne internationale. Cependant, il se traduit par deux hypothèses : soit le programme établi par l’AMAD est très performant en matière d’évaluation des risques permettant d’atteindre les foyers potentiels de dopage, soit la prévalence des pratiques dopantes au Maroc est inquiétante.
F.N.H. : Quelles sont les actions à renforcer pour une meilleure efficacité ?
Dr F. A. : Les actions que nous allons mener touchent différents volets, entre autres le renforcement du programme national de contrôle du dopage, des enquêtes et investigations sur les violations antidopage, notamment la détermination de la provenance et la circulation des substances interdites. Notre finalité est de faire également un focus particulier sur l’éducation, qui est le fondement de tout programme antidopage afin de prévenir le dopage non intentionnel ou involontaire et de protéger nos sportifs. Cela se traduirait par la densification de notre réseau d’éducateurs, ce qui nous permettra d’augmenter le nombre de séances de sensibilisation au profit des sportifs ainsi que leur personnel d’encadrement (personnel médical, coachs, personnel…). Nous continuerons aussi à encadrer les événements sportifs, avec le précieux support des fédérations sportives ainsi que d’autres partenaires. Par ailleurs, en collaboration avec le ministère chargé du sport, qui nous est d’un grand appui et une précieuse aide, nous allons aussi organiser des séances d’éducation au profit des sportifs en milieu scolaire et leur entourage. Nous voulons vulgariser la lutte contre le dopage et conduites dopantes sur tout le Royaume. Nous prévoyons d’atteindre les différentes régions et d’aller vers les gens en organisant une campagne pour faire passer des messages percutants contre ce fléau.
F.N.H. : Vous avez réalisé il y a quelques années une vaste recherche sur le «Maâjoune»,en tant que matière dopante. Quelles sont vos conclusions ?
Dr F. A. : Le «Maâjoune» est un électuaire pâteux traditionnel marocain dont la composition est très variable selon la région. Sa consommation est à la fois fréquente et banalisée par méconnaissance des risques toxiques en cas d’abus. Initialement préparée à base de résine de chanvre indien, elle peut contenir un certain nombre de plantes comme le pavot, datura stramonium, jusquiame, belladone, noix de muscade, cardamone, maniguette, cubèbe … Le cannabis est une substance de la catégorie S8 des cannabinoides figurant sur la liste des interdictions de l’année 2022. Son principe actif est le THC (∆9-tétrahydrocannabinol), en général consommé pour son effet euphorisant et apaisant. Mais ses effets indésirables sont considérables, pouvant comporter des risques fâcheux pour la santé du sportif, à savoir l’incoordination motrice, la confusion mentale, la dépendance psychique, les troubles neurologiques, respiratoires, cardiaques et biologiques. Malheureusement, de nos jours, ce mélange est susceptible de contenir d’autres composants purement chimiques beaucoup plus nocifs pour la santé tels que les diluants, les psychotropes et les stimulants.
F.N.H. : Les produits dopants sont commercialisés dans les salles de culturisme de manière très courante. Quels sont vos efforts dans ce sens ?
Dr F. A. : Cette question est primordiale. Et pour cause, l’article 43 de la loi 97-12 fait des salles de sport une partie intégrante des cibles de l’AMAD. Dans ce sens, l’Agence est en préparation d’un projet pilote, avant de l’élargir à plus grande échelle. A cet effet, l’AMAD mènera des campagnes de sensibilisation sur les dangers et risques liés à la consommation des compléments alimentaires, ainsi qu’une approche axée sur la priorité à l’alimentation saine. Il est très important que les sportifs, mêmes amateurs, sachent qu’il faut être très vigilants quant à la consommation de compléments alimentaires qui peuvent présenter des risques.