Les récentes opérations d’abattage des chiens errants ont relancé le débat sur la gestion de la population canine au Maroc.
L’application de la convention cadre sur la gestion de la population canine, signée en 2019, est entravée par plusieurs facteurs, notamment le désengagement des communes, le manque de moyens humains et financiers et l’exclusion des associations expérimentées.
Par M. Ait Ouaanna
Des images de chiens brutalement tués puis jetés dans des camions bennes, à l’issue d’opérations d’abattage menées par les autorités dans plusieurs régions du Royaume, ont fait le tour de la toile. Une situation face à laquelle les voix des ONG et des différents organismes et associations dénonçant la «cruauté» de ces actes, se sont de plus en plus élevées. Des pétitions, des sit-in, des lettres ouvertes etc ., une panoplie d’actions ont été déployées, appelant les pouvoirs publics à gérer la population canine en recourant à d’autres alternatives moins «barbares».
Dans une récente déclaration, le Collectif des associations marocaines de protection animale a fait part de sa «profonde» indignation vis-à-vis du sort «douloureux» infligé aux chiens errants au Maroc. D’après cette même source, la non application du programme TNVR (capturer, stériliser, vacciner, relâcher), devant couper court aux maladies telles que la rage et d’autres zoonoses, donne lieu à des opérations «brutales et inhumaines» de capture et d'abattage des animaux à travers tout le pays, incluant ceux déjà stérilisés, vaccinés et identifiés.
En effet, le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Santé, l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) et le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires du Maroc (OVM) avaient signé en 2019 une convention cadre sur la gestion de la population canine. En revanche, l’application de cet accord quadripartite visant à mettre en œuvre le TNVR n'emprunte pas le bon chemin.
Inclusion des «vraies» associations : Une nécessité
Selon Amal El Bekri, une des deux facilitatrices du Collectif, plusieurs facteurs entravent la mise en application de ladite convention. Il s’agit tout d’abord de la délégation de la gestion du programme TNVR à des associations «inexpérimentées». «La première raison derrière cet échec est l’exclusion des vraies associations de protection animale de terrain (qui peuvent être soutenues par la société civile) de cette convention quadripartite. Le ministère de l'Intérieur et l'Etat, malgré toute leur bonne volonté, ne pourront jamais mettre en œuvre cette convention s'ils persistent à exclure l’une des parties incontournables du TNVR ainsi que son expertise du terrain».
En outre, Amal El Bekri, également secrétaire générale du Réseau associatif pour la protection animale et le développement durable au Maroc (RAPAD), fait savoir que cette situation est due au manque d’expertise et à l’insuffisance des ressources humaines et financières nécessaires pour gérer de manière efficace la population canine errante au Maroc. «Sans un budget reflétant la réalité du terrain, les communes seront dans l'obligation d’interrompre le programme. Cela serait perçu malencontreusement comme un échec du TNVR», déplore-t-elle. «Ce qui fait aussi défaut, c'est le volet de l’expertise. Seules les vraies associations de protection animale de terrain soutenues par la société civile sont capables de débloquer une partie de ces contraintes, les autres relèvent de la responsabilité de l’Etat. Si nous persistons à maintenir le statu quo actuel, la situation restera enlisée et nous obligera continuellement à revenir en arrière», poursuit-elle.
Manque de sérieux !
Ce n’est pas tout, El Bekri déplore également un manque de volonté et d’engagement de certaines communes qui ne prennent pas à bras-le-corps la problématique. «Dans la majorité des cas, les communes manquent indubitablement d'engagement dans l'application des politiques et des programmes visant à gérer la population canine. Il faut noter que rien ne les y oblige. Pis encore, certaines sabotent délibérément le travail de terrain déjà effectué par les associations de protection animale ou les citoyens impliqués dans le programme TNRV de manière individuelle. Cet état de fait freine et complique la mise en œuvre de cette convention», s’insurge-t-elle.
Le TNVR, la solution idéale
Par ailleurs, l’échec du déploiement de la convention et donc du programme TNVR est également lié à des problèmes culturels. «Au Maroc, les chiens errants sont traditionnellement perçus par certains citoyens comme des vecteurs de nuisances diverses suite à leurs proliférations rapides (aboiements, bagarres relatives aux périodes de reproduction, effets de meutes)», explique la militante, notant que la méthode TNVR est la seule et unique solution permettant une bonne gestion de la population canine.
«Les 60 années d’abattage n’ont fait qu’exacerber la situation. Que nous acceptions ou pas l'élimination des animaux errants n’apportera aucun changement à la situation actuelle. Seule la stérilisation combinée à la vaccination, le déparasitage et la remise de l’animal sur le lieu de capture, mettra fin à la rage, aux diverses zoonoses et réduira drastiquement le nombre d’animaux dans nos rues. C’est le prix à payer pour éradiquer définitivement ces maladies et c’est avant tout un problème de santé publique», précise-t-elle. Dans le même ordre d’idées, Amal El Bekri pointe du doigt l’absence de sensibilisation et d'éducation des citoyens sur la question des chiens errants.
«Cela peut entraver les efforts visant à mettre en place une gestion efficace des chiens errants. Les autorités doivent impérativement solliciter les médias et tout autre support à leur portée pour expliquer le processus. Là encore, les vraies associations de protection animale de terrain et la société civile pro-protection animale peuvent jouer un rôle crucial. Pour cela, il faut bien évidemment leur donner les moyens financiers et les soutenir comme de vrais partenaires. Jusqu’à présent, c’est exactement le contraire qui se produit, avec la diabolisation des animaux errants et des chiens en particulier, ce qui aggrave encore le dénigrement total du travail associatif. C’est absolument contre-productif», déplore-t-elle.
Quid du plan d’action de l’Intérieur ?
En réaction à la vive polémique suscitée par les récentes opérations d’abattage des chiens errants, le ministère de l’Intérieur a mis en place une série d’actions, notamment la diffusion de circulaires incitant les communes à éviter le recours aux armes à feu ainsi qu’aux substances toxiques, telle que la strychnine, pour éliminer les chiens errants, le lancement de programmes de sensibilisation des communes quant à la méthode TNVR ou encore la mise en œuvre d’un programme sexennal (2019-2024) visant la création de 76 bureaux communaux d’hygiène.
Notant que le Collectif, composé d’un total de 45 associations de la protection animale, de l'environnement et du développement durable, félicite et prend acte de la démarche entreprise par le ministère, Amal El Bekri relève en revanche que lesdites circulaires n’ont «absolument rien d’astreignant et ne mentionnent à aucun moment le rôle que doivent jouer les vraies associations de protection animale de terrain. De plus, rien n’empêche la capture des animaux errants et leur mise en fourrière, sans eau ni nourriture, jusqu’à ce que mort s’en suive. Cela se ferait juste à l’abri du regard des citoyens. C’est incontestablement le schéma que le Royaume reproduit systématiquement et qui mène inéluctablement à rester un pays endémique de la rage et des diverses zoonoses», se désole-t-elle.