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Des enfants mendiants : Une filière rentable… et criminelle

Des enfants mendiants : Une filière rentable… et criminelle

Ce sont des images urbaines que l’on rencontre de plus en plus fréquemment. Aux feux rouges, dans les rues, sur les grands boulevards, devant les mosquées, à côté des restaurants et des snacks, devant les épiceries et autres supérettes, dans les marchés, et même sur les plages.

 

Par Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste

 

De jeunes enfants, entre 6 et 14 ans, qui sillonnent le macadam des jours en tendant la main. Ils font la manche et vous servent un chapelet appris par cœur en invoquant Dieu et ses saints pour 50 centimes ou un dirham.

Ils peuvent faire des dizaines de kilomètres, d’un quartier de la ville à l’autre, la faim au ventre, par cette chaleur intenable, affichant des mines grises, des visages tristes, comme s’ils portaient déjà tout le poids de la vie sur leurs frêles épaules. Certains leur donnent. D’autres se font un principe de ne rien leur donner pour ne pas les encourager à continuer  sur cette voie de la mendicité.

Mais, parmi ces enfants, il s’en trouvent qui avancent des arguments imparables : «Je demande la charité pour économiser de quoi acheter mes livres et mes cahiers pour la prochaine rentrée scolaire» ; «Je suis orphelin, c’est moi qui nourrit ma petite sœur », comme le répète ce jeune garçon de 14 ans, d’un air convaincant. Vrai ou faux ? Là n’est pas la question. L’équation à résoudre est ailleurs. Puisque les chiffres de la mendicité infantile explosent au Maroc.

Certains avancent la crise du Covid-19 quand d’autres insistent sur la précarité et sur la pauvreté qui frappent de plus en plus de familles vulnérables. Certes ces explications jouent un rôle dans la consécration d’un fléau social qui cache d’autres réalités.

En effet, et vous l’avez tous déjà vu plus d’une fois, dans la rue, des femmes ou des hommes sont assis sur des cartons, avec des enfants en bas âge, avec des boîtes de médicaments vides, des ordonnances ou une facture d’eau et d’électricité. D’autres exhibent leurs maladies sur la voie publique, toujours avec des mômes qui jouent à côté et qui doivent remplir leur rôle d’apitoyer les passants.

Pour de nombreux analystes, une majorité de ces enfants sont des victimes exploitées par des réseaux organisés qui bradent l’enfance sur l’autel du profit quotidien. Selon Hind Laidi, présidente de l’association Jood, qui connaît très bien le sujet pour avoir suivi ses ramifications depuis des années, avec un réel travail de terrain, «Il existe des réseaux spécialisés dans la mendicité infantile. Ils louent l’enfant à 150 dirhams par jour. Il leur rapporte 350 dirhams en moyenne par jour. Les vendredis, près des mosquées, ces chiffres grimpent jusqu’à 850 dirhams. Les revenus peuvent osciller entre 8.500 à plus de 12.000 dirhams par mois». C’est le salaire d’un professeur universitaire, qui a passé plus de 25 ans à étudier pour décrocher un poste et un salaire, en toute dignité.

Nous sommes là face à une mendicité professionnelle, avec des codes, des règles et des lois. Tout un réseau, très bien structuré, qui fait des bénéfices en exploitant des enfants et des bébés entre six mois et 3 ans, en leur imposant plus de 16 heures de vie dans les rues, en les maltraitant, en les frappant, leur causant des traumatismes à vie. Pour vous donner quelques précisions officielles sur les réalités de la mendicité professionnelle exploitant les enfants, on doit revenir à des chiffres anciens en l’absence de données plus récentes. 

Déjà, en 2015, l’Unicef, dans un rapport sur la situation des enfants avançait le chiffre de 25 000 enfants clochardisés, qui vivent dans les rues grâce à la mendicité. En 2016, la DGSN a procédé à l’arrestation de 2890 mendiants professionnels, dont 1177 mineurs. 

En 2020, le plan d’action relatif à la protection de l’enfance contre l’exploitation dans la mendicité, le bilan établi par le ministère de la solidarité, du développement social, de l’égalité et de la famille et le parquet général ont souligné avoir sauvé des griffes de la rue 142 enfants dont 79 filles et 63 garçons.  Et ce, juste dans la région de Rabat, Salé et Kénitra.

La situation à Casablanca est encore pire tout comme dans des villes comme Marrakech ou Tanger où le phénomène est de plus en plus prononcé. Dans ce sens, il faut rappeler ici que la mendicité est un délit dans le code pénal, dans l’article 326. On peut y lire, en substance «qu’il est puni d'emprisonnement d'un à six mois, quiconque ayant des moyens de subsistance ou étant en mesure de se les procurer par le travail ou de toute autre manière licite, se livre habituellement à la mendicité en quelque lieu que ce soit ».

Pourtant, faites un tour dans les rues, dans tous les quartiers, le constat est le même. Il est cruel. Il est insoutenable. Car au-delà de cette exploitation précoce des enfants, il faut savoir qu’une majorité de ces enfants ne va jamais à l’école et finit en professionnel de la main tendue. Sans oublier les ravages psychologiques et mentaux, l’addiction aux drogues et toutes les dérives de la vie dans la rue.

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