(Première partie) - George Orwell ouvre une brèche dans une muraille imprenable avec son «1984». Nous pouvons glisser ici toutes les dates que nous souhaitons, la finalité reste la même.
Hier comme aujourd’hui, autant que demain, George Orwell nous oblige à regarder dans un miroir pour y voir le reflet de notre époque, dernier péage avant la grande sortie de piste.
L’auteur de la «Ferme des animaux» nous dit sans ambages qu’il faut oublier trois composantes essentielles de la longue marche des humains : la liberté, la justice et le bonheur.
Si nous avons réussi à apprendre quelque chose de toutes ces différentes époques qui se succèdent avec leur lot de perdition et d’errance, c’est qu’il nous faut aujourd’hui d’abord exister avant d’avoir la velléité de vivre. Il faudra, plus tard, survivre, tout court. C’est inéluctable.
Jetez un regard autour de vous. Regardez dans quel monde vous êtes aujourd’hui. Ne vous leurrez pas. Ne vous trompez pas de lecture : un monde est en ruines. Un autre monde est en passe de devenir. Quelle place nous y est impartie ? C’est une équation à plusieurs inconnues que l’on tentera de résoudre le moment venu.
Pour l’instant, et pour arriver à exister dans ce monde aux bords déchiquetés, il faut accepter trois autres composantes, sans appel : le contrôle, la peur constante et l’ignorance.
Moins on fait appel à ses méninges, plus on contrôle celui qui a peur. Plus on accentue sa panique, moins l’individu est enclin à réfléchir. Plus il se soumet, plus facile devient son achèvement.
Avec cette nuance de taille : aucune balle ne sera tirée. Aucune bombe ne sera larguée. Le projectile létal est sous la peau. Il coule dans les veines. Il est invisible. C’est sa raison d’être.
Ne pas être vu pour créer une angoisse incurable. Celle-ci dégénère en dépression sévère pour donner corps au suicide par omission (Jamais le nombre de suicides n’a atteint de tels chiffres dans toute l’histoire humaine). C’est-à-dire : je veux mourir. J’accepte la fin. Parce que j’ai fait mon temps.
Arrivé à échéance, l’homme jette un dernier regard à sa date de péremption, béat, détraqué, bon pour la décharge. Il ne s’agit pas là d’une chute boursière.
Ce n’est pas non plus l’effondrement d’une cotation et d’un indice de valeur marchande. Il est question d’une dépression pure qui marque une fin et le début d’un autre virage, où l’homme n’est qu’un ingrédient subsidiaire.
Francis Fukuyama avait, à juste titre, parlé de la fin de l’Histoire en 1989. Année très importante pour qui sait lire entre les lignes de cette folle Histoire. Trois décennies plus tard, nous parlons de la fin de l’Homme, comme du passage d’une culture naturelle à une autre génétiquement modifiée.
L’Homme OGM est né il y a un demi-siècle. Aujourd’hui, il cède la place à l’Homme-marionnette, l’Homme dirigeable avec une manette, en attendant une nouvelle version de l’Homme rechargeable.
Il est programmé pour un temps, pour certaines tâches, pour consommer surtout. C’est parce qu’il consomme encore qu’il survit. Arrive bientôt l’ère où l’homme-consommateur ne servira plus à rien.
Nous passerons alors à une autre forme d’existence. Elle confirme d’abord ce constat indiscutable : «Les masses ne se révoltent jamais de leur propre mouvement, et elles ne se révoltent jamais par le seul fait qu'elles sont opprimées.
Aussi longtemps qu'elles n'ont pas d'élément de comparaison, elles ne se rendent jamais compte qu'elles sont opprimées.»
Aujourd’hui, il n’y a plus aucun élément de comparaison dans cette uniformité humaine. Excepté quelques poches de résistance, très réduites, du reste, ce qui demeure encore de l’humanité est interchangeable.
Comme dans une supérette, on peut s’octroyer des pièces de rechange pour dépanner, avant que la machine ne soit bonne pour la casse. Une affaire de temps. De temps linéaire, cette fois. C’est la loi de la fin d’un cycle.
Il a ceci de particulier qu’avant d’achever sa révolution, il prend une ligne droite qui se jette dans le néant. Pour emprunter un terme à l’astrophysique, disons que toute Super Nova finit en trou noir quand elle s’effondre sur sa propre masse.
C’est notre destinée. Tout est déjà en place. Tout le reste n’est qu’une formalité.
Abdelhak Najib, écrivain-journaliste