Fès, Essaouira, Rabat, Casablanca, Agadir… L’été marocain bat au rythme des festivals. Des rendez-vous devenus presque rituels pour les Marocains, les touristes, les artistes et… les pouvoirs publics. Entre ferveur populaire, retombées économiques et ambitions diplomatiques, ces événements culturels redessinent chaque année la carte estivale du Royaume. Non sans poser, au passage, de réels enjeux de gouvernance et de durabilité.
Du 19 au 21 juin 2025, Essaouira a accueilli la 26e édition du Festival Gnaoua et Musiques du Monde. Trois jours de concerts, de fusion musicale et de débats, ayant attiré plus de 300.000 festivaliers. Dans les ruelles de la médina, sur les grandes scènes du bord de mer ou dans les riads transformés en lieux d’échange, le festival a confirmé sa vocation : croiser les héritages spirituels gnaouis avec les musiques du monde, dans une ambiance à la fois populaire et exigeante.
À peine quelques jours plus tard, Rabat et Salé vibraient au son du très attendu Mawazine – Rythmes du Monde (20 au 28 juin), qui aurait rassemblé près de 3,75 millions de spectateurs. Entre têtes d’affiche internationales et artistes marocains de renom, l’événement est à la fois un mégashow populaire, un outil de soft power diplomatique, et une vitrine pour les musiques locales.
Derrière les projecteurs, les festivals dopent toute une économie parallèle : hôtellerie, restauration, transport, artisanat, petits commerces. À Essaouira comme à Rabat, les hébergements affichent complet, les restaurants tournent à plein régime, et les vendeurs ambulants voient défiler un public nombreux et prêt à consommer.
Pour Fahd El Khalil, expert en événementiel, ces événements sont devenus des leviers économiques structurants, mais encore trop inégalement répartis : «On observe une vraie concentration de l’offre culturelle dans certaines villes, surtout à Casablanca dernièrement. Les festivals génèrent beaucoup de valeur, mais celle-ci reste cantonnée à quelques territoires. Il faut désormais penser à un maillage plus équilibré pour faire profiter toutes les villes».
Il souligne également le rôle structurant des festivals pour les métiers de la scène : «Un festival, ce n’est pas juste de la musique. C’est une centaine de métiers mobilisés temporairement : monteurs, éclairagistes, communicants, techniciens… Il faut penser à pérenniser cette chaîne de compétences».
L’attractivité culturelle au service des territoires
Les collectivités locales intègrent désormais les festivals dans leur stratégie de positionnement. Jazzablanca, Timitar à Agadir, le Festival des Musiques Sacrées à Fès, L’Boulevard à Casablanca ou encore le Festival de Tiznit s’inscrivent dans cette dynamique. Ils ne rivalisent pas en budget, mais parient sur leur singularité.
À Agadir, Timitar valorise les musiques amazighes en les ouvrant aux sonorités africaines. À Fès, la spiritualité soufie dialogue avec les voix du monde. À Casablanca, L’Boulevard s’ancre dans la scène urbaine alternative. Ces festivals s’adressent à des publics variés, mais manquent souvent de soutien institutionnel stable.
La répartition géographique reste un point sensible. La majorité des festivals se déroule entre juin et août, dans les grandes villes du littoral. Les zones rurales ou enclavées, pourtant riches en traditions, restent en marge.
Fahd El Khalil note cette fracture :«On a une scène culturelle extraordinairement vivante, mais elle est inégalement nourrie. L’État pourrait impulser des partenariats public-privé pour faire émerger des festivals dans des régions moins médiatisées».
Quel avenir pour les festivals ?
La multiplication des festivals pose aussi la question de leur durabilité : gouvernance, financement, impact environnemental… Peu de données publiques permettent d’évaluer leur efficacité réelle.
«Il faut sortir du modèle one-shot. Trop d’événements disparaissent faute de stratégie à long terme. À ce titre, il faut penser les festivals comme des catalyseurs, pas seulement des spectacles ponctuels», insiste El Khalil.
Il plaide pour une professionnalisation du secteur, avec des normes de qualité, une structuration de la filière et une évaluation claire des retombées. Car au-delà du spectacle, les festivals sont aussi un enjeu de politique culturelle nationale.
Le succès des festivals d’été au Maroc ne se dément pas. Mais leur pérennité passe désormais par des choix politiques : encadrer, soutenir, répartir, réguler. Pour que la fête ne soit pas une parenthèse, mais un levier de transformation.
Comme nous le résume Fahd El Khalil : «Ce que les festivals révèlent du Maroc est immense. Mais leur potentiel reste largement sous-exploité. Il faut transformer l’effervescence en capital culturel durable».