Médecin-néphrologue, chercheuse et romancière, le Pr Intissar Haddiya mène de front plusieurs combats : améliorer la prise en charge des maladies rénales, sensibiliser le grand public à travers l’écriture et œuvrer pour une médecine plus humaine et accessible. Dans cet entretien, elle revient sur son parcours, ses engagements et l’importance du rôle des femmes dans les sciences et la littérature.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Comment évaluez-vous l’état actuel du système de santé au Maroc et quel rôle stratégique les femmes médecins peuvent-elles jouer pour transformer et améliorer ce secteur ?
Pr Intissar Haddiya : Le système de santé marocain connaît des avancées notables, notamment avec la généralisation de la couverture médicale et les réformes en cours. Toutefois, il demeure confronté à plusieurs défis, dont le manque de ressources humaines, une répartition inégale des infrastructures médicales et la nécessité d’une meilleure prise en charge des maladies chroniques, notamment l’insuffisance rénale. Dans ce contexte, les femmes médecins, de plus en plus présentes dans des spécialités pointues comme la néphrologie, jouent un rôle essentiel. Elles apportent non seulement leur expertise clinique, mais aussi une approche humaine et holistique du soin. Leur engagement dans la recherche, l'enseignement et la sensibilisation contribue à améliorer la prise en charge des patients et à faire évoluer les politiques de santé.
F. N. H. : Vous avez été récemment couronnée du prix du meilleur débatteur au Congrès mondial de néphrologie. Que représente ce prix pour vous et comment reflète-t-il vos valeurs en tant que scientifique et femme engagée ?
Pr I. H. : Ce prix est un honneur et une reconnaissance du travail accompli dans le domaine de la néphrologie. Il symbolise l’importance du débat scientifique et de la transmission du savoir, des valeurs qui me tiennent particulièrement à cœur. En tant que femme médecin et chercheuse, je considère que cette distinction est aussi un message d’encouragement à toutes celles qui souhaitent s’imposer dans des sphères académiques et scientifiques encore largement dominées par les hommes. La rigueur, la passion et la persévérance sont des clés essentielles pour faire avancer la science et améliorer la prise en charge des patients.
F. N. H. : Dans certains de vos romans, vous abordez la maladie rénale. Comment parvenez-vous à mêler la dimension scientifique de la néphrologie avec la narration littéraire ?
Pr I. H. : La médecine et la littérature sont, à mon sens, deux domaines complémentaires. L’une soigne le corps, l’autre éclaire l’âme. Dans mes écrits, j’essaie d’intégrer des thématiques médicales, notamment les maladies rénales, de manière accessible et humaine. À travers des récits romanesques, je donne une voix aux patients, aux soignants, aux familles, en mettant en lumière leur parcours, leurs angoisses, leurs espoirs. Mon objectif est double : sensibiliser le grand public aux réalités des maladies chroniques et offrir aux lecteurs une réflexion sur la résilience et la force humaine face à la maladie.
F. N. H. : Dans cette optique, comment percevez-vous l’évolution de l’écriture au Maroc et quel rôle les écrivains, en particulier les femmes, jouent-ils dans cette dynamique de transmission du savoir ?
Pr I. H. : L’écriture au Maroc évolue de manière significative, avec une diversité de voix et de styles qui enrichissent le paysage littéraire. Les écrivaines, en particulier, occupent une place de plus en plus importante. Elles abordent des sujets variés, de l’intime au politique, et contribuent ainsi à déconstruire certains tabous tout en participant à la transmission du savoir. À travers la littérature, elles portent des témoignages, interrogent la société et offrent une nouvelle perception du monde. L’écriture est un outil puissant de sensibilisation et de changement, et je suis convaincue que les plumes féminines jouent un rôle clé dans cette dynamique.
F. N. H. : Quels enjeux les sciences, et plus particulièrement la néphrologie, peuvent-elles soulever dans la narration des histoires humaines, en particulier celles liées à la santé et à la souffrance ?
Pr I. H. : Les sciences médicales, et la néphrologie en particulier, offrent un cadre intéressant pour explorer les histoires humaines. La maladie rénale chronique est une pathologie qui bouleverse profondément la vie des patients et de leurs proches. Elle interroge sur la fragilité du corps, la force du mental, les inégalités d’accès aux soins et la complexité du rapport au temps et à l’attente (de greffe, d’amélioration, de solutions). Intégrer ces réalités dans la fiction permet d’ouvrir le débat sur ces questions de société et d’apporter un regard plus sensible sur le vécu des malades. Loin d’être un simple élément médical, la néphrologie devient ainsi un prisme à travers lequel on peut observer des histoires d’humanité, de solidarité et de résilience.
F. N. H. : Vous êtes également impliquée dans des initiatives associatives. Quel rôle l’engagement associatif joue-til dans le domaine de la santé, notamment en ce qui concerne les maladies rénales, et comment cet engagement enrichit-il votre travail de médecin et d’écrivaine ?
Pr I. H. : L’engagement associatif est un pilier essentiel dans la lutte contre les maladies rénales. Il permet non seulement de sensibiliser le public, mais aussi de soutenir les patients dans leur parcours de soins. Les associations jouent un rôle crucial dans l’accompagnement psychologique, l’éducation thérapeutique et la mobilisation pour améliorer l’accès aux traitements, notamment la dialyse et la greffe rénale. En tant que médecin, cet engagement me permet de garder un lien direct avec les réalités du terrain et d’agir audelà des consultations. En tant qu’écrivaine, il me nourrit d’histoires humaines, d’émotions et de questionnements profonds, qui se retrouvent dans mes romans. C’est une interaction enrichissante entre le terrain médical, le combat associatif et la création littéraire.
F. N. H. : Le 8 mars est une date symbolique pour les droits des femmes. Que représente pour vous cette journée et quel message souhaitez-vous transmettre à celles qui aspirent à se surpasser pour ne pas être dépassées ?
Pr I. H. : Le 8 mars est bien plus qu’une célébration; c’est un moment de réflexion sur le chemin parcouru et sur les défis encore à relever pour l’égalité des genres. C’est aussi une occasion de mettre en lumière les réussites des femmes dans tous les domaines et d’encourager celles qui hésitent encore à poursuivre leurs ambitions. Mon message est simple : osez ! Osez croire en vos capacités, osez affirmer vos compétences, osez revendiquer votre place ! Chaque femme qui se surpasse contribue à ouvrir la voie aux générations futures. Ensemble, nous pouvons construire un avenir plus équitable où le mérite et la persévérance sont les seuls critères de réussite.