La Journée mondiale du rein met en lumière l’importance du dépistage précoce des maladies rénales, qui touchent près de trois millions de Marocains. Environ 10% de la population mondiale sont affectées par cette maladie chronique, dite silencieuse. Entretien avec la professeure Amal Bourquia, néphrologue, présidente de l’association REINS, auteur et experte en éthique médicale.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Quels sont les principaux objectifs de la Journée mondiale du rein et pourquoi est-il important de sensibiliser à la détection précoce des maladies rénales ?
Pr Amal Bourquia : L'association «REINS», et depuis qu’elle a introduit la Journée mondiale du rein au Maroc, œuvre chaque année pour mettre en lumière les différents aspects des maladies rénales et sensibiliser l'opinion publique à leur impact.
Les maladies rénales figurent parmi les principales causes de décès et d'invalidité dans le monde, notamment dans les pays à faible et moyen revenu.
Elles toucheraient près de trois millions de Marocains. Il est essentiel de sensibiliser à l'importance des reins pour la santé globale et de souligner la nécessité du dépistage et du diagnostic précoces pour éviter ou retarder la mise en dialyse.
La détection précoce est cruciale, car les maladies rénales sont souvent silencieuses à leurs débuts, progressant sans symptômes évidents jusqu'à un stade avancé.
Un diagnostic précoce permet de ralentir la progression de la maladie grâce à des traitements adaptés et des changements de mode de vie, évitant ou retardant ainsi le recours à la dialyse ou à la transplantation rénale.
Le dépistage précoce améliore la qualité de vie des patients en maintenant une fonction rénale optimale le plus longtemps possible et réduit les coûts de santé en prévenant les complications graves.
Il repose sur des tests simples, tels que la mesure de la créatinine sanguine, l'analyse de l'albuminurie pour détecter des protéines dans les urines, et une échographie.
F. N. H. : L’association REINS a opté pour le thème «Détectez les maladies rénales tôt pour protéger votre santé rénale» afin de célébrer cette Journée. Quelles sont les raisons de ce choix ?
Pr A. B. : Ce thème souligne l'importance de la prévention et de la détection précoce pour assurer une meilleure qualité de vie aux personnes à risque ou celles atteintes de maladies rénales. Un choix motivé par plusieurs raisons essentielles :
• la première est l'importance de la prévention et de la détection précoce pour assurer une meilleure qualité de vie aux personnes à risque ou atteintes de maladies rénales.
• les maladies rénales sont connues pour être souvent sans symptômes apparents jusqu'à des stades avancés. Identifier tôt une maladie rénale permet d'intervenir rapidement, de ralentir sa progression et de prévenir des complications graves, notamment la nécessité d'une dialyse ou d'une transplantation.
• la prévalence élevée de ces maladies, avec plus de 850 millions de personnes dans le monde souffrant de maladies rénales, en fait une préoccupation majeure de santé publique…
En mettant l'accent sur le dépistage précoce, l'association REINS vise à informer le public sur les facteurs de risque et les mesures préventives.
Cela encourage une prise de conscience et des actions proactives pour maintenir une bonne santé rénale.
F. N. H. : Quelle est l’ampleur des maladies rénales au Maroc aujourd’hui, et quels sont les principaux défis en matière de prise en charge et d’accès aux soins ?
Pr A. B. : Les maladies rénales constituent un enjeu majeur de santé publique au Maroc : environ 10% de la population mondiale sont affectées par la maladie rénale chronique et près de 3 millions de personnes au Maroc.
Parmi elles, environ 38.000 patients sont sous dialyse, tandis que seulement 640 ont bénéficié d'une transplantation rénale, soit près de 1.200 dialysés par million d'habitants.
F. N. H. : Comment améliorer le dépistage et le diagnostic précoce des maladies rénales au Maroc pour éviter ou retarder la mise en dialyse ?
Pr A. B. : L’amélioration du dépistage et du diagnostic précoce est essentielle et nécessite une stratégie nationale multidimensionnelle. Sa mise en œuvre peut inclure :
• La formation des professionnels de santé. Il est important de former les médecins généralistes, les pharmaciens et autres professionnels de santé, qui sont souvent les premiers interlocuteurs des patients à identifier les individus à risque et à les orienter vers un suivi spécialisé.
• L’organisation de campagnes de sensibilisation utilisant divers médias, y compris les réseaux sociaux, pour informer le public sur les facteurs de risque tels que le diabète, l'hypertension artérielle et l'obésité, ainsi que sur les symptômes précoces des maladies rénales.
• La mise en place de programmes de dépistage gratuits et systématiques pour les populations à risque dans les centres de santé.
• La sensibilisation sur l'importance d'une alimentation équilibrée, de la réduction de la consommation de sel, de l’arrêt du tabac, d'une hydratation adéquate et du maintien d'un poids santé pour prévenir les maladies rénales.
• Améliorer l'accès aux consultations néphrologiques et aux examens complémentaires pour un diagnostic précis et une prise en charge adaptée des maladies rénales.
En adoptant ces mesures, le Maroc pourra améliorer le dépistage et le diagnostic précoce des maladies rénales, contribuant ainsi à réduire le nombre de patients nécessitant une dialyse et à améliorer la qualité de vie des personnes à risque.
F. N. H. : Le don d’organes, notamment le don de reins, peut-il être une solution efficace face à la progression des maladies rénales ? Quels sont les freins et les leviers pour encourager cette pratique dans le Royaume ?
Pr A. B. : La transplantation rénale est une solution efficace pour traiter l'insuffisance rénale chronique terminale, permettant aux patients de retrouver une qualité de vie proche de la normale. De nombreux obstacles freinent l’essor de cette thérapeutique.
On peut en citer le manque de sensibilisation et de culture du don, en raison d’une prise de conscience collective insuffisante, des obstacles culturels et religieux liés à un déficit d’informations fiables, ainsi que la non-implication des médecins. Nombreuses sont les actions pour encourager le don et la transplantation de rein.
Nous les avons résumées sous forme de recommandations lors de la journée «Réflexion collective pour une vraie relance du don et de la transplantation d'organes au Maroc».
Parmi elles, le renforcement de la sensibilisation pour instaurer la culture du don dès le plus jeune âge, l’organisation de campagnes d’information et de sensibilisation au don et à la transplantation d’organes avec la participation de toutes les composantes de la société.
Il est aussi nécessaire d’intégrer des modules spécifiques sur le sujet dans les programmes de formation médicale continue pour améliorer les connaissances médicales et les aider à promouvoir ce traitement auprès des patients.
Les amendements du cadre juridique peuvent inclure un registre de refus remplaçant le registre d’acceptation et la création de pole de greffe multidisciplinaire.
En mettant en œuvre une politique de promotion du don et de la transplantation d’organes, le Maroc pourrait permettre aux Marocains d’espérer être greffés en cas de besoin et leur offrir une meilleure qualité de vie.
F. N. H. : Quel rôle les avancées technologiques et le numérique peuvent-ils jouer pour améliorer la prise en charge des patients atteints de maladies rénales ?
Pr A. B. : Les progrès technologiques et le numérique offrent des opportunités majeures pour optimiser la prévention, le dépistage, le suivi et le traitement des maladies rénales. L’intelligence artificielle et le big data permettent d’analyser de grandes quantités de données médicales pour identifier les patients à risque et détecter précocement les signes d’insuffisance rénale.
Grâce aux données des dossiers médicaux électroniques, des outils d’aide à la décision clinique peuvent alerter les médecins sur des anomalies rénales avant même l’apparition des symptômes.
L’IA améliore également l’interprétation des échographies et des scanners rénaux, facilitant ainsi le diagnostic précoce des maladies rénales.
La télémédecine permet aux patients vivant dans des zones éloignées d’avoir un suivi néphrologique sans se déplacer et des objets médicaux intelligents (tensiomètres, glucomètres, capteurs urinaires) peuvent transmettre en temps réel des données aux médecins, assurant un suivi continu de l’état rénal du patient.
L’intégration de l’IA dans le domaine de la néphrologie offre des solutions précieuses pour améliorer le dépistage, optimiser le suivi des patients et moderniser les traitements. Cependant, leur mise en place au Maroc nécessitera des investissements en infrastructures, une formation adaptée des professionnels de santé et une régulation efficace pour garantir l’accessibilité et la sécurité des données médicales.
F. N. H. : En ce mois de Ramadan, quels sont les enjeux pour les patients atteints de maladies rénales, et quelles précautions doivent-ils prendre pour préserver leur santé tout en respectant le jeûne ?
Pr A. B. : Le mois de Ramadan pose des défis particuliers pour les patients atteints de maladies rénales, notamment en raison des changements alimentaires, de l'hydratation réduite et du jeûne prolongé.
Ces facteurs peuvent aggraver une insuffisance rénale sous-jacente, augmenter le risque de déshydratation et perturber l’équilibre des électrolytes.
Dans tous les cas et avant de jeûner, chaque patient doit consulter son médecin pour évaluer sa situation et éviter toute complication rénale.
Les patients diabétiques ou hypertendus sous traitement rénal doivent ajuster leur médication pour éviter les complications et certains médicaments (diurétiques, hypotenseurs, immunosuppresseurs après une greffe rénale) nécessitent une révision des horaires et des doses.
Les patients qui peuvent jeûner sous contrôle médical, sont ceux avec une pathologie rénale dite stable, insuffisance rénale légère à modérée, si leur médecin le permet.
D’autres patients à risque doivent éviter le jeûne, notamment ceux avec une insuffisance rénale avancée (stade 4 ou 5), ou encore ceux sous dialyse ou récemment transplantés.
Les précautions à prendre en cas de jeune sont, tout d’abord, s’hydrater durant la nuit 1,5 à 2 litres d’eau en fractionnant les prises, privilégier les aliments riches en eau, réduire le sel et le sucre et éviter les aliments salés et transformés.
L’adaptation et le suivi médical personnalisé en concertation avec le médecin permettent d’ajuster les horaires et les doses des traitements.