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Orphelins du séisme: Le défi de reconstruire des vies brisées

Orphelins du séisme: Le défi de reconstruire des vies brisées

Les enfants rendus orphelins par le séisme sont confrontés à des défis émotionnels complexes qui peuvent les affecter profondément, et de manière permanente.

Le Roi Mohammed VI a ordonné l’octroi à ces orphelins du statut de «Pupille de la nation», qui leur permettra de bénéficier d’un certain nombre d’avantages.

 

Par M. Ait Ouaanna

“Mes parents étaient coincés sous les décombres, je les appelais, mais ils ne m’entendaient pas. Ils étaient partis pour toujours. Désormais, je suis seul, je n’ai nulle part où habiter». C'est le témoignage poignant d’Ali, un rescapé de 13 ans, seul de sa famille à avoir survécu au séisme puissant qui a frappé le Maroc le 8 septembre dernier. Malheureusement, Ali n’est pas le seul à connaître une telle tragédie; de nombreux enfants se sont retrouvés du jour au lendemain orphelins et sans abri.

Selon les derniers chiffres révélés par le ministère de l’Intérieur, plus de 2.900 personnes ont perdu la vie et 13.919 autres blessées. Un bilan lourd qui nous donne une idée sur le nombre d’enfants qui se sont séparés de leurs parents, suite à cette catastrophe naturelle. Notons que d’après le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF), près de 100.000 enfants ont été touchés par ce tremblement de terre. Considéré comme étant le plus meurtrier au Maroc depuis plusieurs décennies, le séisme d’Al Haouz a fait basculer le quotidien de plusieurs milliers de personnes, provoquant ainsi un véritable cataclysme dans leur vie. Face à un avenir incertain, les enfants rescapés du séisme, particulièrement ceux non accompagnés, vivent aujourd’hui des instants pénibles et troublants. Innocents et vulnérables, ces enfants sont de véritables éponges émotionnelles qui absorbent les traumatismes des catastrophes naturelles avec une grande intensité.

«Qu’ils soient victimes du tremblement de terre ou témoins éloignés, tous les enfants risquent de ressentir les effets mentaux de la catastrophe plus longtemps que prévu», affirme Hafsa Abouelfaraj, psychologue et psychothérapeute. «Ceux qui ont perdu leurs parents se trouvent en situation de deuil traumatique, non seulement parce qu’ils ont été confrontés à un risque de mort imminente, mais surtout par ces multiples pertes qu’ils ont dû subir en quelques jours. Il s’agit de la perte de leurs figures d’attachement, de leurs repères et de leurs habitudes. Ils sont projetés d’un monde à un autre : de la chaleur d’un foyer familial à la froideur de la perte des siens et des biens», explique-t-elle.

Le trauma ne s’oublie pas…

Insistant sur le fait que ces êtres extrêmement sensibles ont besoin d’une attention particulière, la spécialiste souligne que la réaction à un tel choc varie d’un enfant à un autre. «Malheureusement, la souffrance psychique et l’impact du traumatisme chez les enfants, et surtout chez les tout-petits, sont souvent banalisés, voire déniés, et ce d’autant plus facilement que ces petits ne sont pas en capacité de se plaindre comme le feraient les plus grands. Mais le trauma ne s’oublie pas, il s’inscrit dans la mémoire de ceux qui le subissent, même les toutpetits. En effet, chaque enfant réagit différemment en fonction de son âge, de ses antécédents ou encore de sa personnalité. Certains le manifestent directement sous forme de symptômes anxieux tels que des crises d’angoisse, des troubles de sommeil, des cauchemars, des symptômes dépressifs, mais d’autres tardent à l’exprimer», détaille Hafsa Abouelfaraj.

Et de poursuivre : «Il faut faire attention aux choses que les enfants ne disent pas. Ils peuvent agir et se comporter différemment que d'habitude. Cela montre qu'ils sont en détresse, même s'ils ne le révèlent pas». Dans le même ordre d’idées, la praticienne évoque la nécessité d’un accompagnement psychologique, précisant que le traitement de l’effet du séisme sur les enfants aura un impact significatif sur leur capacité à se rétablir et à se reconstruire sur le long terme. Ainsi, des blessures mal traitées risquent de laisser une trace traumatique durable.

Afin d’apporter un soutien moral aux victimes et survivants de ce tremblement de terre, la ligue des spécialistes de la santé mentale et psychique a annoncé quelques heures après le drame, la création d’une cellule d’écoute gratuite, comprenant plusieurs psychiatres et psychologues. Le lendemain de cette tragédie, les vidéos déchirantes d’enfants rendus orphelins par le séisme ont été relayées en masse sur les réseaux sociaux. Complètement désemparés, ces victimes se sentent désarmés face à leur avenir. Un avenir qui suscite de nombreuses interrogations.

La Kafala, une seconde chance

Jeudi 14 septembre 2023, le Roi Mohammed VI a levé les incertitudes quant au sort des enfants ayant perdu leurs parents dans le séisme d’Al Haouz. Lors d’une réunion de travail dédiée notamment à la prise en charge des catégories les plus affectées par ce tremblement de terre, le Souverain a ordonné l’octroi du statut de «Pupille de la nation» aux enfants devenus orphelins. Selon Me Nesrine Roudane, avocate au barreau de Casablanca, «le statut de pupille de la nation est régi par la loi n°33.97, qui sera modifiée pour inclure la catégorie d'enfants victimes du séisme ayant perdu leurs pères ou soutiens de famille lors de cette catastrophe. Ainsi, cette loi confie à la nation la responsabilité de prendre soin des enfants marocains qui ont perdu leur père ou soutien de famille principal en raison de ces événements.

Selon la loi 33.97, le bénéficiaire du statut de pupille de la nation doit avoir moins de 20 ans, à moins qu'il ne poursuive encore ses études ou soit incapable de travailler. Elle couvre également les enfants nés orphelins pendant la période allant de la gestation minimale à maximale établie dans le Code de la famille». Et d’ajouter que les bénéficiaires du statut de pupille de la nation reçoivent une carte délivrée par la commission chargée d'accorder ce statut. De ce fait, ces enfants ont droit à des soins médicaux gratuits, y compris la chirurgie et la rééducation, dans les structures de santé civiles et militaires de l'État. Ils bénéficient également de la priorité pour accéder à des postes dans les administrations de l'État, les établissements publics et les collectivités locales, ainsi que pour participer aux concours d'entrée dans les grandes écoles nationales.

«Ces droits fondamentaux, tels que définis par la loi 33.97, seront bientôt modifiés conformément à l'annonce du Cabinet Royal, afin d'inclure les enfants victimes du séisme qui ont perdu leur père ou soutien de famille, pour mieux répondre à leur situation dans la région d’Al Haouz», précise Me Roudane.

Quid de l’adoption de ces orphelins ?

Par ailleurs, la loi prévoit des dispositions relatives à l'adoption des enfants qui se retrouvent orphelins à la suite d'une catastrophe naturelle. D’après Me Roudane, également présidente de la commission startup et capital-risque de l’Union internationale des avocats (UIA), «ces dispositions concernent la Kafala, une forme de prise en charge légale et temporaire des enfants abandonnés tel qu'expliqué dans l'article 1er de la loi n°15-01 du 13 juin 2002». En effet, un enfant abandonné, ou «makfoul» en arabe, est un enfant de moins de 18 ans, né de parents inconnus, abandonné, orphelin ou ayant des parents de mauvaise conduite ou incapables de subvenir à ses besoins. «L'autorité compétente pour accorder la Kafala et en assurer le suivi est le juge des tutelles de la juridiction correspondant au lieu de résidence de l'enfant, selon l'article 4 de la loi n°15-01 du 13 juin 2002. L'ordonnance du juge des tutelles est exécutoire par provision, mais elle peut faire l'objet d'un appel devant la Chambre du Conseil de la Cour d'appel», explique l’avocate.

En ce qui concerne les conditions requises pour devenir tuteur légal d'un enfant en Kafala, Me Roudane relève que le couple doit être composé de conjoints musulmans, qui doivent avoir atteint l'âge de la majorité légale et être moralement et socialement aptes à assurer la Kafala. En outre, ils doivent disposer de moyens matériels suffisants pour subvenir aux besoins de l'enfant et ne doivent pas avoir été condamnés conjointement ou séparément pour des infractions portant atteinte à la morale ou commises contre des enfants. Aussi, le kafil ne doit pas souffrir de maladies contagieuses ou incapacitantes l’empêchant d'assumer ses responsabilités, et ne doit pas être en conflit avec l'enfant ou ses parents dans le cadre de litiges judiciaires ou familiaux portant atteinte à l'intérêt de l'enfant.

 

Ce qu’il faut savoir sur la «Kafala», selon Me Nesrine Roudane
• La demande de Kafala doit être présentée au juge des tutelles, accompagnée de preuves que les conditions légales sont remplies.
Le juge des tutelles confie une enquête à une commission composée de représentants du parquet, du ministère des Habous et des Affaires islamiques, de l'autorité administrative locale, et d'une assistante sociale désignée par le ministère en charge de l'Enfance. Le juge peut également consulter toute personne jugée utile pour éclairer sa décision.
• L'exécution de la Kafala doit avoir lieu dans les quinze jours suivant sa prononciation par le tribunal d'instance. Un procès-verbal de la remise de l'enfant est établi en présence du ministère public, de l'autorité locale, et d'une assistante sociale, le cas échéant. Une copie de ce procès-verbal est remise à la personne en charge de la Kafala.
• L'attribution de la Kafala est mentionnée sur l'acte de naissance de l'enfant, éventuellement assortie d'un changement de nom.
• En cas de départ permanent de la personne en charge de la Kafala avec l'enfant vers l'étranger, une autorisation du juge des tutelles est requise. Le juge des tutelles doit également être sollicité si le tuteur souhaite faire bénéficier l'enfant makfoul d'un don, d'un legs ou d'un tanzil, conformément à l'article 315 et suivants du code de la famille

 

 

 

 

 

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