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Pass vaccinal : Passeport pour la liberté ou mesure liberticide ?

Pass vaccinal : Passeport pour la liberté ou mesure liberticide ?
  • On va assister à l’émergence de deux catégories de citoyens : les vaccinés, qui ont accès à tout, et les autres, qui se voient privés de tout ou presque.  
  • Le pass vaccinal pose un problème de fond en ce qui concerne le respect des dispositions du droit du travail. Dans l’application de cette mesure, la responsabilité juridique des responsables des secteurs public et privé est directement engagée.

 

Par F. Ouriaghli


Le pass vaccinal entre vigueur dès ce jeudi 21 octobre au Maroc. Il permettra aux personnes complètement vaccinées (deux doses) :
 

     - De se déplacer entre les préfectures et provinces, à travers les moyens de transport privés ou publics;

     - De voyager à l’étranger;

     - De ne pas avoir besoin de l'autorisation de déplacement délivrée par les autorités locales compétentes;

     - D’accéder aux administrations publiques, semi-publiques et privées;

     - D’accéder aux établissements hôteliers et touristiques, restaurants, cafés, espaces fermés, commerces, salles de sport et hammams.
 
La communication du gouvernement est claire à ce niveau : pour bénéficier de tout ce qui semble être des privilèges, il faut «présenter exclusivement le pass vaccinal». En d’autres termes, même un test PCR ne vous ouvre aucune porte.
 
Cette décision des autorités pose néanmoins un vrai débat de société et suscite de nombreuses interrogations. Car, implicitement, elle met en orbite deux catégories de citoyens : ceux disposant d’un schéma vaccinal complet, qui pourront retrouver une vie presque normale, et les autres, qui n’auront droit à rien ou presque.

Implicitement donc, elle fait de la vaccination… une obligation déguisée (alors qu’elle ne l’est pas), en usant du pass, disons-le, comme outil de pression. Soit on se fait piquer, soit on est en quelque sorte exclu de la société.
 
Arguments contre arguments
L’adoption du pass vaccinal est-elle un sésame pour la liberté ou une mesure qui, véritablement, fait encore une entorse à nos libertés individuelles ? Difficile d’avoir une réponse tranchée.

Comme on le sait, la courbe épidémiologique au Maroc est en déclin, avec une nette amélioration des indicateurs sanitaires.

Et ce, à la faveur des restrictions mises en place, mais également grâce à une campagne de vaccination bien ficelée : à ce jour, mardi 19 octobre, plus de 21 millions de personnes ont reçu les deux doses du vaccin.

Le pass vaccinal peut être donc perçu comme une juste «récompense» pour toutes ces personnes qui ont adhéré à la campagne d’immunisation collective, contribuant ainsi à limiter la propagation du coronavirus.

Il semble donc légitime qu’elles retrouvent un peu de leurs libertés individuelles depuis longtemps confisquées.

Doit-on les en priver juste parce qu’en face, il y a des «antivax», très réfractaires aux vaccins ?

Doit-on continuer à «punir» 21 millions d’individus parce qu’une minorité refuse de se faire vacciner ?

Doit-on rester indifférent quand on sait que la plupart des gens qui sont en réanimation ne sont pas vaccinés ?

La relance de l’économie ne passe-t-elle pas aussi par ce filet sécuritaire visant à garantir la santé collective, qui va permettre de donner une bouffée d’oxygène à plusieurs secteurs d’activités ?
 
Mais alors, que faire de la liberté des autres ? Doit-on en faire des citoyens de seconde zone parce qu’ils ont le droit de ne pas se faire vacciner ?

Les priver de s’asseoir dans un café ? De se rendre dans une administration publique ? Voire même de travailler ?

On voit donc bien qu’apporter des réponses à ces nombreuses interrogations est complexe.

Et la problématique est à l’image de cette assertion : «Le droit de ne pas fumer ne vous donne pas le droit d’empêcher les autres de fumer. Mais le droit de fumer ne vous donne pas non plus le droit d’enfumer les autres».

En cela, ce pass vaccinal risque de créer de réels clivages au sein de la population. 
 
De l’application de cette mesure
Maintenant, se pose évidemment l’épineuse question de l’application du pass vaccinal.

Pour le moment, le gouvernement n’en a pas fixé les modalités. Une application qui risque d’entrainer de vives tensions, et qui soulève surtout une problématique juridique de fond, puisque la vaccination, encore une fois, n’est pas obligatoire.

A-t-on le droit d’empêcher un citoyen d’accéder à une administration publique parce qu’il n’est pas vacciné ? A-t-on le droit de l’obliger implicitement à se faire vacciner pour pouvoir effectuer des démarches administratives ?

A-t-on le droit d’empêcher le fonctionnaire ou le salarié d’accéder à son lieu de travail ? Peut-on aller jusqu’à licencier les salariés non vaccinés ?

Là aussi, les réponses divergent. Récemment, la Confédération générale des entreprises du Maroc de la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima a adressé une note à ses adhérents leur signifiant que «l’entreprise peut dorénavant (…) demander la présentation du passeport vaccinal pour permettre l’accès au travail (…) Le cas échéant, les salariés ne respectant pas les mesures d’urgences sanitaires pourraient être empêchés d’accéder à leur travail». 

Légal du point de vue du droit ? 

Eléments de réponse avec Me Nesrine Roudane, avocate au Barreau de Casablanca :  «Je suis d’avis que tant qu’un vaccin n’est pas rendu obligatoire par le législateur pour pouvoir travailler, l'employeur ne peut pas obliger un salarié à se faire vacciner pour garder son emploi.

Il peut toutefois réserver l’accès à ses locaux aux salariés disposant d’un laissez-passer sanitaire (ou une autre preuve de vaccination), par exemple, notamment dans le cadre de son pouvoir de direction et de son obligation de fournir un environnement de travail sécuritaire et sanitaire à ses salariés (art. 24 du Code du travail), à supposer qu’il obtienne l’autorisation nécessaire à la mise en œuvre d’une telle politique à l’intérieur de son entreprise». 
 
En réalité, il y a un réel flou juridique en la matière. Qui ne pourra certainement être levé que si le gouvernement instaure l’obligation vaccinale.

En attendant, il faudra faire preuve d’intelligence collective pour gérer au mieux l’instauration du pass qui, ailleurs, notamment en France, est vertement critiqué et a été la cause de plusieurs manifestations de protestations. 

Certes, il y a des gens au Maroc qui s’opposent farouchement au vaccin. Mais la plupart le sont uniquement parce qu’ils sont mal informés. D’où la nécessité pour les autorités, mais aussi les chefs d’entreprises de faire un véritable travail de pédagogie et de sensibilisation pour inciter les récalcitrants à se faire vacciner. 
 
Quid des sanctions ?
 Le communiqué gouvernemental stipule que «tous les responsables des secteurs public et privé se doivent de veiller à l'application saine de toutes ces mesures, sous leur responsabilité juridique directe».

Cette notion de «responsabilité juridique» n’est pas cependant pour apaiser les débats, ces responsables du public et du privé se voyant contraints d’appliquer les directives gouvernementales, au risque d’être peut-être en porte-à-faux avec le droit du travail, sans le savoir.

Seront-ils sanctionnés en cas de laxisme ? Qu’encourent-ils dans ce cas ? Y aura-t-il des contrôles dans les administrations publiques, les entreprises, les hammams, cafés… ?
A l’évidence, à partir de jeudi, de nouvelles règles régiront nos interactions sociales et professionnelles.

Les patrons d’entreprises vont devoir manier le bâton pour leurs salariés non vaccinés, au nom de la protection de ceux qui disposent d’un schéma vaccinal complet; les gérants de cafés, restaurants et autres hammams vont être obligés de fliquer leurs clients; les citoyens non vaccinés seront interdits d’accéder aux administrations publiques. Bonjour les tensions !

Et, dans tout cela, on oublie malheureusement les personnes qui présentent des allergies graves et qui ne peuvent se faire vacciner, pour lesquelles aucune solution n’a été proposée pour l’instant.
 

F. Ouriaghli

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