Le droit de grève, pourtant garanti par la Constitution marocaine depuis 2011, a longtemps attendu un cadre juridique précis. Le projet de loi organique n°97.15, adopté par la Chambre des représentants le 24 décembre 2024, cherche à combler ce vide.
Toutefois, ce texte, qui devrait structurer un droit fondamental, divise encore travailleurs, employeurs et gouvernement, soulevant des interrogations sur ses implications concrètes.
Le projet de loi a été adopté à une large majorité par la Chambre des représentants, avec 124 voix pour et 41 contre.
Ce texte représente une avancée dans l’histoire législative du Maroc, où le droit de grève n’a jamais bénéficié d’un encadrement clair. Depuis des décennies, les grèves se sont souvent heurtées à des conflits mal régulés entre employeurs et salariés.
Selon Younes Sekkouri, ministre de l’Inclusion économique, ce texte vise à protéger les droits des travailleurs tout en préservant les intérêts économiques et sociaux du pays. Cette mouture, révisée après plusieurs années de blocage, reprend les grandes lignes d’un projet présenté en 2016 sous le gouvernement de Abdelilah Benkirane. Malgré ces avancées, les critiques persistent, notamment du côté des syndicats, qui dénoncent certaines dispositions comme insuffisantes ou ambiguës.
Un contenu aux ambitions équilibrées
Le texte élargit le droit de grève à de nouvelles catégories de travailleurs. Les professions libérales, les travailleurs non-salariés et d’autres groupes auparavant exclus sont désormais couverts.
Par ailleurs, il met fin à la prérogative exclusive des syndicats les plus représentatifs pour organiser une grève, ouvrant la possibilité à d’autres syndicats ou aux représentants élus des salariés.
La protection des grévistes figure également parmi les points clés. Le texte interdit toute sanction disciplinaire ou licenciement à l’encontre des salariés participant à une grève conforme à la loi.
De même, les employeurs ne peuvent plus recruter de remplaçants, sauf dans les secteurs vitaux où un service minimum reste requis, comme dans la santé.
En ce qui concerne les sanctions, le projet opte pour des amendes financières dissuasives au lieu de peines pénales. Cette mesure cherche à concilier la fermeté nécessaire pour prévenir les abus et une approche plus adaptée aux réalités économiques.
Les mémorandums syndicaux au cœur des négociations
Lors de la réunion tenue hier devant la Commission de l'éducation, de la culture et des affaires sociales à la Chambre des conseillers, Younes Sekkouri a souligné l’importance des propositions des syndicats dans le processus d’amendement du projet de loi.
«Les mémorandums présentés par les centrales syndicales sont au cœur du processus de négociation», a-t-il déclaré.
Il a également réitéré la disposition du gouvernement à intégrer la majorité de ces propositions dans le texte final.
Le ministre a passé en revue plusieurs amendements essentiels déjà inclus dans la version transmise à la Chambre des conseillers.
En termes de structure, le texte a également été simplifié. Le nombre de chapitres a été réduit de six à quatre, et les articles de 49 à 35, avec une fusion des dispositions applicables aux secteurs public et privé.
Des réactions contrastées
L’adoption du projet a immédiatement suscité des réactions variées. Les syndicats saluent certaines avancées, mais pointent encore des lacunes importantes. Youssef Allakouch, de l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM), a critiqué des dispositions jugées restrictives.
«Le projet doit garantir un exercice sans entrave du droit constitutionnel à la grève, tout en respectant les acquis sociaux», a-t-il affirmé.
Du côté des employeurs, la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) se félicite de l’encadrement proposé, perçu comme une mesure de stabilisation juridique et économique. Cependant, des inquiétudes subsistent quant à l’impact potentiel de certaines dispositions sur l’attractivité des investissements.
Face à ces critiques, Younes Sekkouri a rappelé que la version actuelle reste temporaire et ouverte aux amendements parlementaires. «Nous travaillons pour aboutir à une loi qui équilibre les droits des travailleurs et la liberté du travail. Notre objectif est d’instaurer un climat social serein et constructif», a-t-il déclaré.
Ce projet de loi ne se limite pas à réglementer le droit de grève.
En effet, la réforme dépasse largement le simple cadre législatif, car elle reflète une ambition nationale qui vise à moderniser le cadre social tout en préservant la compétitivité économique.