La mort de huit femmes enceintes en une semaine à l’hôpital Hassan II d’Agadir a provoqué un choc national. Ce drame met en lumière les défaillances chroniques du système de santé public et relance le débat sur la mauvaise gouvernance.
Il faut parfois un drame pour alerter la conscience collective. A Agadir, ce sont plusieurs drames qui ont secoué l’hôpital Hassan II, devenu tristement célèbre pour ses équipements défaillants, ses ruptures de médicaments et, surtout, ses salles de maternité endeuillées, où huit femmes enceintes sont décédées en une semaine.
Cette succession de tragédies a poussé les citoyens à descendre dans la rue, rappelant que, parfois, la vraie urgence n’est pas celle qui se traite au bloc, mais celle qui frappe un système à bout de souffle.
Comme toujours, dans des cas pareils l’opinion publique s’émeut, s’indigne et crie au scandale. Et, en guise de réponse, le ministre de tutelle organise une visite «surprise», limoge des cadres en cascade et annonce la mise en place de commissions, en plus de réformes budgétaires à neuf zéros.
Plus exactement, une enveloppe de 200 MDH est mise sur la table et, comme par miracle, un scanner flambant neuf a surgi des cartons. On aurait presque envie de dire : «vive le malheur !», puisqu’il semble être devenu le seul déclencheur de l’action publique. Une action publique qui a pour dessein, ne nous y trompons pas, de pacifier les intelligences rebelles.
Le «médecin après la mort» n’est donc pas seulement une image: on s’en désole, mais cela ressemble fort à une méthode. Car on attend le scandale pour débloquer un budget, acheter des équipements ou encore refaire les contrats de nettoyage.
Le problème, c’est qu’à force d’attendre le drame pour réagir, on finit par confondre gouvernance et pompier de service. Limoger un directeur ou une directrice régionale ne répare pas un système qui manque cruellement de médecins, d’infirmiers et d’équipements depuis des décennies. D’ailleurs, dans les grandes démocraties, c’est souvent le ministre lui-même qui assume et démissionne.
D’autant que la démission d’un ministre n’est pas une punition; c’est une manière de rappeler que la responsabilité politique existe encore. Mais chez nous, on préfère désigner des boucs émissaires, comme si les défaillances étaient l’affaire d’une poignée de responsables distraits.
L’idée implicite est que, si l’on sacrifie suffisamment de responsables locaux, la foule se calmera. On espère ainsi que le citoyen, voyant tomber quelques têtes, rangera ses pancartes.
Sauf qu’à force de désigner des boucs émissaires, on évite de poser la bonne question : comment a-t-on laissé prospérer des «dysfonctionnements majeurs» jusqu’à produire huit décès maternels en une semaine ?
L’AMO en toile de fond
Le contexte rend l’affaire encore plus sérieuse. Le Maroc généralise la couverture médicale obligatoire. Or, comment demander aux citoyens d’avoir confiance en des hôpitaux publics qui ressemblent davantage à des mouroirs qu’à des lieux de soins ?
Car ce qui s’est passé à Agadir n’est pas un cas isolé. Le Mouvement Damir ne dit pas autre chose. Dans un communiqué daté du 17 septembre, il «exprime sa profonde inquiétude face à la dégradation des soins dans les hôpitaux publics, mise en évidence par les protestations citoyennes dans plusieurs villes du pays (Agadir, Taounate, Nador, etc.).
Ces mobilisations révèlent l’écart criant entre les annonces officielles et la réalité des patients confrontés à des services défaillants, à des équipements absents ou non fonctionnels, et à l’absentéisme de certains spécialistes attirés par le secteur privé».
Cela dit tout d’un système de santé public qui s’essouffle, de ses défauts de gouvernance et de ses angles morts. Files interminables, ruptures de médicaments, équipements en panne, hygiène défaillante ou encore absentéisme répété : tout ce qui devait rester de l’ordre du dysfonctionnement ponctuel est devenu, au fil des ans, une dangereuse normalité. Et, malheureusement, cela se paie en vies brisées.
La vérité, rien que la vérité
Nous ne corrigerons pas des défaillances structurelles par des mesures cosmétiques. Ce que réclament les citoyens en général, c’est un service de santé digne.
Mais le plus ironique, au fond, est que le drame d’Agadir survient alors que le gouvernement affiche Santé, Education et Protection sociale comme ses grandes priorités. Mieux encore, il y a juste quelques jours, le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, s’est fendu d’une déclaration publique clinquante : «d’ici deux ans, les hôpitaux publics offriront des services comparables à ceux des cliniques privées».
Une déclaration qui aurait sérieusement prêté à rire, n’eut été la tragédie qui a eu lieu à Agadir. Tragédie qui, espérons-le, rappellera à nos responsables qu’ils doivent tenir à la collectivité un discours de vérité. «Dans une démocratie, il est essentiel de garantir la transparence et la loyauté de la communication gouvernementale. Ces deux conditions sont cardinales pour informer en responsabilité les citoyens sur l’efficience des politiques publiques et le bilan réel de l’action de l’Exécutif», conclut, à juste titre, le Mouvement Damir.
F. Ouriaghli