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Quelle triste époque

Quelle triste époque

De toute évidence, nous vivons dans l’une des époques les plus noires de l’histoire humaine.

 

Abdelhak Najib 
Écrivain-journaliste 

Il est triste ce monde où nous existons aujourd’hui. Il a une sale gueule. Il est monstrueux. Il est hybride et fait peur tant ses contours sont indéfinis. Il est aussi con ce monde. Il est débile. Il vole au ras des pâquerettes tout en prenant des airs de fausse grandeur, de mensongère évolution. Ceux qui y tiennent place d’humains, errent complètement ne sachant plus comment vivre dans leurs réalités éparses. Ils sont tout au mieux des restes d’humains, à la fois affolés et hagards, refaits et défaits, qui fuient perdant tous les repères, avançant en tâtonnant, naviguant à vue sur une mer houleuse qui finira bientôt par engloutir tout ce fatras inqualifiable d’une espèce humaine qui a fait le solde de tout compte de ce qui lui restait d’humanité, troquant avec la machine ses derniers sentiments, vivant à crédit, entre des fils et des branchements, connectée à des réseaux et des câbles, à la fois anesthésiée et aseptisée, le cœur vide, l’esprit creux, le corps perdu. 


Dans ce monde friable et ratatiné, il ne suffit pas de cliquer sur un bouton pour croire que le mot liberté est engagé. Il ne suffit pas de se planquer derrière un clavier pour se dire que tout est permis et que tout est bon à déblatérer. Il ne suffit pas non plus de se dire que la toile est un Free and Open Space et que vas-y que je t’enfume avec des âneries. Tout comme il ne suffit pas de considérer les réseaux sociaux comme un Duty Free et que l’on peut forcer à charger son caddie en calomnies, injures et autres bêtises de cet acabit et les balancer à la gueule du monde. Cette immense et sinueuse et dangereuse et terrible et dégueulasse toile a donné l’occasion aux plus cons, aux plus débiles, aux plus médiocres, à tous les nazes de se prendre pour des «quelqu’un» et pour «quelque chose». Tout le monde se permet tout. Tout le monde est médecin. Tout le monde est coach. Tout le monde est journaliste. Tout le monde est politologue. Tout le monde est sociologue. Tout le monde est anthropologue. Tout le monde est psychologue. Tout le monde est analyste de quelque chose dont il croit maîtriser les tenants et les aboutissants. Tout le monde est astrophysicien. Tout le monde est philosophe. Tout le monde est psychiatre. Tout le monde est penseur. Tout gribouilleur à la petite semaine se prend pour Joyce. Tout le monde est chaman. Tout le monde est guérisseur. Tout le monde est champion de tout, et toutes catégories confondues, s’il vous plaît. Oui. Rien que cela.  

Cela peut être bon de démocratiser la connerie. Pourquoi pas ? Ça nivelle par le bas et ça permet de contrôler les masses en leur mettant un jouet entre les doigts. Un gadget qui les transforme très vite en jouet, eux-mêmes. Et ils sont tous heureux de devenir la marionnette de service. Avec le sourire et le smiley qui va avec. Mais, à un moment donné, il faut être sérieux. Il faut poser son cul par terre et réfléchir un bon coup. Ceci pour ceux qui ont encore de la matière grise dans la caboche. Parce que pour beaucoup, ces Viel zu viele, c’est peine perdue. À la place des méninges, ils ont de la crasse, de la poussière et beaucoup de haine, de rancœur et surtout aucune espèce de savoir de rien. Oualou. Nada. Que dalle. Vide aérien. Aucun espoir. Et comme le dit un sage qui, lui, n’écrit rien sur les réseaux sociaux, quand la connerie épouse l’audace, c’est foutu. Il faut tout jeter aux toilettes et tirer fort la chasse. Parce que je vous le dis aussi cru que ça vient : je n’en ai strictement rien à foutre de qui baise qui. Cela ne concerne que ceux qui ont un souci au niveau de la braguette. Je n’en ai rien à foutre de qui sort avec qui. Je m’en contrebalance de qui mange quoi, de qui va là où il veut, de qui chie et nous le dit comme si c’était le plus grand exploit du monde. I don't give a shit de qui prend un avion et nous l’indique comme si c’était Nikola Tesla qui est revenu de là où il est pour nous dire qu’il va quelque part inventer l’électricité gratuite pour sauver nos culs de terreux. Ceci pour le bas de gamme.  


Allons au plus corsé. Certains, encore une fois beaucoup trop nombreux, n’ont rien à foutre que d’espionner la vie des autres. Ragots, médisances, calomnies gratuites et vas-y que l’on balance sur le compte des autres. Putain vivez un peu. Mêlez-vous de vos merdes. Nettoyez en face de chez vous, et parfois passez un bon coup de Karcher bien profond chez vous, parce que c’est de là que vient la merde et la crasse. La vie des autres, cela regarde les autres. Vos jalousies, vos ressentiments, votre haine de voir les autres faire ou réaliser des choses ne les empêcheront pas d’avancer. Au contraire, pour les plus rôdés à la crasse humaine, plus on est jalousé, plus on est insulté et poignardé dans le dos, plus on est galvanisé pour aller plus loin, plus haut et plus fort. 


Moralité de l’histoire, il faut savoir fermer sa gueule quand on n’a rien d’important à dire. Ensuite, vivre et oublier la vie des autres. Et surtout se laver les mains de cette race de cons qui a découvert la parole avec des gadgets soi-disant Smarts. On peut comprendre que tout le monde veuille son quart d’heure de gloire. Les uns et les autres sont désespérément en course derrière un semblant de reconnaissance. «Regardez-moi, je suis là, j’existe, regardez bien, c’est moi, oui, c’est moi, j’ai un smart chose et je ne fais plus rien d’autre que de le regarder». C’est cela le misérable quart d’heure réinventé à volonté. Si c’est pour cela que les uns et les autres viennent au monde, quel gâchis de vie !  Mais, tenez-vous bien, ce n’est pas là n’importe quel quart d’heure. Non, il s’agit de celui qui revient souvent, qui s’accumule en plusieurs quarts, qui finit par devenir addiction. La vie de milliards d’humains tourne autour d’un selfie, d’une pose, d’un filtre à poser sur la tête, faire la moue et saisir l’instant. Mais quel instant ? Et pourquoi cet instant serait-il important pour que la terre entière le voit ! Puis, on poste sur les réseaux sociaux et on attend les «likes» et autres  commentaires, à coups d’émoticônes devenus du coup un langage à part entière. Je vous passe l’indigence de la langue et la mort finalisée de toute forme correcte d’expression. Le pire, c’est la réaction des uns et des autres, partout dans le monde. On glorifie la bêtise. On salue la stupidité. On porte aux nues la médiocrité. Tu peux partager avec tes amis, la dernière découverte médicale capable de sauver des millions de personnes : 10 likes. Tu postes une image d’horreur, une paire de fesses, une vidéo débile : des milliers de vues et de commentaires. 


Ce diktat est devenu le moteur de presque tout ce qui se passe sur la toile et les réseaux de partage. En dehors de cela, la vie réelle, dans ce qu’elle a de plus concret, n’a plus droit de cité, ou alors juste comme un intermède entre deux surfs sur le Net, un balayage sur Instagram et une bonne séance de voyeurisme sur Facebook où ceux qui te détestent le plus, sont les premiers à s’empresser de voir ce que tu fais. Dans vos gueules, connards de toutes espèces ! Le même diktat moderne qui fait que des gens qui ne foutent rien, qui n’ont jamais rien fait, qui ne feront probablement jamais rien, sauf montrer un cul refait, des lèvres retouchées, faisant la pub pour un produit dans une mercantilisation bâtarde des rapports entre humains, mangent gratis, s’habillant gratis, sont aujourd’hui adulés, portés aux nues, célébrés comme des guides spirituels. Imaginez l’impact de cette «femme» qui a accumulé des milliards avec son postérieur ! Elle a un impact terrible sur la vie de milliards de personnes ! Telle autre avec ses conneries calculées pour faire de l’audience, tel décérébré qui gesticule dans tous les sens comme un automate détraqué et qui pense vivre ! On les suit, on s’inspire de leurs modèles ! Oui, ces «individus» sont des modèles pour des centaines de millions de femmes et d’hommes. À côté de cela, la femme péruvienne qui sauve des tribus entières de la famine, on s’en fout. La chercheuse indienne qui lutte contre les OGM, on s’en balance.

L’astrophysicienne allemande, connaît pas. L’écrivaine suédoise… connaît pas non plus. La militante birmane, qui s’en soucie ! Et va comme ça pour des millions d’autres personnes dans ce monde de dingues, qui font bouger l’humanité, qui sauvent des vies, qui proposent de grandes solutions pour le cancer, pour le sida et pour Alzheimer, des chercheurs qui inventent de nouvelles alternatives pour réduire la famine, pour économiser l’eau, pour éduquer les enfants… Ces personnes on les ignore. On ne veut pas les connaître. Elles sont sérieuses. Elles ne nous vendent pas du pipeau. Elles ne nous racontent pas de conneries. Elles ne se paient pas nos têtes de débiles patentés en quête de n’importe quelle bêtise pour s’y accrocher et en faire le sujet de la journée.  Sommes-nous si indigents ? Sommes-nous si désespérés pour rythmer nos pauvres vies sur le dernier maquillage de telle nana, sur son dernier passage sous le bistouri d’un remodeleur de formes ? Sommes-nous si vains et insignifiants pour ne plus faire la différence entre ce qui vaut la peine d’être vu, ce qui doit être suivi, ce qui doit nous inciter à vivre au plus près de la vie, dans ce qu’elle a de tranchant, de vivace, de vrai, de palpable et de viscéral ? Pour ma part, je ne mets pas une pièce d’un centime sur l’avenir de ce monde qui est déjà parti en vrille sans promesse aucune de retour. Je ne prendrai pas un seul pari pour croire que demain sera meilleur pour une race humaine, déjà foutue, et dont les derniers foyers de résistance sont cernés de toutes parts par la bêtise, la connerie, les apparences, la superficialité et l’horreur.

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