Il y a quelques décennies, pour les Marocains une maison de vieillesse était un sujet tabou. Actuellement, il se pose avec acuité, et ce pour plusieurs raisons.
Tant sur le plan démographique qu’économique, l’évolution de la société marocaine impose d’aborder cette question avec réalisme et responsabilité pour prendre en charge cette catégorie de la population surtout les personnes vulnérables.
Placé ses parents dans une maison de vieillesse est mal vu par les Marocains. Cela est contraire aux valeurs ancestrales et religieuses véhiculées depuis la création du Royaume. En sa qualité d’Amir Al Mouminine, garant de la pérennité de la nation, le défunt Roi Hassan II s’était exprimé sur le sujet avec un ton vigoureux : «Le jour où l’on ouvrira la première maison de retraite au Maroc, notre société sera en voie de disparition».
Mais depuis cette date, les temps ont changé. On note un vieillissement de la population et aussi un changement de son mode de vie. La pyramide des âges n’a cessé d’évoluer. Elle a tendance à s’élargir vers le haut sous l’effet de l’augmentation de l’espérance de vie à la naissance qui est près de 78 ans pour les femmes et 76 ans pour les hommes. Elle devrait dépasser les 80 ans en moyenne voire plus dans les années à venir.
Selon le recensement de la population de 2014, le nombre de personnes de plus de 60 ans était de 3 millions. Il passera à 10 millions en 2050.
«Une partie des personnes âgées sont atteintes de maladies chroniques, d’autres ont des problèmes de mobilité, elles ne peuvent se déplacer ni assurer leurs besoins quotidiens sans assistance. Généralement, ce sont les proches notamment les enfants qui assument ce rôle. Pour les personnes nanties, elles ont les moyens de payer des domestiques ou un personnel d’assistance. Ce qui n’est pas le cas des personnes qui n’ont pas d’enfants ou de moyens. Il est donc temps de penser à lancer un vaste programme pour la construction de maisons de vieillesse», souligne Mohamed Amrani, professeur à l’Université Hassan II de Casablanca.
«La société marocaine était composée de familles nombreuses avec deux à trois générations vivant sous le même toit. Ce constat est encore visible dans les quartiers populaires et le monde rural. Les membres vivaient en parfaite communion et solidarité. Ils prenaient en charge les personnes âgées ou vulnérables. Mais cette tendance est appelée à disparaître. Actuellement, avec les contraintes socioéconomiques, les familles sont devenues plus atomisées, composées d’un effectif moyen de quatre membres. Tenus par leurs engagements de travail, les enfants ne peuvent plus s’occuper convenablement de leurs parents. La construction de maisons de retraite ou de vieillesse devient une nécessité», explique Amrani.
Il faut noter que le nombre de sites marocains pour personnes âgées ne dépasse pas la soixantaine et ils sont implantés dans les grandes villes. Leur capacité d’accueil est très limitée avec 10.000 lits seulement. Une partie de ces lieux est plus dédiée pour les retraités étrangers.
Plusieurs maisons ont vu le jour, aidées par la faiblesse du coût de la vie, le niveau d’ensoleillement le long de l’année et la proximité avec l’Europe expliquent cet essor.
Pour les seniors marocains, les quelques projets lancés sont limités. Dans son programme d’action de 2015-2022, le Conseil de la ville de Casablanca avait prévu la construction de 8 maisons de retraite pour un budget de 60 millions de DH. Mais ce programme a été différé pour plusieurs raisons notamment budgétaires.
«Il faut une volonté politique et surtout un changement de mentalité des citoyens pour accepter les maisons de retraite. Pour ce faire, les caisses de retraite doivent s’y investir aux côtés des collectivités territoriales et la société civile», conclut Amrani.
Charaf Jaidani