Voici une vérité qui ne souffre aucune ombre : le silence est salutaire quand nous n’avons rien d’important et de constructif à dire.
Par Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste
Autrement dit, il faut, quand on a un minimum de jugeote, savoir revendiquer son droit au mutisme, pour ne pas déblatérer n’importe quoi, à plus forte raison lorsque l’on se dit écrivain, penseur et philosophe ! Une vérité que ni Michel Houellebecq ni Michel Onfray n’ont réussi à intégrer malgré leur usage des médias et leur supposée connaissance du poids des mots. Ce qui explique aujourd’hui, ce scandale provoqué par les deux hommes à cause de propos pour le moins dangereux surtout par temps de graves clivages et forte exacerbation des communautarismes de tous bords dans une France en proie à toutes les crises, surtout celles des valeurs humaines fondamentales, et ce malgré les solvants et les effets de manche des uns et des autres, de tous ces donneurs de leçons qui jettent l’anathème sur les autres pour se dédouaner.
En effet, la Grande Mosquée de Paris porte plainte contre Michel Houellebecq pour «Provocation à la haine contre les musulmans» suite à des propos publiés dans la revue Front Populaire, fondée par Michel Onfray. La plainte dénonce des «phrases lapidaires (…) inacceptables et d'une brutalité sidérante», comme l’a répété à maintes reprises, depuis début janvier 2023, Chems-Eddine Hafiz, le recteur de la mosquée de Paris. Ce dernier affirme que cette procédure est lancée à l’encontre du romancier, pour «provocation à la haine contre les musulmans». Un point de vue partagé par toutes les communautés musulmanes de France et d’Europe qui se sentent insultées encore une fois à cause de leur religion dans ce qui est censé être leur pays d’accueil, de résidence et de naissance. Pour Chems-Eddine Hafiz, «Le fait d’essentialiser, de ne pas faire la distinction entre la majorité des musulmans qui s’intègrent à la République et les islamistes, est très grave. C’est ce que fait Michel Houellebecq lorsqu’il évoque un «Bataclan à l’envers», on peut considérer qu’il va jusqu’à appeler les gens à s’armer».
Pour comprendre cette nouvelle affaire sur fond de racisme et de discriminations raciales, il faut remonter au début du mois de décembre 2022. Exactement au moment de la parution du troisième hors-série de la revue Front Populaire où Michel Onfray et Michel Houellebecq avaient longuement, sûr de nombreuses pages, livré leurs visions de la France dans un entretien croisé. Il s’agit pas moins de quarante pages de dialogue et de monologue au cours desquelles les deux hommes se livrent à des prises de position extrêmes sur les déséquilibres de la société française, sur les malaises identitaires et les conflits intercommunautaires à cause d’une immigration incontrôlée. Un mélange d’idées et de points de vue, sans structure, avec une inclination claire à la facilité et aux généralités.
Dans cet esprit, l’écrivain français précise que : «Quand la Reconquista, modèle de la reconquête, a débuté, l’Espagne était sous domination musulmane. On n’est pas encore dans cette situation. Ce qu’on peut déjà constater, c’est que des gens s’arment. Ils se procurent des fusils, prennent des cours dans les stands de tir. Et ce ne sont pas des têtes brûlées. Quand des territoires entiers seront sous contrôle islamiste, je pense que des actes de résistance auront lieu. Il y aura des attentats et des fusillades dans des mosquées, dans des cafés fréquentés par des musulmans, bref, des Bataclan à l’envers.» Et ce n’est pas tout. Il ajoute : «Le souhait de la population française de souche, comme on dit, ce n’est pas que les musulmans s’assimilent, c’est qu’ils cessent de les voler et de les agresser. Ou bien autre solution, qu’il s’en aille.»
C’est on ne peut plus clair. Les mots sont clairs. Le sens est radical. Et aucune autre lecture ou interprétation ne peut en atténuer la brutalité. «Une brutalité sidérante» de la part des deux hommes, selon le recteur de la Grande mosquée de Paris, qui ajoutent que les deux avancent des propos qui «entachent la dignité des musulmans, constituent une incitation à la haine et violent la loi sur la liberté de la presse de 1981». Chems-Eddine Hafiz ajoute que ces phrases de Michel Houellebecq «ne visent pas à éclairer un quelconque débat public mais à attiser les discours discriminatoires et les actes. Je demande donc à la justice de statuer.»
Une décision qui obéit à une logique simple : il ne faut en aucun cas tolérer ce type de propos qui attisent la haine dans un climat social français déjà au bord de la rupture à plus d’un égard avec la montée des fascismes, avec la propagation de visions très extrêmes droite, avec le retour des discours séparatistes, le tout couplé à une xénophobie qui monte en flèche et une incrimination des minorités qui rappellent un passé lourd d’injustices et d’exactions barbares.
Face à cette situation pourrie et nauséabonde, Michel Onfray tente de justifier l’injustifiable en rejetant la faute sur «la partie des musulmans» qui peut se sentir «blessée» par les propos de Michel Houellebecq. Pour lui, il y a des catégories de musulmans dont une partie «n’a pas le souhait de dialoguer, d’échanger, de débattre, de s’installer dans les jointures de ces approximations inévitablement dues aux généralisations, aux essentialisations, et qu’elle préfère juger, sinon condamner, plutôt que d’échanger ou même : avant que d’échanger». C’est tout bonnement consacrer des idées reçues à la fois erronées et tendancieuses qui ne peuvent que jeter de l’huile sur le feu avec ce type de propos qui non seulement pointent du doigt une certaine catégorie de musulmans français, mais veut aussi semer la scission entre musulmans.
Ce qui finit par brouiller les cartes dans une équation sociale où les amalgames font déjà de gros dégâts. Une attitude indigne et choquante de la part d’un homme qui se targue d’être un libre penseur, et qui nous montre avec ce dialogue aussi long qu’ennuyeux, à la fois brouillon et inutile, avec un écrivain déprimé et déprimant, au bord de la catatonie cognitive, que ceux qui sont normalement censés apaiser les tensions et les esprits, que ceux qui doivent concilier les différentes strates d’une société française fragmentée, sont ceux qui se fourvoient et donnent dans la platitude la plus condamnable.
Si l’auteur de la carte et le territoire a depuis longtemps pris le pli de la divagation au point qu’on ne l’écoute plus ou au mieux, on ne fait plus attention à ses prises de position irresponsables et souvent médiocres, avec cet entretien stérile et de bas étage, Michel Onfray montre ici à quel point sa pensée est basique et que sa pseudo philosophie est destinée à l’usage des incultes qui apprécient les approximations, qui s’enchantent du flou et qui aiment triturer dans des flaques d’eau putrides pour leur donner un semblant de profondeur. Cette pseudo philosophie à l’usage des adorateurs de la citation passe-partout peut souvent montrer un visage horrible, teinté de noirceur et d’obscurantisme ou alors d’un halogène aveuglant qui oblitère la vue et massacre la vision. Une vision étriquée, douteuse, louche et embuée par les scories d’un racisme primaire et les relents d’un fascisme à visage découvert.
Une vision dans la droite ligne de ce qu’un Éric Zemmour peut balancer pour racoler une frange spécifique de la société française, qui bascule aujourd’hui à l’extrême droite pensant y trouver une réponse et une solution aux crises qui font vaciller les arcanes d’une France visiblement empêtrée dans ses pires travers. Une vision qui fait le lit aux discours haineux d’une Marine Le Pen qui flirte avec le malaise chronique d’une France en déshérence donnant voie au chapitre à des figures sans envergure aucune, séduites par les flashs des médias et par le polissage des plateaux TV dans le but déclaré d’entretenir le doute, la peur et les angoisses, qui, elles, dans un climat aussi tendu et délétère que celui qui secoue la France, peuvent donner corps à des dérives sectaires nourries en continu par les miasmes d’une éthique sociale et «intellectuelle» aux ras des pâquerettes.
Car, à n’en pas douter, ce type de polémiques qui donnent l’étrange sentiment d’être téléguidées et laissent l’esprit le plus pragmatique dubitatif et consterné, ne peut que fragiliser une société française inégalitaire, où les libertés individuelles se confisquent chaque jour davantage et où l’hypothétique fraternité de façade entre les communautés se fissure de toutes parts consacrant les inimitiés et les inclinations assumées au rejet de tout ce qui n’est pas «France de souche»! Ceci vient densifier les incertitudes sociales de nombreuses minorités surtout arabes et africaines qui voient leur précarité économique s’ajouter à leur exclusion sociale dans une France qui rêve de refouler tous les étrangers et de se barricader contre ces migrants du Sud qui ont sacrifié leurs vies pour libérer les Français lors des deux grandes guerres et qui ont participé à bâtir la République d’après-guerre.
Cette attitude porte un nom : le déni de sa propre histoire. Et quand ce déni est mâtiné d’ingratitude et d’injustice, s’en est fini de la désormais défunte devise : Liberté, Egalité, Fraternité ! Celle-ci est dorénavant remplacée par cette formule qui cadre mieux avec les réalités françaises du moment : fébrilité, facilité, stupidité !