Dans les cercles fermés de la géopolitique mondiale, le cobalt constitue l’unique véritable sujet d’inquiétude et de projection pour les 25 prochaines années. Pour tous les observateurs de la géostratégie, c’est ce minerai qui va conditionner les fluctuations boursières entre conflits et polarisations.
Par Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste
C’est parti pour une guerre de l’ombre. Un conflit larvé entre les grandes puissances pour un minerai qui est déjà considéré comme la matière première la plus précieuse des trois prochaines décennies. On peut se livrer des guerres pour en avoir le monopole. On peut renverser des gouvernements pour mettre en place des régimes favorables à tel ou tel état client et exploitant. On peut aussi générer des fortunes incommensurables avec un tel commerce qui règle déjà les fluctuations des prix et des Bourses, les relations entre puissances rivales et les pôles à mettre sur pied pour le monopole des marchés.
Mais d’abord, qu’est-ce que le cobalt ? Les scientifiques nous apprennent que le cobalt est un métal particulièrement sollicité par les technologies vertes mobilisées par la transition énergétique. 80% du cobalt sont consommés pour fabriquer des batteries lithium-ion.
La science nous dit aussi que le cobalt a cette particularité d’avoir un point de fusion élevé et de conserver sa résistance ainsi que ses propriétés magnétiques même soumises à de fortes températures. Cela en fait un élément incontournable pour de nombreux domaines stratégiques, comme l’aérospatiale, la défense, la chimie, etc. On le retrouve entre autres comme composant des superalliages utilisés dans les turbines à gaz et les réacteurs nucléaires, mais également dans les aimants des radars, les systèmes de guidage de missiles, les systèmes de propulsion marins, ou encore les capteurs.
C’est dire que nous sommes là face à une matière première de première nécessité pour toutes les grandes économies mondiales surtout dans des domaines stratégiques de pointe.
Il faut aussi ajouter à tous ces usages d’autres secteurs importants qui doivent leur essor au cobalt. Son utilisation incontournable dans les technologies bas carbone, également appelées technologies vertes (énergies renouvelables et batteries rechargeables), parce qu’il est présent dans les aimants des turbines des éoliennes, dans les cathodes des batteries lithium-ion et des batteries à hydrure métallique de nickel employées dans les véhicules électriques ou hybrides, fait de ce minerai le nerf de la guerre des technologies de demain.
Dans ce sens, il faut savoir que les ressources terrestres de cobalt s’élèvent à 25 millions de tonnes. La plus grande partie de ces ressources est localisée dans ce que l’on appelle la «Copper Belt», une zone minière qui englobe une partie de la province de Kantanga en République Démocratique du Congo (RDC). Mais, même en étant le premier producteur mondial, avec 100.000 tonnes en 2019, la RDC demeure pauvre, souffre de grandes fragilités et n’arrive pas, malgré toutes les richesses dont elle dispose de développer et de moderniser son infrastructure minière pour mieux gérer sa production, ses stocks et son commerce international.
Ailleurs, dans le monde, plusieurs projets d’exploitation sont sur le pied de guerre. A titre d’exemple, en Russie, la production a atteint 6.100 tonnes produites en 2019. En Australie, les mines ont permis la production de 5.100 tonnes. À Cuba, 3.500 tonnes et au Maroc, nous sommes déjà à 2.100 tonnes extraites en 2020. La Chine, le Japon et les États-Unis sont les principaux consommateurs de cobalt au monde. Depuis 2019, la Chine trône au premier rang mondial, avec 80% du cobalt qui y sont consommés et utilisés pour la fabrication de batteries (USGS).
Minerai rare et très convoité, le cobalt est devenu le roi des matières premières dans le monde, surtout à cause de ce que les spécialistes appellent : «révolution du véhicule électrique», comme le révèle un rapport publié par des économistes de McKinsey. Cette industrie qui constitue un des grands défis de l’industrie du futur, risque de pâtir et d’être freinée par l’insuffisance des capacités de production du cobalt. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre les craintes des analystes de la banque UBS qui indiquent «qu’un monde où le parc automobile serait à 100% électrique, exigerait une hausse de… 1.928% de la production mondiale de métal bleu (+ 2.898% pour le lithium et + 655% pour les terres rares). Une mission impossible à moins de transformer des régions entières en complexes miniers avec un coût environnemental très élevé».
Ce qu’il faut aussi retenir, c’est qu’il y a une décennie, 98% du cobalt extrait du sol sont un sous-produit de mines de cuivre ou de nickel. Seule la mine de Bou-Azzer au Maroc a fait du cobalt son principal produit. C’est d’ailleurs cette particularité du cobalt qui «vient renforcer le risque d’approvisionnement qui lui est attaché car la quantité de sous-produit générée par les activités extractives dépend étroitement de celle des métaux principaux. De ce fait, la capacité d’adaptation du marché du cobalt face à une forte hausse de la demande se trouve limitée», souligne le rapport McKinsey.
C’est ce qui explique la flambée des prix pour un minerai de plus en plus rare et disputé. On s’en souvient, le 21 mars 2018, le prix du cobalt a battu tous les records en atteignant le prix exorbitant de 95.000 dollars la tonne sur le London Metal Exchange (LME), la fameuse Bourse de transactions sur les métaux. C’est une progression de 300% par rapport à ses niveaux en 2012 devenant ainsi l’«or bleu» qui va détrôner l’or noir dans les prochaines décennies.
Aujourd’hui, et surtout avec la pandémie, les prix ont reculé pour se stabiliser entre 28.000 et 35.000 dollars la tonne. Mais le monopole de la Chine en matière de raffinage pose un gros problème pour les autres grandes puissances qui ne voient pas d’un bon œil cette hégémonie chinoise dans un domaine géostratégique de premier ordre.
Par exemple, en 2019, la Chine n’a produit que 2.000 tonnes de métal bleu issues de ses propres mines, mais il a assuré 80% du raffinage de l’ensemble de la production mondiale. Cette mainmise pose un sérieux problème pour les autorités américaines surtout le Pentagone, pour qui le cobalt est un produit «stratégique» pour le futur des industries des États-Unis. C’est dans ce sens que, depuis 2016, le ministère de la Défense américain consent de gros efforts pour pousser des entreprises nord-américaines à injecter des fonds dans des infrastructures de raffinage afin de réduire leur dépendance à la Chine.