Le décès de l’ex-président de l’Union soviétique dont les funérailles se sont déroulées samedi 3 septembre 2022, à Moscou, sans le président Vladimir Poutine (une absence lourde de sens), nous interpelle à plusieurs égards.
Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste
Mikhaïl Gorbatchev, qui était l’un des principaux artisans de la fin de la guerre froide, a reçu le prix Nobel de la paix en 1990. Plus parce qu’il a participé au démantèlement de l’ex-bloc de l’Est, du pacte de Varsovie et de la chute du rideau de fer qui divisait le monde en deux pôles, que pour avoir instauré la paix ni dans sa Russie natale, encore moins dans le monde.
Car, Mikhaïl Gorbatchev était un politicien, certes intelligent, perspicace, visionnaire, mais il était aussi un politicien formé à l’école du Soviet suprême, apparatchik communiste convaincu, bien qu’ayant une certaine ouverture sur le monde, laquelle, il faut le préciser, a été plus dictée par le changement des paradigmes politiques de la fin des années 80 du siècle dernier, que par la volonté d’un seul homme d’aller au bout de ces deux visions, désormais faisant partie du jargon géopolitique : Glasnost et perestroïka. Dans son sens, on peut lui reconnaître une qualité qui faisait défaut à tous ses prédécesseurs à la tête de l’ex-URSS. Mikhaïl Gorbatchev ne croyait plus en la force ni en la crédibilité du socialisme. Il avait bien noté l’échec criard de 70 ans de fermeture et de guerre froide, avec le spectre d’une guerre nucléaire injustifiée contre les États-Unis d’Amérique.
Dans ce sens, la vie et le parcours de cet homme, qui affichait toujours un sourire séducteur, sont à la fois complexes et teintés de paradoxes sinon de contradictions. Cacique du parti, mais désirant la dissidence, orateur virulent, mais politicien conciliateur, adulé à l’étranger, détesté et décrié chez lui, séduisant les Occidentaux, décevant les Russes et une partie de l’Europe, encore sous le joug de l’Armée rouge, prix Nobel de la paix, mais qui n’a jamais contesté l’invasion de l’Afghanistan en 1979, faux calme, jouant la discrétion tout en aimant les bains de foule, il serrait les mains la mâchoire serrée et le sourire rivé aux lèvres. Un exercice dont il excellait, même quand le rouleau compresseur qu’il avait mis en branle en 1989, avec l’ouverture des frontières des pays inféodés à la sainte Russie, donnant corps aux mouvements d’indépendance qui ont débuté avec la liberté regagnée par les pays Baltes, lui est passé dessus, quand il sort par la petite porte, poussé dehors par Boris Eltsine.
Touché, abîmé politiquement, amoindri, blessé, il se retire du Kremlin, le cœur saignant, mais le visage ouvert. Il y a là un grand sens de la résilience chez un homme de culture aussi qui a toujours su que l’Histoire ne retient que les victoires et balaie les vaincus. Dans un large sens, sa fin de présidence a été un désastre terrible, toujours vivace en Russie et que l’actuel président, Vladimir Poutine, ne cesse de rappeler à chaque fois que l’occasion se présente, qualifiant la chute de l’URSS du plus grand désastre national de toute la longue histoire du peuple russe.
Ironie de l’Histoire, sa mort survient quelques mois après l’invasion de l’Ukraine et l’éclatement d’une nouvelle guerre en Europe. Lui, Mikhaïl Gorbatchev, qui malgré son silence, a été forcé de mettre un terme à l’invasion de l’Afghanistan en 1989. Lui, qui a ouvert le dialogue avec l’Occident, disparaît quand la Russie renoue avec le rejet de l’Europe mettant fin au dialogue entre Est et Ouest, érigeant un autre rideau de fer, cette fois ouvertement déclaré, avec des menaces sérieuses sur l’avenir du monde.