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Humilité devant la Covid-19


Par Amal Bourquia, Professeur de néphrologie et dialyse et présidente de l'Association marocaine de lutte contre les maladies rénales, reins, éthique médicale, consulting et communication médicale associationreins@gmail.comwww.amalbourquia.com
 

 

La pandémie de Covid-19 est apparue comme une situation exceptionnelle, qui soulève de nombreuses questions quant à la prise de décisions dans le domaine médical, éthique et politique.


 

La méconnaissance du virus

L'un des freins à la lutte contre la pandémie qui frappe actuellement le monde, est que la science connaît peu de choses sur le nouveau coronavirus.  Les caractéristiques spécifiques de la maladie se sont progressivement précisées et nécessitent un recul, et donc du temps suffisant pour être fiable. Une situation qui a mis à mal la communauté médicale, étant donné que les médecins ne pouvaient se prononcer avec certitude sur un ensemble de questionnement. 

Même si la connaissance du virus s'accroît chaque jour avec de multitudes publications scientifiques, nombreuses sont celles qui ont semé encore plus de confusions dans les médias et auprès du grand public. La difficulté de communication entre les scientifiques, les autorités et le grand public est un autre problème qui a compliqué la situation. 

De nombreuses attitudes erronées ont ainsi été enregistrées, comme désigner la fièvre et la toux comme des symptômes permettant d'isoler les malades, ce qui ne tenait pas compte du fait que les porteurs pouvaient être asymptomatiques ou ne présenter que des symptômes légers ou d’autres signes.

 

La suprématie médicale ébranlée

La figure du docteur qui sait tout et le vieux paternalisme en blouse blanche ne sont plus d’actualité. L’heure est à la décision partagée dans laquelle le patient consentant est pleinement impliqué même avant la pandémie. De nombreuses incertitudes et des doutes ont marqué l’avènement de cette pandémie. 

Ainsi, on pensait que la grande majorité des malades graves du Covid-19 sont des patients âgés, qui souffraient de maladies sous-jacentes diverses, mais les praticiens ont été surpris par des jeunes en bonne santé, victimes de formes graves inexpliquées. 

Face à l'un des mystères de la Covid-19, les scientifiques se sont donc lancés sur la piste des prédispositions génétiques. D’ailleurs, la science a déjà permis d'identifier ces dernières années des variations génétiques responsables de prédispositions à plusieurs maladies infectieuses, pourquoi pas la covid-19 ? 

De plus en plus d'études suggèrent que la forte proportion de cas non répertoriés et initialement ignorés, car asymptomatiques, a favorisé la propagation de la pandémie. 

Face à l’urgence, beaucoup de données ont été publiées, parfois sans les informations qui auraient permis de vraiment les comparer ensemble et de faire émerger les différentes faces d’une réalité plus complexe.
 

Faire face à l’incertitude

Les médecins sont quotidiennement confrontés à l’incertitude qu’ils ont appris à gérer, ce qui n’est pas le cas de la majorité de la population. 

Actuellement, les patients sont plus au fait des connaissances médicales faisant que les médecins s’efforcent de leur fournir des données fondées sur des preuves scientifiques. S’en tenir aux faits reste l’attitude la plus appropriée, chose qui leur manquait le plus pendant cette pandémie. 

Certes, l’expérience du médecin joue un rôle important, mais il faut des données scientifiquement fiables. Avec la pandémie covid-19 où le concept de la pratique d’une médecine basée sur des preuves scientifiques s’est mis à mal, le fait de voir les médecins se succéder devant les écrans télé et prendre les micros des radios ces jours-ci, avec parfois des discours différents, en est un exemple. 

En face du médecin, on est tenté de se dire que c’est lui qui est en mesure de comprendre les risques et de choisir la meilleure alternative, mais on n’attend pas de constater la gêne des médecins face à ces nombreuses incertitudes. 

Ce n’est qu’avec le recul que l’on pourra analyser les actions justes et moins justes dans ce combat mondial. En attendant, les opinions publiques, de plus en plus inquiètes, ont besoin de confiance. 

Loin des fausses certitudes, la transparence sur les choix opérés et l’acceptation de ces limites avec humilité, constituera la meilleure réponse à apporter.
 

Les fausses informations

Plusieurs personnes profitent de cette situation d’incertitude pour diffuser des «fake news» ou fausses informations qui mettent à mal le savoir médical, comme les gestes à observer pour lutter contre l’épidémie. Le contexte épidémique actuel constitue un terrain propice à l’émergence de «fake news» largement relayées et alimentées par les réseaux sociaux. 

Le manque de connaissances scientifiques sur le nouveau virus, les incertitudes sur l’avenir proche et les angoisses que cette situation génère au sein d’une population confinée, constituent un terrain favorable à l’émergence de rumeurs. 

Dans ce contexte anxiogène, on a inconsciemment tendance à croire ce qui nous arrange et à adhérer à une théorie venant confirmer ce qu’on pense, ou ce à quoi on a envie de croire face à l’émergence d’un virus jusqu’ici inconnu.


Situation pandémique génératrice de stress

Les caractéristiques de cette pandémie par sa rapidité de diffusion, ses connaissances incertaines, sa sévérité, ont installé un climat anxiogène auquel s’ajoutent le stress de protection individuel, le manque de communication, le bouleversement de la vie quotidienne familiale et sociale, la crainte de contaminer un proche, l’isolement ou la stigmatisation sociale. 

Les soignants ont ainsi un risque plus important de souffrance psychologique, avec une grande anxiété. Une incertitude qui planait sur les données très changeantes, a amené souvent les praticiens à expliquer aux patients que l’on ne connaît pas encore l’ensemble des manifestations cliniques possibles de cette maladie. 

En tant que soignant, cette situation leur donne l’impression de ne rien savoir et d’être dans une situation d’apprenti et non d’expert. Plus le temps passe, plus la pathologie induite par le virus montre de nouveaux tableaux souvent inattendus. 

Au début concentré sur l’attaque des poumons, on a découvert au fur et à mesure qu’il peut entraîner des atteintes neurologiques, cérébrales, digestives, rénales, hépatiques, cardiaques, mais aussi vasculaires.


Difficultés de discours et de décision médicaux

Lors d’une pandémie, les décisions sont fondées en grande partie sur une expertise scientifique et médicale. Les politiciens font appel à des experts en tenant compte de l’ensemble des paramètres, scientifiques, sociaux, économiques, politiques, humains. 

Dans cette situation de crise, les dirigeants politiques doivent trancher entre des avis parfois contradictoires, prendre des décisions rapides sans disposer nécessairement de toutes les informations, ni de tous les moyens dont ils auraient besoin.

Un devoir d’humilité s’impose donc avant de juger de la supériorité d’une stratégie sur l’autre, ou de débattre du bien-fondé de telle ou telle décision.  Pour la première fois également dans l’histoire, nous vivons une pandémie en temps réel, avec une effervescence médiatique à laquelle s’ajoute l’impact des réseaux sociaux. 

Tous les médias de toute la planète parlent du nouveau coronavirus, tous les jours et plusieurs fois par jour, ce qui n’est pas pour rassurer la population. 

Jamais dans l’histoire autant d’efforts n’ont été déployés pour lutter contre ce type de menace, avec un lot important de connaissances accumulées très vite, soit deux mois après la découverte de l’agent pathogène. 

La flambée de COVID-19 fait peser une charge écrasante sur les systèmes et les autorités de santé, qui doivent réagir par des interventions, des politiques et des messages efficaces et appropriés. L’un des éléments les plus essentiels pour juguler la transmission du virus est le comportement de la population face aux mesures de riposte à la crise. 

Ces mesures doivent être perçues comme équitables, cohérentes, pertinentes et sincères et facilement comprises pour avoir l’adhésion de la population. Aujourd’hui et demain, l’humilité permanente s’impose à nous tous.

 

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