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Compléments alimentaires : Un marché en plein boom, mais miné par l’illégalité

Compléments alimentaires : Un marché en plein boom, mais miné par l’illégalité

La prolifération des ventes hors officine est jugée illégale au regard de la loi 17-04. En 2023, ce secteur a généré 900 millions de dirhams. Entretien avec Abdelmajid Belaïche, expert en industrie pharmaceutique et membre de la Société marocaine de l’économie des produits de santé.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo: Quelles sont les principales raisons qui expliquent la prolifération de la vente illégale de compléments alimentaires à base de plantes médicinales en dehors du circuit officinal ?

Abdelmajid Belaïche : La prolifération de la vente illégale de compléments alimentaires, en particulier ceux à base de plantes médicinales, en dehors du circuit officinal au Maroc, s’explique par la multiplication des canaux de distribution informels. Ces circuits incluent les herboristeries, les boutiques de produits parapharmaceutiques et «bio», mais surtout les plateformes numériques non encadrées, qui assurent la promotion et la vente de produits non autorisés. La pandémie de la Covid-19 avait commencé par créer une compléments alimentaires à base de vitamine C, à un moment où l’offre des médicaments à base de vitamine C ne pouvait plus répondre à la forte demande sur ces produits. Ensuite, le marché a connu non seulement le développement de compléments alimentaires existants, mais aussi celui de nouveaux produits entrants censés développer l’immunité ou pour répondre à différentes demandes des patients. Les promoteurs de certains compléments ont même cherché à substituer leurs produits à certains médicaments dans un marché qui a connu de nombreuses pénuries. Faut-il le rappeler, les réseaux sociaux ont été le principal levier de croissance pour le secteur des compléments alimentaires. Les promoteurs de ces produits ont rapidement acquis les maîtrises du marketing digital et de l’utilisation de l’intelligence artificielle générative, y compris pour créer des vidéos promotionnelles trompeuses. Des marges mirobolantes et primes substantielles ont naturellement attiré vers ce secteur de jeunes entrepreneurs et commerciaux aussi performants qu’ambitieux.

 

F. N. H. : L’article 30 de la loi 17-04 consacre pourtant le monopole des pharmacies pour ce type de produits. Quels obstacles empêchent aujourd’hui l’application stricte de ce cadre réglementaire ?

A. B. : Effectivement, les articles 4, 30 et 108 de la loi 17-04 ont consacré le monopole pharmaceutique non seulement sur les médicaments, mais également sur l’ensemble des compléments alimentaires et, de manière générale, sur tout produit de santé contenant une substance inscrite dans la pharmacopée. Ce cadre vise à garantir la qualité, la sécurité et la traçabilité de ces produits, dans l’intérêt des patients. Il impose un circuit de commercialisation officiel, passant par les canaux légalement reconnus pour assurer leur traçabilité. Bien que le Maroc ait adopté les pharmacopées européenne et américaine (USP), plusieurs obstacles réglementaires et sociétaux freinent son application rigoureuse. A commencer par la complexité des circuits informels devenus encore plus intraçables avec leur migration vers les réseaux sociaux. Ajoutez à cela, le manque de moyens humains et logistiques au niveau du ministère de la Santé pour assurer les inspections et prononcer les sanctions. La vente de ces produits illégaux va des modestes et traditionnelles herboristeries aux grandes entreprises, avec une bonne maîtrise du marketing digital et de la vente à travers des réseaux sociaux difficilement traçables.

 

F. N. H. : Le marché atteint 900 millions de dirhams en 2023, dont 860 millions à l’export. Comment expliquer cette forte progression alors que près de la moitié des ventes échappe au circuit légal ? Quels risques cela pose-til pour la santé publique ?

A. B. : Absolument, il s’agit de chiffres d’affaires et de taux de croissance qui donnent le vertige. Cette envolée s’inscrit dans une tendance mondiale observée aux États-Unis, en Europe et en Chine, portée par une demande croissante sur les produits naturels. À cela s’ajoute un effet de mode, aujourd’hui difficilement réversible, qui repose sur la perception souvent erronée que ces produits sont sans danger, voire plus sûrs que les médicaments conventionnels. En réalité, ces compléments à base de plantes contiennent des principes actifs potentiellement dangereux en raison de risques d’interactions médicamenteuses, d’effets indésirables ou d’intoxications propres, surtout en cas de surdosage. Ces produits, mal contrôlés, échappent aux normes de qualité et de traçabilité imposées au secteur pharmaceutique. En plus de leurs risques sanitaires, ils posent également un problème économique majeur : celui d’une concurrence déloyale pour les officines et un manque à gagner conséquent pour les pharmaciens. En somme, sans encadrement rigoureux, le marché parallèle fragilise tout un pan du système de santé. Il est donc urgent d’instaurer une régulation stricte et d’intensifier la sensibilisation des consommateurs aux risques réels de ces produits.

 

F. N. H. : Quelles mesures concrètes devraient être envisagées pour mieux encadrer la distribution de ces produits, garantir leur traçabilité et accompagner le développement sécurisé de ce marché en plein essor ?

A. B. : La mesure la plus importante consiste à sensibiliser le grand public sur le danger représenté par l’achat des produits de santé en dehors des pharmacies, et notamment des produits actifs tels que les médicaments et les compléments alimentaires ou des produits cosmétiques à base de plantes figurant dans la pharmacopée officielle adoptée par le Maroc. Le renforcement du cadre réglementaire sera aussi nécessaire, et notamment l’adoption rapide du projet de loi sur les compléments alimentaires et un contrôle plus strict de la fabrication, de l’importation, de l’exportation ou de la distribution de ces produits hors du circuit officiel, à l’image des laboratoires pharmaceutiques / grossistes-répartiteurs / pharmacies. Ces produits doivent aussi obéir à des normes rigoureuses, telles que celles appliquées aux médicaments, et notamment la mise en place sur chaque emballage de ces produits, d’un système de traçabilité obligatoire et d’une identification par des QR codes, des numéros de lot, etc. il faut aussi interdire et sanctionner la vente en ligne non encadrée et non autorisée et renforcer les inspections et sanctions contre les circuits informels et les vendeurs non agréés. La sensibilisation des promoteurs et vendeurs de ces produits sur l’illégalité de leur activité et sur les sanctions auxquelles ils s’exposent peut aussi avoir un effet dissuasif. 

 

 

 

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