«Diomaye moy Sonko, Sonko moy Diomaye». Le slogan qui électrisait les foules ressemble aujourd’hui à un miroir fêlé. Le Président de la République, Diomaye Faye, et son Premier ministre, Ousmane Sonko, incarnaient il y a à peine un an et demi l’image de l’unité. Aujourd’hui, ils renvoient chacun une version différente du pouvoir.
Au Sénégal, la séquence ouverte par le bras de fer autour de la coordination de la coalition «Diomaye Président» a fait tomber les masques : l’alchimie originelle du duo Diomaye - Sonko se heurte désormais aux lois immuables de l’arène politique, là où la camaraderie se sacrifie vite sur l’autel de l’ambition, de la convoitise et de la simple arithmétique politicienne.
L’affaire, en apparence procédurale, dit beaucoup. Remplacer Aïda Mbodj par Aminata «Mimi» Touré n’est pas une simple formalité institutionnelle; c’est un acte de positionnement. Le Président Faye a voulu reprendre la main sur un instrument politique dont la léthargie était dénoncée, tout en signifiant à son Premier ministre que la pédagogie de l’autorité passe parfois par… un communiqué.
Ousmane Sonko, chef du gouvernement et patron du Pastef, y a vu une ligne rouge: contester la décision, c’était défendre la chaîne de commandement du parti, mais aussi rappeler que la légitimité populaire dont il jouit ne se délègue pas comme un parapheur.
Au fond, cette querelle de préséance renvoie à une question cardinale : qui gouverne et au nom de quoi ? Depuis la présidentielle de 2024, le Sénégal expérimente une formule inédite : un président propulsé par un leader empêché, lequel a été ensuite nommé Premier ministre. Dans la théorie, il y a la complémentarité. Dans la pratique, il s’agit d’un bicéphalisme politique dans lequel tant que les agendas coïncident, la machine avance. Mais dès que se dessinent 2029 et la tentation d’un second mandat pour l’un, ou la revanche pour l’autre, la machine grince.
Ah, le pouvoir !
Le pouvoir, on le sait, grise les dirigeants les plus lucides. Gouverner expose à une double ivresse : l’illusion de l’efficacité («je décide, donc j’agis») et la fascination des appareils («je contrôle, donc j’existe »). La première pousse le Président à resserrer la chaîne, cadrer la coalition et sécuriser des relais loyaux. La seconde pousse le Premier ministre à protéger son capital politique, préserver le Pastef comme levier autonome et contester toute recentralisation perçue comme un déclassement. Le résultat, c’est un frottement permanent : quand l’un parle d’«ordre», l’autre entend «mise sous tutelle». Quand l’un invoque la «cohérence», l’autre y voit un «déshabillement» de la majorité.
Les conséquences pour la gouvernance du Sénégal s’observent quotidiennement : une administration qui hésite à trancher quand deux injonctions parallèles coexistent, des ministres qui scrutent la météo de la semaine avant de prendre parti, des réformes qui s’émoussent, faute d’arbitrages nets et des marchés financiers qui sursautent à la moindre anicroche parce qu’ils lisent dans les gestes du politique la boussole de la stabilité.
L’épisode des Eurobonds, chahutés au gré des déclarations, n’est pas anodin: la politique a ses rituels, mais la finance a ses réflexes.
Ajoutons à cela une donnée psychologique : l’amitié supposée de combat résiste mal à l’épreuve du protocole d’Etat. L’histoire est ancienne comme la République : des camarades d’hier se découvrent rivaux non par trahison intime, mais parce que l’architecture des rôles les y pousse.
On ne gouverne pas comme on milite; on ne gouverne pas non plus à deux la même zone de commandement. A ce jeu, les alliances se reconfigurent et les entourages, ces fameux soutiens, attisent les braises, persuadés que leur destin personnel dépend de leur «champion».
Faut-il, pour autant, conclure à la rupture consommée ? En tout cas, et on le voit bien, Diomaye - Sonko, ce n’est pas un simple choc d’ego; c’est un test de maturité institutionnelle. La Constitution offre des balises, mais elle ne remplacera jamais la culture de la cohabitation loyale : respect des prérogatives des uns et des autres, mais aussi respect des institutions.
Les démocraties qui durent ont appris, souvent dans la douleur, que la mise en scène des disputes ne renforce ni l’autorité de l’un ni la légitimité de l’autre. Au contraire, elle fatigue la collectivité et fragilise la crédibilité internationale.
La politique, dit-on, est l’art du possible. Au Sénégal, le possible a un nom : gouverner. Ce mot, simple et exigeant, oblige.
Il oblige à traiter la cherté de la vie sans se perdre en querelles d’appareils. Il oblige à sécuriser l’Etat de droit sans transformer la justice en ring. Il oblige à parler au pays avant de parler à sa base. Il oblige, surtout, à préserver ce qui a fait naître l’espoir : la promesse d’un renouveau, de la décence publique et de l’exemplarité dans l’exercice des charges. Et pour cela, il faut des dirigeants à la hauteur de leurs responsabilités.
D. W.