Selon les estimations, 134.000 hectares de cèdre de l’Atlas sont menacés de disparition. En cause : le dérèglement climatique, les parasites et les champignons, l’abattage clandestin, le braconnage et le surpâturage. Une situation écologique extrême qui requiert des solutions en urgence.
Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste
C’est l’une des espèces emblématiques de l’Atlas marocain. Et, c’est aussi l’une des espèces les plus fragiles et les plus menacées de disparition. Le cèdre de l'Atlas vient de faire son entrée dans la liste rouge des espèces menacées de disparition au Maroc. Cet arbre symbole du Maroc présente un houppier large et conique, avec des branches très espacées, avec souvent une cime aplatie à l’âge adulte. Plus imposant que les autres espèces de cèdres, il peut mesurer jusqu’à 40 m de haut. Son écorce est gris clair. Elle est plus foncée sur les vieux arbres et fissurée en plaques écailleuses. Natif des montagnes d’Afrique du Nord, on le trouve encore à l’état sauvage uniquement dans la chaîne de l’Atlas, où il souffre depuis plusieurs années de plusieurs maux et dangers qui peuvent conduire à sa disparition pure et définitive, à l’état sauvage, réduisant ainsi des centaines de milliers d’hectares du domaine forestier du pays.
Selon l’UICN, (Union internationale pour la conservation de la nature), qui a travaillé sur ce drame écologique, le cèdre de l’Atlas a fait son entrée sur la liste des arbres menacés au Maroc, en 2013. Dans un rapport détaillé, réalisé par de nombreux chercheurs qui ont travaillé sur le terrain durant plusieurs années, on peut voir que la menace est de taille. En effet, selon les spécialistes, «le cèdre figure parmi les 34% de conifères menacés d’extinction, soit une augmentation de 4% depuis 1998». Le cèdre de l’Atlas, connu aussi sous le nom de Crus Atlantica, est aujourd’hui en grand danger. Les raisons sont simples pour les rapporteurs de l’UICN. Ces derniers estiment que la surexploitation et les différents parasites qui l’attaquent sont les principales causes de ce danger.
Pour les connaisseurs, le bois de cèdre est l’un des plus beaux. Il est aussi très convoité par de nombreux artisans qui le travaillent pour réaliser des meubles. De nombreux menuisiers affirment que le cèdre est aussi très cher et peut rapporter gros. Un filon connu depuis plusieurs années, mais depuis dix ans, le phénomène s’est amplifié. C’est simple, pour approvisionner les manufactures dans la région de l’Atlas mais aussi dans des villes comme Fès ou Meknès ou encore dans le nord à Tétouan et plus au sud à Essaouira, les braconniers s’activent derrière une entreprise très juteuse. Certains accusent même ouvertement les gardes forestiers de fermer les yeux face à ce braconnage qui rapporte gros.
D’autres activistes écologistes pointent du doigt le haut- commissariat aux Eaux et Forêts qui doit mettre en place une stratégie forte et efficace pour barrer la route aux coupeurs clandestins de bois qui sévissent non seulement dans l’Atlas mais aussi dans certaines régions du rif où le cèdre pousse encore.
Pour un écologiste comme Michel Tarrier, qui a souvent tiré la sonnette d’alarme pour sauver ce qui peut encore l’être, les choses sont graves : «Tous sont responsables, du berger au garde forestier, mais sont surtout coupables les propriétaires absents qui confient des effectifs surnuméraires de moutons à des bergers locaux», pour les faire paître dans des zones de forêts où la qualité du sol paie un lourd tribut à ces pratiques qui font fi du repos de la terre, de la relation entre eau et arbres. C’est cet équilibre fragile qui est aujourd’hui au centre de toutes les préoccupations.
Dans ce sens, les spécialistes sont unanimes. Une forêt ne peut être sauvée que si elle garde son écosystème protégé loin des agressions des bergers, des braconniers et de la coupe irrationnelle de bois. Chaque arbre qui tombe est une perte séculaire irremplaçable. Surtout que derrière, il n’y a aucune politique de revivifier la forêt en procédant par période de plantation qui peut aboutir, à très long terme, à régénérer la flore et donc la faune. Car dans ce processus de destruction du cèdre, il ne faut pas oublier que c’est l’habitat naturel de plusieurs espèces d’oiseaux et d’insectes, importants pour l’équilibre de l’écosystème qui est à jamais détruit.
Le pire c’est qu’en s’attaquant au cèdre de l’Atlas, on porte un coup fatal à une espèce de plantes qui, à elle seule, représente la moitié de la biodiversité marocaine. Pour l‘Union internationale pour la conservation de la nature, si le cèdre disparait, ce sont toutes les autres variétés végétales qui dépendent de sa présence qui vont disparaître. Un effet domino qui peut entraîner une catastrophe écologique pour toute la région, mais aussi pour le Maroc dont l’Atlas reste l’unique poumon vital, vu que le Sud, l’Est et de larges parties du centre sont menacées par la désertification.
Sur un plan environnemental, les choses sont encore plus graves. On sait que la déforestation peut engendrer la libération des quantités de carbone très importante dans l’atmosphère et renforce ainsi le réchauffement climatique. Aujourd’hui, la superficie totale des cédraies marocaines atteint plus de 134.000 ha. On les trouve essentiellement dans le Moyen-Atlas, le Rif et le Haut Atlas. Comme c’est un conifère qui ne peut vivre qu’en haute altitude, dans des zones montagneuses culminant à 2.500 m, le cèdre peut mettre plus de trente ans avant d’atteindre l’âge adulte. C’est dire que chaque arbre mutilé aujourd’hui, a besoin de plusieurs décennies pour repousser.
Les chercheurs recommandent une meilleure gestion de ce patrimoine marocain laissé à la dérive. L’une des urgences est d’arrêter les coupes de bois. Il faut aussi interdire le braconnage et veiller au respect des zones qui doivent être interdites d’accès. Et surtout éviter de faire de la forêt une zone de pâturage pour les différents cheptels de la région.
Il est vrai que nous sommes face à des régions où les villageois n’ont d’autres choix que de faire brouter leurs moutons dans le voisinage du cèdre. Mais il y a un choix à faire : protéger la nature ou la précipiter dans la surconsommation au risque de faire disparaître toute vie végétale importante dans les montagnes du Maroc, qui souffrent déjà des feux de forêts et autres stress hydrique.