Le taux de chômage au niveau national est passé de 11,8 à 13% en 2023. La faiblesse de la croissance économique limite les opportunités d'emploi et rend difficile la création de nouveaux postes de travail.
Par D. William
Les chiffres du chômage viennent de tomber. Ils sont décevants, pour ne pas dire choquants. Selon le haut-commissariat au Plan, «entre 2022 et 2023, le nombre de chômeurs a augmenté de 138.000 personnes, passant de 1.442.000 à 1.580.000 chômeurs, ce qui correspond à une hausse de 10%. Cette hausse est la conséquence d’un accroissement de 98.000 chômeurs en milieu urbain et de 40.000 en milieu rural». Ainsi, le taux de chômage au niveau national est passé de 11,8 à 13% (+1,2 point). Parallèlement, le chômage des jeunes et des diplômés constitue une préoccupation majeure, même si la hausse du chômage en 2023 a concerné l’ensemble des catégories d’âges.
Comme le montrent les chiffres du HCP, «le taux de chômage est passé de 32,7 à 35,8% (+3,1 points) parmi les jeunes âgés de 15 à 24 ans, de 19,2 à 20,6% (+1,4 point) pour les personnes âgées de 25 à 34 ans, de 6,4 à 7,4% (1 point) pour celles de 35 à 44 ans, et de 3,3 à 3,7% pour celles de 45 ans et plus (+0,4 point)». La jeunesse, pilier incontesté de l'avenir, se retrouve donc confrontée à un cycle de précarité et d'incertitude, errant sur les bancs du chômage, cherchant désespérément une lueur d'espoir dans un horizon obscurci par des perspectives d'emploi chancelantes.
Quid des 1.000.000 d’emplois en 5 ans ?
Le patron du Rassemblement national des indépendants (RNI) et actuel chef de gouvernement, Aziz Akhannouch, avait pris 5 engagements majeurs, dont l’un des plus importants reste, sans aucun doute, la création d’un million de postes d’emploi net sur le quinquennat, soit 200.000 emplois par an. Aux affaires depuis depuis le 10 septembre 2021, soit près de deux ans et demi, c’est peu dire qu’il y a une parfaite déconnexion entre le vernis reluisant des discours politiques et la réalité économique. La réponse du gouvernement face au chômage reste visiblement timide et insuffisante, malgré certaines initiatives qui ont été prises, dont les programmes Awrach et Forsa. L’exécutif est à l’évidence dans l’incapacité d’infléchir durablement la courbe du chômage, que l’économie marocaine traîne comme un boulet depuis trop longtemps. En effet, le chômage revêt tout d'abord une dimension structurelle qui pèse lourdement sur l'économie nationale. Cette dimension structurelle est le fruit d'une conjonction de facteurs endogènes et exogènes qui ont façonné le paysage économique du Royaume.
Pour l’économiste Rachid Achachi «ce chômage structurel est dû à l’inadéquation entre le niveau et la nature des formations du capital travail et les besoins de l'économie réelle. Ce qui fait que beaucoup de gens se retrouvent de fait disqualifiés par rapport à la demande réelle du marché. Cela crée un excédent de force de travail potentiel, mais qui s'inscrit dans un chômage de longue durée». Pour faire face à ce chômage structurel qui gravite en moyenne autour de 10%, Achachi propose de poursuivre la réforme des filières professionnelles et de l’université à travers une logique plus flexible.
«Mais, malheureusement, ce type de réforme n'apporte de fruits que sur le long terme; et dans le court terme, il y a une génération qui va vivre ce chômage structurel et qui n'aura pas forcément les moyens et la résilience pour rebondir à travers d'autres formations ou d’autres filières», analyste-t-il. Tout en précisant que les 3% supplémentaires de chômage enregistrés en 2023 par rapport aux 10% que le Maroc enregistre habituellement sont dus «au contexte économique actuel, c'est-à-dire l'augmentation des coûts pour les entreprises, notamment en termes de matière première, de frais maritime, de transport de marchandises, d'hydrocarbures…». Cette conjonction de facteurs explique, selon lui, le fait que les entreprises ont non seulement du mal à recruter, mais peinent aussi à soutenir leur masse salariale. Et ce, «sans parler de la hausse du taux de mortalité des TPE, qui constituent une partie importante du tissu économique et qui sont les premières à craquer en temps de crise, étant les plus fragiles», ajoute-t-il.
«En combinant tous ces éléments, on se retrouve avec un taux de chômage qui peut-être même est sous-estimé», note-t-il. Par ailleurs, les politiques économiques souvent incohérentes et insuffisamment ciblées n'ont pas réussi à stimuler véritablement l'investissement privé et la création d'emplois. A cela s’ajoutent les rigidités du marché du travail et les difficultés d'accès au financement pour les jeunes entrepreneurs. C’est pourquoi Achachi suggère de «flexibiliser le marché du travail afin de permettre aux entreprises de recruter plus facilement parce qu'elles pourront licencier plus facilement. Et donc recruter quelqu'un dans le cadre d'un CDI ne sera plus une prise de risque pour une entreprise comme c'est le cas actuellement». Il préconise aussi de «revoir la fiscalité pour élargir l’assiette et réduire la pression fiscale sur les PME et TPE afin de leur permettre d'avoir une plus grande résilience par rapport à la crise économique. Car, d’un côté, elles doivent subir les affres de la crise économique actuelle (surcoût, baisse des carnets de commande…). De l’autre, elles doivent composer avec une fiscalité qui devient de plus en plus dure et qui s'acharne toujours sur les mêmes, c’est-à-dire ceux qui sont formels. Globalement, il faut repenser la politique fiscale sur la longue durée et pas dans une logique opportuniste de collecte des recettes fiscales».
Croissance molle
L’économie marocaine est confrontée à une problématique de taille : la dualité entre un secteur agricole traditionnellement prédominant, mais sujet aux aléas climatiques, et un secteur industriel et des services en développement, mais encore insuffisamment robuste pour absorber pleinement la main-d'œuvre disponible. Cette dualité crée une dépendance excessive à l'égard de l'agriculture, rendant la croissance du PIB vulnérable aux fluctuations climatiques et aux crises sectorielles. La faiblesse de cette croissance économique limite les opportunités d'emploi et rend difficile la création de nouveaux postes de travail. Elle devrait se situer autour de 2,9% en 2023, et entre 3,1 et 3,7% en 2024, selon les prévisions de l’exécutif et des différentes institutions nationales et internationales.
Et, au regard de la configuration économique actuelle, il est difficile de franchir durablement ce palier de croissance, cette dernière étant principalement drivée par l’agriculture. Or, en raison du changement climatique, le Maroc est confronté à une tendance lourde : un déficit hydrique très inquiétant inhérent à des épisodes de sécheresse de plus en plus récurrents et sévères qui compromettent les performances du secteur agricole. Et puisque le PIB non-agricole n’est pas suffisamment solide malgré les efforts déployés pour diversifier l'économie, notamment à travers le développement des métiers mondiaux du Maroc, la croissance de l’économie nationale reste globalement molle et irrégulière par rapport aux ambitions de développement du Royaume, et ne permet pas d’absorber la masse de jeunes qui se retrouvent sur le marché du travail chaque année.
C’est pour sortir de cette impasse qu’a été élaboré le nouveau modèle de développement, dévoilé en 2021. Objectif : une refonte profonde du modèle économique et des politiques publiques afin qu’ils cadrent davantage avec les ambitions du Royaume et stimulent la croissance, pour la porter à un rythme moyen annuel supérieur à 6% et doubler le PIB par habitant à l’horizon 2035. Mais là encore, c’est visiblement échec et mat pour le moment, comme en témoignent les chiffres relatifs à la croissance : 1,3% en 2022, autour de 2,9% en 2023, entre 3,1 et 3,7% en 2024, aux alentours de 3,5% en 2025. Si toutefois la pluviométrie ne fait pas défaut.