◆ Trois cliniques privées ont été sanctionnées par l’ANAM pour dépassements tarifaires dans le cadre de la prise en charge de patients atteints de la covid-19.
◆ Médecine, business et éthique ne font pas bon ménage.
Par D. William
Le Maroc se bat pour se sortir de cette pandémie meurtrière qui a fait plus de 340.000 contaminés pour plus de 5.600 décès. Le gouvernement a fait entorse à l’orthodoxie budgétaire pour venir en aide aux entreprises et aux ménages malmenés par la crise sanitaire. L’économie nationale est fortement chahutée, plombée par la pandémie et deux années successives de sécheresse.
Les citoyens acceptent, résignés, mais avec beaucoup de dignité, les multiples restrictions et autres privations de libertés individuelles imposées par les autorités sanitaires. Des familles marocaines désemparées se battent, dans une angoisse indescriptible, pour assister et soigner leurs malades atteints de Covid-19, tandis que dans d’autres, la mort s’est fatalement invitée, faisant des veufs, des veuves, des orphelins… privés subitement d’un être cher.
Pendant ce temps-là… Pendant ce temps-là, il y a des gens qui, sans aucun scrupule ni une once de compassion, profitent de la détresse humaine pour se sucrer sur le dos des citoyens. C’est ce qu’il a été permis de constater dans le cadre des travaux de suivi et de contrôle des dépassements tarifaires appliqués par certaines cliniques pour la prise en charge des patients de la Covid-19.
En effet, suite aux contrôles techniques effectués, des pratiques contraventionnelles et de dépassements avérés de la Tarification nationale de référence (TNR) ont été décelées. L’Agence nationale de l’assurance maladie (ANAM) a ainsi décidé, le 25 novembre, de sanctionner trois cliniques privées, avec notamment la suspension provisoire du mode tiers payant, dans le cadre de la convention nationale conclue entre les organismes gestionnaires de l’Assurance maladies obligatoire et les médecins et établissements de soins du secteur privé. De même, l’ANAM les a enjoint de restituer les sommes indues perçues au profit des assurés victimes desdites violations.
Depuis quelques semaines, les tarifications abusives de certaines cliniques privées dans le cadre de la prise en charge des patients atteints de covid19 suscitent un tollé sur la toile. Cela leur avait d’ailleurs valu un premier rappel à l’ordre de la part du ministre de la Santé, Khalid Ait Taleb, le 11 novembre. Une semaine plus tard, Ait Taleb est revenu à la charge pour signifier qu’il est interdit pour les cliniques, en cas de tiers payant, de demander aux personnes assurées ou à leurs ayants droit une garantie en espèces, par chèque ou tout autre moyen de paiement en dehors de la part restant à leur charge.
Toutes ces pratiques sont non seulement abusives, mais également immorales, surtout de la part d’une profession qui, au-delà du serment d’Hyppocrate, doit davantage faire preuve d’humanité dans ce contexte pandémique où la détresse psychologique est à son paroxysme, surtout pour ceux qui ont contracté le coronavirus. Les patients ne demandent pas la gratuité des soins, encore moins l’aumône, mais qu’il soit simplement appliqué le juste prix. Sauf que, pour certaines cliniques privées, l’éthique et la déontologie médicales sont sacrifiées sur l’autel du mercantilisme.
Et même si ce sont seulement trois établissements qui ont été épinglés (pour le moment), l’opinion publique jette légitimement l’opprobre sur toute une profession. Légitimement, parce qu’en ne jouant pas la carte de la transparence jusqu’au bout et en taisant les noms des cliniques incriminées, l’ANAM fait de toutes les cliniques privées des tricheuses potentielles.
Légitimement, parce que les cliniques privées trainent derrière elles une réputation et un passif très peu reluisants, avec en toile de fond un triptyque Médecine - Business – Ethique que l’on peut difficilement concilier et qui, aux yeux de l’opinion publique, est forcément une combinaison malsaine. Rappelons-nous d’ailleurs ce coup de gueule retentissant d’un grand commis de l’Etat, Zouhair Chorfi, ex-secrétaire général du ministère de l’Economie et des Finances, lors des Assises nationales de la fiscalité tenues les 3 et 4 mai 2019 à Skhirat.
«Que les gens minorent leurs déclarations d’impôt de 10 ou 20% n’est pas le problème. Mais quand on les minore de 90%, j’ai un problème. Quand je vais dans une clinique et qu’on me dit «Je n’accepte pas de chèque», qu’est-ce que cela veut dire ? Maintenant, ça suffit ! La corruption, ça suffit ! Le noir, ça suffit !», s’était-il indigné, pointant du doigt les cliniques privées.
Aujourd’hui, ces sanctions prises par l’ANAM ne font qu’enfoncer le clou de la suspicion qui entoure les cliniques privées et confortent davantage, dans la conscience collective, qu’elles ne sont mues que par l’appât du gain. Donc, forcément, elles ne sont pas dans le dilemme Santé – Economie dans lequel se débat le gouvernement depuis plusieurs mois. Car certaines d’entre elles portent en bandoulière une devise assez claire : le business d’abord, la santé après ! Consternant.