◆ Le Maroc n’a toujours pas encore reçu une goutte des 65 millions de doses qu’il a commandées de Sinopharm et d’AstraZeneca.
◆ Le gouvernement pèche par une communication défaillante et un manque de transparence.
◆ L’incompréhension cède la place à la colère chez l’opposition.
◆ L’apparition des variants remettra-t-elle en cause la campagne de vaccination ?
D.William
Toute date avancée pour le début de la campagne de vaccination n’est que pure spéculation en ce moment. C’est ce que l’on peut déduire des derniers développements autour des vaccins anti-Covid-19 tant attendus au Maroc. Sur les tarmacs des aéroports, l’attente des 65 millions de doses commandées par le Royaume s’éternise.
Il faut dire que les annonces intempestives du gouvernement sur la date de réception des vaccins disséminent, petit à petit, un parfum d’incompréhension, voire de cacophonie quant à la gestion de ce dossier. Rappelons-le, le Maroc a acquis, selon les autorités, 25 millions de doses du vaccin AstraZeneca, qui doit provenir de l’Inde, et 40 millions de doses de celui du groupe chinois Sinopharm. En Inde, qui compte 1,3 milliard d’âmes et où une mégacampagne de vaccination a commencé samedi dernier, 300 millions de personnes doivent être immunisées d’ici fin juillet prochain.
Face à des besoins aussi énormes, ce pays va-t-il exporter les vaccins produits par le Serum Institue of India (SII), sous le nom de Covishield ? Pas sûr. Et les propos du ministre des Affaires étrangères indien, Subrahmanyam Jaishankar, sont on ne peut plus clairs. Dans une déclaration à Reuters, il a notamment affirmé que «l’Inde sera en mesure de décider des exportations de vaccins contre le coronavirus dans les prochaines semaines (…) quand nous aurons davantage de visibilité par rapport à nos besoins». Si l’on s’en tient aux propos de Jaishankar, il ne faut donc pas compter sur le vaccin d’AstraZeneca dans l’immédiat. Vaccin qui fait davantage l’actualité ces derniers jours au Maroc, au détriment de celui de Sinopharm.
Mais où est le vaccin Sinopharm ?
La question mérite d’être posée. On a cru, un moment, que le Maroc serait parmi les premiers pays à recevoir ses doses du groupe chinois. Et ce, eu égard à la nature du partenariat qui lie le Royaume à Sinopharm. Rappelons, en effet, qu’en août dernier, deux accords de coopération ont été signés avec ce groupe, «ouvrant la voie à une présence stratégique de Sinopharm au Maroc», comme l’avait d’ailleurs laissé entendre le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l'étranger, Nasser Bourita.
Ces accords actaient ainsi la «coopération en matière d’essais cliniques de Phase III du vaccin anti-Covid-1», une «coopération globale» ainsi que la volonté de «s’ouvrir au Sud et au Nord (…) pour que le futur vaccin contre la Covid-19 soit accessible à tous, en particulier le continent africain». Malgré ce partenariat privilégié, qui devait faire du Maroc un pays prioritaire, rien n’a été reçu pour le moment sur les 40 millions de doses commandées à Sinopharm, dont le PDG et le DG ont récemment démissionné.
Pourtant, le 16 janvier, la Serbie a reçu un million de doses du vaccin chinois Sinopharm, selon l’agence Xinhua, qui reprend l’annonce faite par le président serbe Aleksandar Vucic. A ce jour donc, le Maroc a l’escarcelle vide : ni Sinopharm ni AstraZenaca. Pour seule explication, le chef de gouvernement, Saad Eddine El Otmani, s’est contenté de dire, mardi, à la deuxième Chambre du
Parlement, que «l'offre en vaccins est très insuffisante par rapport à la demande et les pays producteurs vont d'abord garantir leur demande interne avant d'exporter». Conclusion : «il n’y a pas encore de date pour le démarrage de la campagne de vaccination», admet-il. L’opposition en colère Ces tergiversations et ce manque de visibilité irritent passablement les partis de l’opposition, très remontés contre le gouvernement.
Pour Nabil Benabdallah, secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme (PPS), «les citoyens ont le droit d’être informés et de savoir pourquoi il y a eu ce retard flagrant dans la réception des vaccins. Tous les acteurs de ce pays ont besoin de visibilité, mais il y a en ce moment beaucoup de cafouillage tant en ce qui concerne le vaccin chinois que celui d’AstraZeneca», pestet-il.
«Lors de la dernière réunion du bureau politique, nous avons interpellé le gouvernement sur la fiabilité des indicateurs actuels, notamment les tests de dépistage et leur cadence, mais aussi la nature du ou des vaccins qui doivent être approuvés. Cette situation est inacceptable et le doute commence à s’installer. L’Exécutif doit assumer pleinement sa responsabilité à travers une communication transparente et fiable pour couper court à toute rumeur», conclut Benabdallah. Même son de cloche chez Ibtissam Azzaoui, députée du Parti de l’authenticité et de la modernité (PAM).
«Comme la plupart des citoyens, je pense que la communication du gouvernement au niveau de la campagne de vaccination laisse beaucoup à désirer. Le manque de transparence et de précision laisse place à la désinformation et aux fake news. Il y a des attentes et du scepticisme en ce qui concerne le vaccin chinois. Pour réussir la campagne de vaccination, il faut lancer des signaux positifs et, surtout, rassurer les citoyens. Il faut aussi être vigilant et méfiant face à la propagation des fausses informations qui peut nuire à toute la stratégie nationale de vaccination», note-t-elle.
Nouredine Mediane, président du groupe istiqlalien à la Chambre des représentants, n’épargne pas, lui aussi, le gouvernement. «Depuis le début de la pandémie, nous avons dénoncé l’improvisation du gouvernement au niveau de la gestion de la crise sanitaire. Lors des interventions des parlementaires du parti, nous avons relevé à plusieurs reprises les lacunes et les dysfonctionnements du secteur de la santé au Maroc. Pour la campagne de vaccination contre la Covid-19, nous avons dès le départ manifesté notre soutien à cette opération en appelant les citoyens à adhérer massivement, mais le gouvernement a montré à ce niveau de nombreuses limites. Le manque de transparence et de visibilité risque de perturber le bon fonctionnement de cette campagne», déplore-t-il. A l’évidence, avec des vaccins non encore reçus et le déficit de communication et de transparence du gouvernement, cette campagne de vaccination est décidément mal barrée.