•À travers le relèvement des plafonds de crédit et l’encadrement de la collecte d’épargne, le Royaume entend renforcer l’accès aux services financiers pour les populations vulnérables et structurer durablement le tissu des petites activités économiques.
Le Conseil de gouvernement a adopté, début juillet 2025, le décret tant attendu d’application de la loi 50-20 relative aux institutions de microfinance. Ce texte, au-delà de ses implications juridiques, positionne stratégiquement un secteur longtemps confiné à des interventions sociales de proximité. Le nouveau dispositif législatif donne enfin les moyens au microcrédit de jouer pleinement son rôle de moteur d’autonomisation économique.
Durant les deux dernières décennies, les Associations de microcrédit (AMC) ont permis à des centaines de milliers de Marocains exclus du circuit bancaire traditionnel d’accéder à un financement de base. A fin 2024, le secteur des micro financements au Maroc a enregistré un encours total de crédits estimé à 9,3 milliards de dirhams, soulignant ainsi l’importance de ce marché et l’intérêt croissant qu’il suscite. Mais face à l’évolution des besoins, la montée du travail informel, la complexification des modèles économiques locaux, et les séquelles de la crise du Covid-19, le modèle de la microfinance à l’ancienne a montré ses limites.
Conscient de ces mutations, le législateur avait entériné, dès 2021, la loi 50-20, mais son opérationnalisation dépendait de textes d’application précis. C’est désormais chose faite avec l’adoption du décret n° 2-25-450, qui marque une rupture assumée.
Mustapha Baitas, ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement, avait affirmé que «ce texte vise à offrir de nouvelles perspectives de financement et de collecte de fonds pour des catégories sociales qui ne disposent pas des garanties ou des conditions requises pour accéder aux institutions financières classiques».
Dans ce même élan, le professeur Rachid El Fakir, expert en économie monétaire, note que cette réforme «constitue un pas décisif vers la consolidation d’une microfinance orientée vers la production, les services et l’emploi, plutôt qu’une microfinance limitée à la survie sociale». Selon lui, le Maroc exploite ici un espace encore largement inexploité : «Le taux de bancarisation reste en deçà des attentes, laissant à la microfinance la possibilité d’attirer une grande partie de la population évincée des circuits bancaires classiques».
Plafonds rehaussés, encadrement renforcé
Première grande avancée, le relèvement des plafonds de prêt. Pour les AMC classiques, le montant maximal passe désormais de 50.000 à 150.000 dirhams. Ce positionnement permettra de financer des projets plus structurés, notamment ceux portés par des auto-entrepreneurs ou des coopératives. Quant aux institutions de microfinance constituées en sociétés anonymes (IMF-SA), elles pourront octroyer des crédits allant jusqu’à 1,2 million de dirhams, s’ouvrant ainsi aux très petites entreprises formelles.
«Avec cette évolution, nous pourrions passer à une microfinance de projets économiques viables, complémentaire aux services bancaires, capable d’incuber la micro production jusqu’à son intégration dans le financement bancaire classique», analyse El Fakir.
Le conditionnement des plafonds les plus élevés aux IMF-SA devrait aussi, selon lui, «encourager une transformation architecturale du secteur, en réduisant la domination des structures associatives au profit de sociétés mieux capitalisées».
L'autre tournant stratégique est l’autorisation encadrée de la collecte d’épargne, jusque-là interdite pour des raisons de protection des déposants. Désormais, les IMF pourront collecter des dépôts dans la limite de
400.000 dirhams par client. Un plafond différencié selon le type d’activité ou le profil du déposant a été introduit pour mieux maîtriser les risques : jusqu’à 2 millions de dirhams pour les micro-entrepreneurs et jusqu’à 10 millions pour les coopératives structurées.
Par cette réforme les IMF pourraient réduire leur dépendance aux bailleurs internationaux et aux lignes de crédits coûteuses. «C’est l’opportunité de bâtir un écosystème où le crédit local est financé par l’épargne locale, avec des produits d’épargne sécurisés et des crédits adaptés», estime l’expert. Il voit dans cette mesure un fort potentiel pour développer «l’épargne rurale et villageoise, qui pourrait devenir un moteur de financement des projets au service des collectivités».
Inclusion financière v/s risques financiers
Avec ce nouveau cadre, c’est un véritable saut qualitatif qui est opéré. La microfinance cesse d’être un outil purement social pour s’ériger en acteur central de la finance inclusive. Cette réforme s’inscrit dans la Stratégie nationale d’inclusion financière (SNIF), qui vise à faire émerger une offre diversifiée, accessible et sécurisée de services financiers, au profit notamment des femmes, des jeunes, des populations rurales et des porteurs de projets à petite échelle.
À terme, cette réforme devrait faciliter la formalisation de milliers d’activités aujourd’hui cantonnées dans l’informel, améliorer la résilience économique des ménages vulnérables, et catalyser des dynamiques d’emploi local. Le financement de l’entrepreneuriat rural et féminin en sortira considérablement renforcé.
Toutefois, cet élargissement des moyens s’accompagne de risques. «Les créances en souffrance sont l’ennemi de toute finance indirecte», avertit El Fakir.
Le danger, selon lui, est d’exposer les IMF à une clientèle structurellement vulnérable et à un risque accru de défaut. Il recommande un encadrement strict par Bank Al-Maghrib, la sélection des bénéficiaires selon leur profil de solvabilité, la limitation de l’endettement multi-institution et le contrôle rigoureux des produits d’épargne.
Pour que cette réforme tienne ses promesses, l’expert souligne aussi l’importance d’investir dans la formation des bénéficiaires, la digitalisation des services, la diversification des produits du microcrédit de subsistance à l’épargne logement et la création de bases de données centralisées sur la solvabilité. Il plaide enfin pour la mutualisation des risques entre IMF et la mise en place de fonds de garantie afin d’amortir les chocs économiques.
En filigrane, cette réforme ne se résume pas à un ajustement technique. Elle traduit la volonté, selon El Fakir, «de redéfinir les IMF comme des institutions de proximité financière complète, enracinées dans le tissu socioéconomique, capables de préparer leur clientèle à intégrer progressivement le système bancaire».
Si les garde-fous suivent, le Maroc pourrait bien voir naître une microfinance 2.0, plus inclusive et résiliente, au service du développement local et de la formalisation des activités.
Désy M.