Par Mustapha Sehimi, Professeur de droit, politologue
Tanger Med, Dakhla Atlantique, aéroports, autoroutes, etc. Que de grands chantiers structurants, suivant la formule consacrée. Il faut s'en féliciter, bien sûr, parce que c'est une stratégie d'infrastructures sans lesquelles il serait vain d'escompter un processus de développement. Mais le reste, qu'en est-il ? Référence est faite, entre autres, à une réarticulation de l'aménagement spatial pour réduire le différentiel entre deux Maroc : le premier inséré de plus en plus dans la mondialisation et ses exigences de modernisation de l'appareil de production; le second, lui, paraissant encore stagner à la traîne, par bien des aspects.
Voilà bien un débat à l'ordre du jour. Le nouveau modèle de développement (NMD) - il faut bien y faire référence même s'il semble qu'il ne soit plus qu'une référence convenue... - a évoqué la nécessité de «territoires résilients», de «lieux d'ancrage du développement». Une nouvelle vision du développement. Elle privilégie surtout les régions, pas vraiment les savoirs et les patrimoines locaux. Autrement dit, ceci : le «terroir», le développement des arrière- pays et du monde rural. Au stand de l'Académie Hassan II des Sciences et Techniques au 27ème salon - le SIEL-, les visiteurs devraient s'intéresser à un maître-livre sur cette question : un ouvrage collectif dirigé par le professeur Mohamed Berriane avec une dizaine de contributions (Geneviève Michon, Grigori Lazarev, Mohamed Ait Kadi, Mohamed Naciri, Mohamed Aderghal, Nada Oussoulous, Abdelouahed Oufkir, et Bouchra Karroud).
Des ateliers de développement durable
Hors Sahara, plus des 3/4 du territoire sont des zones rurales considérées comme «marginales» : montagnes atasiques, zones présahariennes et sahariennes, oasis, plaines et plateaux semi- arides. S'y concentrent quelque 70% des exploitations agricoles et 80% de la population rurale. Les politiques publiques depuis une bonne dizaine d'années se sont employées à en faire des «ateliers du développement durable», notamment avec le Pilier II du Plan Maroc Vert : politiques de développement agricoles ciblées, loi sur les produits à signe d'origine et de qualité, promotion du tourisme rural et Initiative pour le développement des zones de montagne. Dans cette stratégie, ce qui est visé c'est un nouvel ordre agraire : il se propose d'inscrire «l'agriculture marocaine dans une spirale vertueuse de progrès inclusif et durable». Cette économie est plurielle : tous les agriculteurs et tous les territoires doivent y trouver une place. Comment ? Par la valorisation de leurs opportunités. Et de leurs potentialités respectives.
Créer de la valeur ajoutée
Dans le terroir, il vaut de noter qu'il y a des produits emblématiques de promotion et de réussite (huile d'argan, safran de Taliouine, rose du M’goun, jben de Chefchaouen, pomme de Midelt....). Ils font l'objet de la labellisation qui bénéficient d'une certaine visibilité. Mais, par ailleurs, dynamiques de terroir restent encore fragiles. Pour ce qui est des montagnes, l'évaluation reste problématique : la pauvreté n'y recule pas vraiment; les inégalités sociales s'aggravent; et l'exode rural continue... Que faire ? Les décideurs publics priorisent les recettes d'un développement durable, une stratégie de protection de la nature ainsi que la valorisation patrimoniale et ressources du territoire (produits du terroir, tourisme rural).
Ce sont encore des régions en difficulté. Leur développement passe sans doute par «l'imagination de nouvelles activités génératrices de revenus comme le tourisme». Pour l'heure, en tout cas, les politiques publiques se traduisent peu ou prou par l'accentuation des disparités régionales, et ce au détriment des arrière-pays. Un «tourisme vert» est en gestation; il va élargir l'offre touristique et répondre à une demande marquée par une tendance dans ce domaine. Il doit s'appuyer sur des acteurs locaux et des porteurs de projets étrangers. Une mutation à inscrire dans une transition touristique à accompagner et à conforter. Cette évolution expose une société locale pratiquement fermée - un douar, une tribu, des terres collectives... - à une ouverture brutale pas tellement préparée avec des innovations et différents acteurs externes poussant à des évolutions supposées bénéfiques. Si bien que certains en tirent profit mais pas d'autres, laissés-pour-compte, cantonnés ainsi à des situations de non-développement.
Créer de la valeur ajoutée autour des produits dits de terroir : voilà le challenge d'avenir. Un regard rétrospectif sur la décennie écoulée témoigne de résultats passablement mitigés. En premier lieu, un problème d'équité et solidarité : l'intégration pleine des «plus petits des petits producteurs» demeure insuffisante; la voie de l'intégration est-elle la plus probante ? En second lieu, l'approche comparative est intéressante à rappeler. Sur la rive nord de la Méditerranée, la valorisation des spécificités locales pour un développement in situ solidaire a été portée par des démarches militantes de collectifs de producteurs auto- organisés.
Qu'en est-il au Maroc ? Cette même démarche est prise en charge par l'Etat; elle se préoccupe de relativiser les zones rurales marginales ne pouvant pas bénéficier d'un développement agricole «classique». Le risque est que cette valorisation se limite à «mettre en vitrine» certains produits -phares de l’arrière-pays - de l'affichage cosmétique ... Il faut aussi signaler une autre interrogation : celle relative à la transformation «des exploitants familiaux, dotés de certaines ressources, en entrepreneurs orientés vers un modèle de développement plus classique». Produits de terroir et développement : une construction sur le temps long. Ils disposent de nombreux atouts : présence, diversité, richesse, profondeur historique et culturelle. Reste à réunir les conditions d'un développement territorial. Avec des actions coordonnées des multiples acteurs. Et durablement...