Pour accélérer la mise en oeuvre de la Stratégie énergétique nationale, il faudrait premièrement en finir avec l’espace autobloquant de l’Administration. La deuxième condition, nécessaire pour une mise en œuvre optimale de cette stratégie, est l’installation d’une autorité de régulation qui soit indépendante politiquement, administrativement et financièrement.
Moulay Abdellah Alaoui, le président de la Fédération de l’énergie, estime que l’Etat doit régler ses arriérés, 21 milliards de DH à fin février, aux opérateurs gaziers et pétroliers, afin de soulager leur trésorerie.
Finances News Hebdo : Avant de dresser votre bilan de la mise en oeuvre de la Stratégie énergétique nationale, il serait utile de rappeler la genèse d’un tel plan ambitieux…
Moulay Abdellah Alaoui : En effet, il est important de rappeler que la stratégie nationale de l’énergie a été portée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, avant son lancement en mars 2009. Et quand je me réfère aux discours royaux, on relève bien quand dans tous ses discours SM le Roi Mohammed VI a érigé l’énergie comme point central !
«La problématique de l'énergie se pose également comme une question fondamentale qu'il faut aborder dans le cadre d'une vision prospective. L'objectif est de garantir la sécurité énergétique de notre pays, de diversifier les sources d'énergie nationales, par le recours à des énergies alternatives, et d'en assurer un usage rationnel», disait SM dans le discours du Trône du 30 juillet 2007.
Egalement, « Il faudrait donc suivre une politique alliant d’une part la gestion rationnelle des produits énergétiques, et d’autre part l’adoption d’une stratégie efficiente visant à réduire la consommation de l’énergie, sans porter atteinte à la productivité. Il est également nécessaire de veiller dans le cadre de cette démarche à la protection et à la diversification des sources d’énergie. Le Maroc n’a d’autre choix que de renforcer localement sa capacité de production d’énergie et d’ouvrir la voie aux investisseurs prometteurs en matière d’approvisionnement énergétique et se doit également de poursuivre résolument les efforts visant à faire des énergies alternatives et renouvelables la clé de voûte de la politique énergétique nationale», extrait du discours du Trône du 30 juillet 2008. Et tous les acteurs et intervenants économiques, qu’ils soient de l’énergie ou de l’industrie, ont été impliqués à cette stratégie qui fait l’objet d’un grand débat qu’on appelle aujourd’hui dans le langage politique, la démocratie participative. Elle a été adoptée, validée et portée par SM le Roi et par le gouvernement qui est en charge de son exécution, depuis 2009.
F. N. H. : Au point de départ, quels étaient les points forts et les points faibles du secteur énergétique au Maroc ?
M. A. A. : Parmi les points forts de notre politique énergétique, je citerai l’accès généralisé à l’énergie, les réseaux d’opérateurs organisés, les réformes structurantes, la coopération régionale…
Parmi les points faibles, et que nous avions soulevés à moult reprises à l’époque, on peut citer: la visibilité à moyen et long termes à renforcer, la demande non optimisée en raison de la compensation des prix, un engagement relativement faible en matière d’énergies alternatives.
Tous ces éléments constituaient les bases d’élaboration d’une stratégie basée sur un mix électrique optimisé autour de choix technologiques fiables et compétitifs, la montée de la part des énergies renouvelables, l’efficacité énergétique érigée en priorité nationale, la mobilisation des ressources nationales, l’intégration régionale, l’équilibre entre la production nationale et les importations de l’énergie, la mise en œuvre d’un pacte national pour le développement durable.
La montée en puissance de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique sera assurée par le développement éolien, par la croissance de l’énergie solaire avec la réalisation d’ici à 2030 de 700 méga watts en solaire concentration, 400 méga watts en photovoltaïque et 3.000.000 m2 en solaire thermique ; l’émergence de la biomasse et la mobilisation du potentiel hydroélectrique. A l’horizon 2030, les énergies renouvelables permettront une économie en énergie fossile de 2,6 millions tonnes de pétrole et contribueront à la création de 25.000 emplois. Et l’efficacité énergétique devra être hissée au rang de priorité nationale dans tous les secteurs économiques et sociaux pour mieux utiliser l’énergie et maîtriser sa demande dans ses différents usages afin de consommer mieux tout en répondant aux besoins croissants.
Il faut également optimiser la courbe de charges électriques, maîtriser les coûts de l’énergie pour améliorer la compétitivité de la production nationale.
F. N. H. : Le Maroc a signé un protocole d’accord avec l’Emirati Masdar, puis avec l’Américain Chevron. Dans quelle mesure cela participe-t-il à greffer le Maroc aux marchés régional et international de l’énergie ?
M. A. A. : Le renforcement de l’intégration régionale, celui de la coopération euro-méditerranéenne visent à nous insérer dans le marché énergétique régional, notamment à travers l’extension des interconnecxions électriques avec l’Espagne et l’Algérie, les échanges énergétiques sur la base d’arbitrage économique, l’insertion de la boucle électrique méditerranéenne, le Maroc devenant ainsi le hub de la dorsale gazière Afrique-Europe, en plus de l’intégration du Plan Solaire Méditerranéen.
F. N. H. : Le développement durable n’est-il pas le parent pauvre de cette stratégie ?
M. A. A. : Le développement durable et le respect de l’environnement passent par l’établissement des normes pour réduire les émissions des gaz à effet de serre. Appliquons les techniques de l’efficacité énergétique, utilisons les énergies propres, rajeunissons les parcs du transport par des véhicules à faibles émissions de CO2, remplaçons les moyens de production obsolètes par des équipements performants et moins polluants, sensibilisons les industriels, les utilisateurs …
Pour résumer, je dirai que cette stratégie énergétique adoptée en mars 2009 a pour objectifs principaux de sécuriser l’approvisionnement en diverses énergies, d’assurer la disponibilité et l’accessibilité à des prix optimisés, de rationnaliser l’utilisation des sources énergétiques tout en veillant à ce que leur exploitation respecte l’environnement. Pour atteindre ces objectifs, les orientations stratégiques adoptées visent la mise en place d’un bouquet électrique optimisé autour de choix technologiques fiables et compétitifs. Si le charbon propre reste à court terme le combustible de choix de la production de base, toutes les options restent ouvertes et leur réalisation conditionnée par leur disponibilité de longue durée, leur faisabilité technico-économique et leur compétitivité, notamment le gaz naturel dont le plan doit voir le jour bientôt, en tout cas avant 2019 !
F. N. H. : Pensez-vous qu’aujourd’hui les énergies renouvelables, autrefois parents pauvres du bouquet énergétiques, aient pris leur place entière dans cette stratégie ?
M. A. A. : Le développement à grande échelle des ressources nationales considérables en énergies renouvelables, notamment le solaire et l’éolien, a pour objectif de porter leur contribution dans la puissance électrique installée à 42% à l’horizon 2020. Leur exploitation permettra à notre pays de couvrir une part substantielle de ses besoins en énergies, d’atténuer sa dépendance énergétique, de réduire les émissions à effets de serre et de promouvoir le développement durable.
La promotion de l’efficacité énergétique est érigée en priorité nationale comme le moyen le plus rapide et le moins coûteux pour mieux utiliser et économiser l’énergie, tout en baissant notre facture énergétique. L’ambition est d’atteindre 15% d’économie sur la consommation en énergie à l’horizon 2020.
Ceci dit, la mobilisation des ressources nationales fossiles par l’intensification de l’exploration pétrolière, la signature avec Chevron, la mise en valeur des immenses gisements en schistes bitumeux et l’extraction de l’uranium des phosphates, ces lignes directrices stratégiques ont été déclinées en plans d’actions et en projets concrets à court et à moyen termes, sont également des piliers importants de cette stratégie.
F. N. H. : Tous les chantiers sectoriels ont pris du retard à cause de la crise, du «Printemps arabe», des législatives… Est-ce également le cas pour le secteur de l’énergie ?
M. A. A. : Sur le plan gazier, nous avons pris deux années de retard. Et je répète, «Le mieux est l’ennemi mortel du bien».
F. N. H. : En évoquant le plan gazier, finira-t-on par avoir plus de détails sur ce chantier ?
M. A. A. : La Fédération de l’énergie a été consultée en 2011 et j’ai personnellement émis un avis sur ce projet, tel qu’il m’a été adressé à l’époque. Nous y avons apporté des améliorations et il me semble que ce projet tel que conçu était bien pensé.
Aujourd’hui, on nous parle d’une deuxième consultation. Je crois que le nouveau ministre est en droit de faire sa propre lecture de ce texte qui est actuellement en phase d’analyse par des experts extérieurs au ministère.
De même, il a été confié à la Société d’Investissement (SIE) un périmètre pour étudier les moyens de promotion de ce projet. Donc, le chantier est en cours, mais il va prendre un peu plus de temps que prévu. D’ailleurs, il n’y a pas de perspective de voir ce projet démarrer en 2013. Donc, il faut s’attendre à avoir du nouveau à partir de 2014.
F. N. H. : A votre avis, que faudrait-il entreprendre pour donner un coup d’accélérateur à la mise en œuvre de la stratégie énergétique nationale ?
M. A. A. : Pour aboutir à la mise en œuvre de toute cette stratégie nationale de l’énergie dans un délai optimum, il faut réunir deux conditions.
Premièrement, il faudrait en finir avec l’espace autobloquant de l’administration. Cette dernière ralentit cette stratégie car, pour emprunter à Montesquieu sa citation, «Le mieux est l’ennemi mortel du bien». A chaque fois que je suis consulté, je réitère cette demande d’aller de l’avant, même si l’on risque de se tromper à 10 ou à 20% ! Quand il faut y aller, il faut y aller. Et ce, d’autant plus que l’Etat a toujours les moyens d’apporter des amendements, des cadrages, des modifications … Car l’Etat est souverain. Mais, nous n’avancerons pas sur cette stratégie si certains blocages persistent!
En effet, la Fédération de l’énergie constate que l’administration, de tous les secteurs qui nous concernent, devient un espace autobloquant. Il faut y remédier !
Et la deuxième condition, nécessaire pour une mise en œuvre optimale de cette stratégie, est l’installation d’une autorité de régulation qui soit indépendante politiquement, administrativement et financièrement.
Et le choix du responsable d’une telle autorité doit revenir au Chef de l’Etat en raison de son rôle stratégique.
Et plus que jamais aujourd’hui, nous avons besoin d’une agence de régulation pour arbitrer entre les opérateurs publics et opérateurs privés, entre les opérateurs privés, Car, dès à présent, nous avons nombre de dossiers en souffrance qui rendent urgente la mise en oeuvre d’une telle autorité.
Elle est d’autant plus nécessaire que le pays est en tain de privatiser l’électricité et il va lancer le grand chantier du gaz naturel. Autant de projets qui vont nécessiter un organe d’arbitrage et de régulation !
F. N. H. : En termes de gouvernance, quels sont les principes fondamentaux que doit avoir cette autorité ?
M. A. A. : L’indépendance, surtout politique, administrative et financière. Et cette indépendance doit être garantie pour assurer une objectivité totale et une impartialité dans la prise de décision.
La concertation est un principe de gouvernance crucial dans toute prise de décision et les avis rendus doivent être co-élaborés avec les différents acteurs institutionnels et économiques.
La motivation de décision et la transparence sont également des éléments de gouvernance que doit avoir cette autorité. On parle d’un délai de deux années encore pour que cette instance voie le jour. Or, je rappelle juste que la stratégie est lancée depuis mars 2009, que le nombre des dossiers en souffrance augmente avec le temps et que pour les projets à venir, il faut un contexte offrant toutes les garanties nécessaires à l’investissement. En effet, les investisseurs privés qu’ils soient Marocains ou étrangers ont besoin de visibilité et cette autorité en est une importante garantie. Et vu les gros investissements que nécessite la Stratégie Nationale de l’énergie, le Maroc n’a pas le droit à l’erreur. A titre d’exemple, le chantier du gaz naturel à lui seul nécessitera une enveloppe de deux milliards d’euros !
F. N. H. : Aujourd’hui, la réforme de la compensation fait débat. En attendant, la compensation se traduit par des arriérés auprès des pétroliers et des gaziers et, à ce qu’il paraît, l’ardoise de l’Etat est lourde !
M. A. A. : En effet, cela pose un grave problème qui pèse sur tout un secteur d’activité. A fin 2012, les arriérés gazier et pétrolier de l’Etat s’élevaient à 16 milliards de DH (couvrant les cinq dernier mois de 2012), qui se sont accrus à 18 milliards de DH à fin janvier. Et il est prévu qu’ils franchissent le seuil de 20 milliards de DH à fin février. Et cela, comme expliqué, a un effet de boule de neige sur tous les pétroliers et gaziers, notamment les filières de groupes internationaux. Ainsi, cela se répercute sur les investissements, les extensions des réseaux de distribution, sur la recherche et le développement du secteur … Apparemment, le ministère de l’Economie et des Finances aurait signé pour un versement dont l’exécution dépend actuellement de la Trésorerie Générale du Royaume.
Aujourd’hui, il est urgent que l’Etat assainisse ses comptes auprès des pétroliers et gaziers qui sont actuellement en difficulté à cause des arriérés importants !
Propos recueillis par I. Bouhrara