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Inflation au Maroc : entre déni et réalité

Inflation au Maroc : entre déni et réalité
  • Le Maroc, à l’instar de la plupart des pays importateurs de matières premières et énergétiques, est confronté depuis plusieurs mois à une vague inflationniste importée. Tensions géopolitiques en Ukraine, reprise économique mondiale après la parenthèse Covid, transition écologique occidentale mal préparée et une forte volatilité des marchés mondiaux en raison des mouvements spéculatifs, sont en grande partie à l’origine de cette hausse généralisée des prix à l’international.

Cependant, d’autres facteurs plus locaux semblent aggraver la situation. 


Premièrement, une sècheresse exceptionnelle, l’une des pires de ces 30 dernières années selon plusieurs experts qui, combinée aux agissements spéculatifs et totalement illégaux de certains intermédiaires, s’est traduite par une importante augmentation des prix de plusieurs denrées alimentaires, dont les légumes. Exceptionnelle, elle l’est probablement, mais ce qui choque le plus, c’est qu’elle ait encore autant d’impact sur la production agricole aujourd’hui en 2022, malgré les milliards de dirhams investis à travers le programme «Maroc Vert». 

Deuxièmement, le secteur marocain des hydrocarbures est, depuis sa libéralisation en 2015, l’objet de plusieurs critiques quant à d’éventuelles ententes anticoncurrentielles sur les prix. La réouverture de ce dossier connu du grand public sous le nom d’«Affaire des hydrocarbures » est conditionnée par l’amendement de la loi 104.12 sur la liberté des prix et de la concurrence. 


Autrement dit, le Conseil de la concurrence n’a toujours pas la main sur ce dossier. En attendant, rien ne permet d’exclure ni d’ailleurs de confirmer un schéma d’entente, de même qu’une politique agressive de marge des distributeurs. Tant que ce dossier ne sera pas sérieusement et rapidement traité, et avec des prix à la pompe qui frôlent les 13 DH pour le «sans plomb» et les 11 DH pour le «diesel», tous les doutes seront permis.

 

Troisièmement, le déni de réalité du gouvernement et la distorsion entre le narratif officiel et le vécu des citoyens.


Car oui, pour le gouvernement, cette vague inflationniste est intégralement exogène. Autrement dit, le mal vient d’ailleurs. En témoignent les déclarations de plusieurs ministres, pour qui l’inflation est imputable exclusivement aux marchés mondiaux, ou au bilan du précédent gouvernement qui, ces derniers temps, a bon dos.

Mais la palme d’or du déni de réalité revient à Leila Benali, l’actuelle ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, pour qui la hausse des prix des hydrocarbures n’a aucun impact sur le pouvoir d’achat des citoyens. Elle a annoncé, lors d’une interview accordée à la chaîne nationale Al Aoula, que «les hausses des prix du carburant sont décrites comme une flambée, mais je ne suis pas d’accord avec ce qualificatif» et que «pour un impact sensible des prix du gasoil sur le pouvoir d’achat et le transport, il faut deux facteurs, dont une hausse structurelle des prix des carburants et non une hausse instantanée».

Pour y répondre, j’appelle à la barre Monsieur Robert, Dictionnaire de son prénom : «Définition (flambée) : Feu vif et assez bref». Ainsi, «flambée» veut bien dire «hausse instantanée» Madame la ministre.
Ainsi, à mon tour je récuse le «vocable» flambée, car il s’agit d’une hausse qui depuis plusieurs mois s’inscrit dans la durée. Etant un conducteur assidu, mon portefeuille et celui de plusieurs millions de Marocains peuvent en témoigner.
Cependant, qu’il s’agisse des déclarations de Benali ou d’autres ministres qui se sont aventurés sur le terrain de l’euphémisation de ce que vivent les Marocains, le plus dangereux est que ce déni contribue à saper la légitimité autant de celle du gouvernement que des institutions en général. Une perte de légitimité qui ne manquera pas d’impacter négativement toutes les mesures que le gouvernement pourra mettre en place en raison du climat de méfiance, de scepticisme et de non adhésion d’une partie de plus en plus importante de la population.

Or, comme l’a bien rappelé l’actuel chef du gouvernement Aziz Akhannouch, «les Marocains veulent voir des résultats plus que le chef du gouvernement». Le fait est que, pour l’instant, nous ne voyons ni l’un ni l’autre, contrairement à d’autres pays. A titre d’exemple :
-    Espagne : réduction de la TVA et des impôts sur les factures d’électricité.
-    Italie : Déblocage de 3 milliards d’euros pour supprimer l’impact de l’augmentation des prix pour 3 millions de ménages modestes et les TPME / Baisse temporaire de la TVA pour tous.
-    France : Un «chèque énergie» de 100 euros versé en décembre à 6 millions de foyers.


Mais l’initiative la plus marquante et la plus transposable au Maroc demeure celle entreprise par la Pologne, qui a décidé de réduire les taxes sur le carburant de 23 à 8% afin de soulager le pouvoir d’achat des citoyens.
Car si le prix à la pompe dépend à hauteur de 50% environ des prix du pétrole, il n’en demeure pas moins vrai que les taxes structurent l’autre moitié, puisqu’elles représentent 37% du prix pour le gasoil et 47% pour l’essence. Il en résulte qu’en attendant de rouvrir l’épineux dossier de l’«affaire des hydrocarbures», l’Etat dispose d’un levier majeur pour baisser ne serait-ce que temporairement les prix à la pompe, à travers une baisse des taxes sur ces produits. Cette dernière aura certes un impact négatif sur le déficit budgétaire, mais comme la «flambée» est momentanée selon Leila Benali, il n’y aura pas mort d’homme. 
Une idée qui semble séduisante, mais que le gouvernement semble évacuer d’un revers de la main, à en croire les déclarations du ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaa, qui exclut fermement toute baisse des taxes concernant les hydrocarbures.

Ainsi, entre l’euphémisation du réel des Marocains et la fermeté dans l’inaction du gouvernement marocain, il y a de quoi perdre son latin, ou plutôt dois-je dire, son pouvoir d’achat. Comme le dit le funeste proverbe arabe : «Combien a-t-on réglé de problèmes juste en les délaissant». Pas sûr cependant que cette fois, ce proverbe soit encore de mise.

Rachid Achachi, DG d’ArKhé Consulting

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