Les niveaux de prix restent toujours élevés même si l’inflation a diminué en avril.
Bank Al-Maghrib va-t-elle poursuivre le durcissement de la politique monétaire ?
Par D. William
Les tensions sur les prix sont-ils définitivement en train de s’estomper ? Si les niveaux de prix restent élevés, la tendance au niveau mondial est cependant une baisse du taux d’inflation. Dans la zone OCDE par exemple, l’indice des prix à la consommation (IPC) a diminué pour atteindre 7,7% en glissement annuel en mars 2023, après 8,8% en février 2023, et 10,7% lors du pic d’octobre 2022. Même constat au Maroc.
Après un premier trimestre 2023 où les pressions inflationnistes se seraient accentuées, avec une hausse des prix à la consommation de 9,4%, au lieu de +8,3% au trimestre précédent et +4% un an plus tôt, l’indice des prix à la consommation a connu, au cours du mois d’avril 2023, une hausse de 1,4% par rapport au mois précédent.
Cette variation est le résultat de la hausse de 3,2% de l’indice des produits alimentaires et de la stagnation de l’indice des produits non alimentaires, indique le haut-commissariat au Plan (HCP). Comparé au même mois de l’année précédente, l’indice des prix à la consommation a enregistré une hausse de 7,8% au cours du mois d’avril 2023. L’indicateur d’inflation sous-jacente, qui exclut les produits à prix volatiles et les produits à tarifs publics, aurait connu, quant à lui, au cours du mois d’avril 2023, une hausse de 0,3% par rapport au mois de mars 2023 et de 7,6% par rapport au mois d’avril 2022.
Tensions toujours fortes sur les produits alimentaires
C’est au niveau des prix de la composante alimentaire où les pressions sont les plus fortes. Au premier trimestre, elle a enregistré une hausse historique de 18,2%, tandis que les prix des produits non-alimentaires auraient augmenté de 3,5%. Au mois d’avril et sur un an, l’inflation a été principalement tirée par la hausse de l’indice des produits alimentaires de 16,3% et de celui des produits non alimentaires de 2,0%. L’inflation a certes diminué, mais les niveaux de prix élevés continuent de grever le pouvoir d’achat des ménages. Et ce, même si le gouvernement, qui explique la hausse des prix des produits agricoles par l'inflation importée, la hausse des coûts de production, ainsi que les perturbations saisonnières, a multiplié les mesures.
Toute la panoplie y est passée : subvention des produits de base, soutien aux transporteurs routiers pour un montant évalué à 3,9 Mds de DH à fin janvier dernier, ou encore des intermédiaires et spéculateurs indélicats. A cela, s’ajoute la hausse à trois reprises du taux directeur. D’ailleurs, à presqu’un mois de la tenue du prochain Conseil de la Banque centrale, l’on se demande si la politique de resserrement monétaire va se poursuivre. Pour plusieurs observateurs et institutions internationales, BAM devrait prolonger son durcissement monétaire pour au moins ancrer les anticipations d’inflation des agents économiques.
Face à ce qui semble être un consensus de marché, l’économiste Rachid Achachi a un avis moins tranché. Il ne croit pas que BAM doive continuer sa politique restrictive «du point de vue des besoins de l’économie réelle, parce que l’effet des dernières hausses du taux directeur a été davantage psychologique que monétaire. C’est ce qu’on appelle un effet d’annonce qui permet de produire un impact sur le comportement des agents économiques davantage que sur les agrégats macroéconomiques». En cela, Achachi «demeure fondamentalement attaché à l’idée que c’est une inflation essentiellement importée par le canal énergétique», lequel a affecté tous les aspects de l’économie. La hausse des prix alimentaires n’est d’ailleurs que le reflet de cette inflation énergétique : «tous les entrants dans le secteur agricole sont impactés par le coût de l’énergie et les frais logistiques, et cela le taux directeur n’y peut pas grandchose», explique-t-il. S’il se «réjouit» du fait que l’inflation a diminué au Maroc, il se garde cependant de s’appuyer sur cette baisse «pour en déduire une tendance pour l’année prochaine ou les deux prochaines années».
Cela lui parait «risqué», estime-t-il, car la situation reste «très volatile». En définitive, Achachi pense qu’«il ne faut pas suivre la tendance de la Banque centrale européenne et de la FED, qui obéissent à d’autres impératifs et réalités monétaires très différents des nôtres». La Banque centrale s’inscrira-t-elle sur cette lignée ou poursuivra-t-elle sa politique monétaire restrictive, sachant que la dernière hausse du taux directeur aura été source de clivage profond avec le gouvernement ? Wait and see. Achachi «comprend que le gouvernement n’apprécie pas énormément les récentes hausses du taux directeur, vu qu’elles entrent en contradiction avec ses objectifs, qu’il s’agisse du taux de croissance ou de la réduction du chômage», mais considère aussi que «l’Exécutif obéit à une logique de cyclicité électorale». Autrement dit, «l’enjeu électoral inscrit de fait l’action gouvernementale dans le court et moyen terme». «Ainsi, si obtenir de bons chiffres dans 2 ou 3 ans devrait se traduire par de mauvais chiffres dans 10 ans, tout gouvernement signerait immédiatement. Parce que le gouvernement part de l’idée, comme disait Keynes, qu’à long terme nous serons tous morts, c’està-dire qu’il ne sera plus au pouvoir», analyse Achachi.
Or, poursuit-il, «BAM, comme toute Banque centrale, n’est pas dans cette temporalité. Elle a un objectif de stabilité des prix. Et c’est à partir de prix stables, c’est-à-dire un niveau d’inflation faible, que le gouvernement doit fonder sa politique budgétaire. Et ne pas faire un usage budgétaire et politique de la monnaie qui doit rester, dans le paradigme libéral, dans une forme de neutralité pour échapper à toute instrumentalisation politique et budgétaire». Et Achachi de conclure que «le bras de fer n’a pas lieu d’être. Le gouvernement doit considérer le taux directeur et tout ce que fait BAM comme une variable exogène à laquelle il devrait s’adapter, et non exiger d’elle qu’il obéisse à ses objectifs. Après, BAM peut se tromper ou non, mais c’est un autre débat. Toujours est-il que ce n’est pas au gouvernement de juger de la pertinence de ces décisionslà».