Une récente enquête réalisée par le département de Ryad Mezzour révèle une reprise soutenue du secteur industriel, renforcée notamment par l’injection de près de 34 Mds de DH au titre de l’année 2022. Les secteurs clés qui semblent avoir le vent en poupe sont la chimie et parachimie, l’agroalimentaire et l’industrie automobile. Entretien avec Youssef Guerraoui Filali, président du Centre marocain pour la gouvernance et le management.
Propos recueillis par M. Boukhari
Finances News Hebdo : Selon les résultats d’une récente enquête réalisée par le ministère de l’Industrie et du Commerce, les dépenses d’investissement dans le secteur industriel se sont inscrites dans une dynamique haussière après la pandémie du Covid-19, s’établissant à 33,9 milliards de DH (MMDH) en 2022. Quelle lecture en faites-vous ?
Youssef Guerraoui Filali : Les investissements réalisés dans le secteur industriel au titre de l’année 2022 démontrent de la dynamique que connaissent les entreprises industrielles pour la période postcovid, et ce malgré l’effet inflationniste constaté sur la même année, soit un taux d’inflation moyen annuel de 6,6%. Mais la vraie question à se poser est : est-ce que les investissements industriels de l’année 2022 ont suffisamment généré de l’emploi dans le secteur industriel ? En référence aux chiffres du ministère de l’Industrie et du Commerce, la création nette d’emplois en 2022 a atteint 70.000 postes face à un investissement annuel de 34 Mds de DH. Si l’on veut analyser à travers un ratio de relativité à cette enveloppe, il faut investir 485.714 DH en industrie pour créer un seul poste d’emploi industriel. De ce fait, cet indicateur démontre que les investissements ont porté essentiellement sur les infrastructures industrielles et non pas sur les activités génératrices d’emplois. En effet, pour les 70.000 postes d’emploi créés en industrie, on constate qu’il s’agit essentiellement de la classe ouvrière et non pas des postes d’emplois destinés aux cadres et aux ingénieurs issus des universités et grandes écoles publiques et privées. D’ailleurs, les chiffres du HCP autour de l’emploi le confirment : nous avons environ 200.000 nouveaux diplômés demandeurs d’emploi par an, et le taux de chômage dans la catégorie des jeunes diplômés est à 40% au titre de l’année 2022, avec un taux chômage pour la même année approximatif à 12% au niveau national.
F.N.H. : D’après la même source, des secteurs tels que la chimie et parachimie, l’agroalimentaire et l’industrie automobile sont ceux qui drainent le plus d’investissement. Pourquoi à votre avis ?
Y. G. F. : La dynamique industrielle actuelle est portée essentiellement par ces secteurs, en l’occurrence l’automobile, l’alimentaire et la parachimie. En premier, le secteur automobile a connu un véritable élan courant ces cinq dernières années, marqué par l’installation de différents constructeurs étrangers au Maroc. Cependant, ces usines emploient essentiellement de la main-d’œuvre et exporte la valeur ajoutée à l’étranger. Ces business model permettent en effet aux investisseurs étrangers de réduire les coûts et de réaliser des économies d’échelle pour leurs holdings. S’agissant des deux autres secteurs, l’alimentaire et la parachimie, ils poursuivent leur développement puisque le marché potentiel est très important au Maroc et à l’étranger. Cependant, d’autres secteurs sont des gisements de productivité et de croissance tels que les énergies renouvelables, le digital, la soustraitance, la santé, l’enseignement supérieur, entre autres. Leur développement est essentiel parce qu’ils sont pourvoyeurs de postes d’emploi pour les jeunes cadres et ingénieurs, que ça soit sur le territoire marocain, ou le continent africain et tout le pourtour de la Méditerranée.
F.N.H. : Comment le Maroc peut-il orienter ces investissements vers d’autres secteurs ?
Y. G. F. : L’orientation de l’investissement vers d’autres secteurs est tributaire du lancement d’une nouvelle dynamique entre les secteurs public et privé, à travers la conclusion d’une nouvelle génération de partenariats publics-privés (PPP) favorisant le développement et l’émergence d’entreprises et de startups spécialisées dans les métiers de l’avenir, tels que la high-tech, l’intelligence artificielle, les énergies renouvelables, la santé digitale, l’agro-industrie, etc. Cependant, la mobilisation des financements nécessaires est de mise. Le lancement des projets innovants interpelle la question du financement des cycles d’investissement et d’exploitation, essentiellement pendant le lancement des activités, sans négliger l’accompagnement technique continu permettant d’accéder aux marchés nationaux et aux chaînes de valeur internationale.